Notons le retour en force d’une volonté de réinstaller les mathématiques en place centrale de l’enseignement comme pilier d’une formation globale de l’élève. Pour illustrer dans un premier temps, ce phénomène, citons par exemple un extrait du texte de présentation du mémoire de l'A.M.Q. (Association Mathématique du Québec), exposé aux états généraux de l'éducation, le 11 août 1995, à Montréal ; mémoire qui fait suite au document ministériel Faire avancer l'école. Il insiste sur deux aspects incontournables de l’enseignement des mathématiques : la place et le rôle des mathématiques dans la connaissance, dans la société et dans le système Scolaire, et son rôle dans la formation de la personne, formation du citoyen, formation de l'esprit. Voici un extrait :
‘« Un simple regard autour de nous démontre l'omniprésence, ou presque, des mathématiques, liées aux objets, aux techniques, aux savoirs divers. Du rapport d'impôt aux nouvelles transmises par satellites, du disque laser à la carte routière, du thermostat au calcul de rendement des placements financiers ou du coût des hypothèques, maintes fois par jour nous avons affaire aux mathématiques, que nous nous en rendions compte ou pas. Les techniques nous parlent ou se parlent en mathématiques. Il n'y a rien d'étonnant à cela, c'est nous qui les avons faites ainsi. Formation de la personne, formation du citoyen, formation de l'esprit : la tâche est immense et aucun système éducatif ne peut se vanter de la réaliser parfaitement et complètement. Nous croyons que les mathématiques ont un rôle essentiel dans l'éducation et que, sans elles, la personne, le citoyen et la culture sont appauvris et handicapés. »’Derrière cette double responsabilité de formation technique et de l’esprit adressé à l’enseignement des mathématiques, essayons d’en percevoir les nouvelles orientations. Lors du colloque européen organisé par les professeurs et formateurs chargés de la formation des maîtres d’école de l’IREM de Strasbourg (30-31 mai et 1er juin 2005)8 et intitulé : Enseigner les mathématiques en France, en Europe et ailleurs, étaient posées les questions suivantes : Qu’enseigne-t-on aujourd’hui en mathématiques dans les écoles élémentaires d’Europe et que pourrait-on y enseigner ? Parmi les réflexions échangées, voici quelques traits majeurs qui en ressortaient. Dans tous les pays, les domaines abordés sont les nombres, l’espace, la géométrie, la mesure des grandeurs et la résolution de problèmes. Certains pays (Italie, Portugal) prévoient un enseignement de l’algèbre et des fonctions, de la statistique et des probabilités. Dans tous les pays, la volonté apparaît de développer chez les élèves les capacités de raisonnement critique, de faire acquérir les bases de la culture générale, de donner les compétences de savoir-faire dans des situations diverses et surtout de repenser dans cet esprit, les méthodes d’enseignement et la formation des enseignants en mathématiques. Celle-ci ressort comme particulièrement faible pour les enseignants de l’école primaire dont le cursus scolaire scientifique se révèle insuffisant. Continuons encore à parcourir les textes traitant de la recherche en didactique des mathématiques. Citons maintenant un extrait du rapport de la commission permanente de réflexion sur l’enseignement des mathématiques (COPREM), créé par le Ministre de l’enseignement en mai 1983 et présidée par J. Martinet et intitulé : Réflexions sur les programmes de mathématiques du collège et de l’école élémentaire. Voici ce qui est écrit :
‘« Au quinzième siècle, savoir faire une division donnait le pouvoir. Dans l’école de Jules Ferry, il y a un siècle, c’était sans doute une promotion de savoir bien calculer (ce qui voulait dire faire des opérations sans faute). Aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est savoir organiser des données pour pouvoir les traiter, organiser des calculs et les effectuer le plus rapidement possible à l’aide des machines dont on dispose, avoir les moyens de vérifier les résultats, être capable de vérifier rapidement (ce qui ne signifie pas forcément sans papier ni crayon) l’ordre de grandeur d’un résultat ou d’une approximation. On remarquera que toutes ces connaissances et tous ces “savoir-penser” n’ont que peu à voir avec la bonne exécution à la main des techniques opératoires traditionnelles. Mais en définitive, les machines ne font qu’amplifier une nécessité d’organisation. »’Pour résumer, cette formation mathématique évolue. Elle a l’ambition d’accompagner l’apport de connaissances techniques par une formation de l’esprit, par un “savoir-penser” qui lui-même ne peut plus ignorer la manière nouvelle d’appréhender nombre de situations mathématiques sans le recours à la statistique. Jean-Claude Duperret (DUPERRET, 2001, p. 9) rejoint à sa manière l’idée de pensée et d’esprit statistiques ; que l’on peut synthétiser en avançant que l’insistance répétée d’enseigner la statistique traduirait une réponse à une demande :
Cette exigence de résolution des problèmes par la statistique, entre également dans l’école en s’imposant à la pratique des enseignants. Une nouvelle orientation institutionnelle de l’Éducation nationale les presse à s’approprier une “culture de l’évaluation” pour aller vers plus d’efficacité et d’équité entre les élèves (parcours personnalisé de réussite). Dans ce sens, le recours aux statistiques et aux outils qui l’accompagnent (moyennes, graphiques, courbes etc.), devient incontournable et s’organise au travers de l’aide apportée par l’usage de logiciels : “Casimir” puis “Jade”, base institutionnelle de l’évaluation obligatoire des élèves en CE2 (en référence aux élèves du cycle étudié ici) et en sixième. Là encore, l’outil existe, mais l’aide à l’appropriation professionnelle paraît se limiter bien souvent au fonctionnement du logiciel, à sa présentation, comme à la lecture directe, brute des résultats. Il est nécessaire d’en permettre le recul suffisant pour comprendre la signification des indicateurs et la synthèse de leurs effets cumulés.
Si cette évolution des objectifs d’un enseignement des mathématiques semble si clairement et vivement souhaitée, qu’en est-il alors réellement de l’introduction d’un contenu statistique dans la chronologie des programmes de l’école élémentaire ? Il est surprenant de constater que dès 1973, des auteurs s’intéressaient déjà à ces questions au travers d’un ouvrage intitulé Combinatoire, statistique et probabilité de 6 à 14 ans (VARGA T., DUMONT M., 1973). Ils choisirent alors d’interpeller le monde éducatif sur l’utilité d’un enseignement statistique et probabiliste (année même où Guy Brousseau commençait ses propres recherches en la matière et qu’il les suspendit pour se focaliser sur d’autres centres d’intérêt). Plus tard, dans les années 80, Lennart Rade exposait un article consacré à l'enseignement des mathématiques et publié par l’UNESCO (RADE, 1986, pp. 123 et 124). Il rappelait que l’usage de la statistique était déjà reconnu comme indispensable et son apprentissage scolaire fortement réclamé dans l’enseignement secondaire dès 1959 et à l’école primaire dès 1963 ! Ce document soulignait un manque de professeurs capables d'enseigner la statistique car peu avaient été formés à cet enseignement et le matériel fourni, restait pratiquement inexistant. Il réclamait que dans un avenir proche, l’on puisse s'entendre sur une définition commune et sur les fondements de son enseignement. Devait-on concevoir une approche didactique spécifique ou rester dans un environnement interdisciplinaire ? Il s’engageait déjà (p. 127) en mettant en avant cinq arguments en faveur de son introduction à l'école primaire que l’on peut résumer ainsi :
Une prise de conscience internationale, s’est concrétisée par l’intermédiaire en autres, de l'Association Internationale pour l'Enseignement Statistique (Annexe n°3.3), créée au Caire en 1991, lors de l'Assemblée Générale de la 48ème session de l'Institut International de Statistique (IIS) qui a pour objectif principal de contribuer au développement et à l'amélioration de l'éducation statistique dans le monde entier et en particulier :
Cette association concerne tout particulièrement les personnes dont les intérêts ou les activités professionnelles comprennent : l'enseignement de la statistique à l'école primaire, au collège ou au lycée. Pour la France, son équivalent la SFDS, propose aussi d’associer ambition statistique et problématique éducative en les évoquant conjointement.
Plus proche de nous, en complément du 8ème rapport de juillet 2000 portant sur la science et la technologie de l’Académie des Sciences, publié aux éditions TEC et DOC (rapport qui répond à une commande du Ministre de l’Éducation nationale de 1998, de procéder à une évaluation prospective de l’activité scientifique et universitaire française), la CREM (Annexe n°3.2), (Commission de Réflexion sur l’Enseignement des Mathématiques), a évoqué l’exigence actuelle « d’exploration d’objets pour lesquels des conclusions ne peuvent être dégagées avec certitude », et qui exige le recours à l’usage de la statistique. Elle a donc émis des recommandations très précises concernant l’état des lieux de l’enseignement de la statistique. Les deuxième et neuvième constats de son “rapport d’étape Statistique et probabilités”, précisent de manière abrupte :
‘ « Constat 2 : La recherche statistique est insuffisante en France si on la compare à celle des autres pays de même niveau technologique. Le nombre de chercheurs en statistique en France devrait être multiplié par un facteur minimal de 5 pour aboutir à un niveau relatif d’activité comparable à celui des Etats-Unis […]Pour reprendre les propos de cette commission : « une formation à la statistique est aujourd’hui indispensable […] La question n’est plus “faut-il ou non se fier aux statistiques”, mais “comment faire partager au plus grand nombre la connaissance des fondements de cette discipline, des questions qui la concernent, de la nature des preuves qu’elle apporte ». La réponse passe par l’intégration de l’aléatoire à tous les niveaux de l’enseignement, école élémentaire incluse. Un “consensus statistique” semble s’être établi aux plans international et national. Il pose au premier chef la responsabilité éducative du corps enseignant et confère dans ce mouvement, un investissement et une responsabilité identique et partagée entre les échelons primaire et secondaire.
Pour ce qui concerne la statistique, le rapport de l’académie a été construit autour des questions suivantes :
Il est précisé (pp. 3 et 4) :
‘« Le présent rapport de la CREM a pour objectif de prolonger celui de l’académie par des pistes de réflexion pouvant influencer l’évolution future de l’enseignement des statistiques et des probabilités. Il ne s’agit pas ici de définir des curriculums, mais d’une part de rendre compte de questions qui animent vivement les débats à propos de ce chapitre de la formation scientifique, et d’autre part d’éclairer en illustrant parfois par des exemples didactiques simples des éléments susceptibles de guider des choix de contenus en différents temps et lieux d’enseignement et de formation. » ’La nécessité de reprendre cet extrait, in extenso, s’est imposée pour montrer le consensus s’installant autour de la reconnaissance de ces apports mais en plus, le besoin exigeant d’en faire un objet d’enseignement (centre de notre étude). Les titres des chapitres des recommandations de la CREM, recoupent les préoccupations analysées au fil de notre recherche :
Introduction | |
La place de l’aléatoire dans l’enseignement des mathématiques | p. 4 |
Statistique et outils logiciels | p. 9 |
La place de l’aléatoire dans quelques disciplines | p. 10 |
Différents temps et lieux de formation | p. 13 |
La formation des professeurs | p. 17 |
Conclusion |
Si l’on résume le préambule à cette deuxième partie, nous dirons que notre travail répond à la présence du fait statistique par une demande de réinstaller les mathématiques en place majeure de l’enseignement donné dans les écoles, d’insister sur leur intérêt à ouvrir les élèves au raisonnement critique, aux savoir-faire dans des situations diverses et d’introduire en particulier un enseignement / apprentissage de la statistique et des probabilités le plus tôt possible dans le cursus scolaire des élèves (et d’une formation des enseignant allant dans ce sens). Confirmons cette évolution en relisant les objectifs des évaluations PISA9. Quelles mathématiques sont analysées donc attendues dans cette logique ? Reprenons par extraits des éléments fournis par le rapport REPERES - IREM. n°65 d’octobre 2006. Qu’apporte l’enseignement des mathématiques aujourd’hui, passé au crible des évaluations nationales et internationales ? De la première étude menée en 1960, aux études TIMSS2 et PISA3, en passant par les études de la DEP4 et d’EVAPM5, Antoine Bodin (2006) recherche quelles mathématiques sont évaluées par PISA ? Il retient trois points : celui de former un futur citoyen-consommateur-employable (les mathématiques pratiques), qui devienne cultivé (la culture mathématique), et enfin capable d’entrer à l’intérieur de (mathématiques spécialisées)(Annexe n°4.2). Il précise (p. 57) : « Différents aspects des mathématiques peuvent être concernés par l’évaluation. Ces aspects entretiennent entre eux des rapports subtils, mais on ne peut pas les considérer comme hiérarchisés. » Plus loin, toujours selon les trois points signalés précédemment :
‘« Le caractère multidimensionnel de l’ensemble des connaissances et compétences relatives à ces trois catégories apparaît clairement. La maîtrise des savoir-faire pratiques n’ouvre pas nécessairement la porte à la culture au sens B ni aux compétences sollicitées en C. Il est toutefois évident, qu’une partie des connaissances et savoir-faire de la première catégorie est indispensable à l’exercice de la troisième, la difficulté est de savoir laquelle et, pour la partie concernée, de savoir jusqu’à quel niveau d’approfondissement. »’Par la suite, il est rappelé que :
‘« PISA s’éloigne des découpages classiques des contenus, pour faire place à une organisation de type qu’il est convenu, en France, d’appeler “par problématiques”. Cependant, l’idée du découpage de PISA est plutôt dérivée des recommandations de la Société Mathématique Américaine - AMS (cf. « On the shoulders of the Giants » qui décrit les grandes idées “overarching ideas” reprises par PISA) : - Quantité ; - Variations et relations ; - Espace et formes ;- Incertitude »’Pour notre étude, nous constatons la place prépondérante accordée à l’incertitude, dans cette répartition en quatre parties, qui place désormais en arrière-plan, le découpage habituel (géométrie, nombres et calcul, résolution de problèmes, etc.). Ce que relève d’ailleurs Antoine Blondin (2006, p. 64) :
‘« Il est toutefois des retombées positives, telles que l’introduction généralisée de questions liées à l’incertitude (statistiques et probabilités). Des pays qui avaient un enseignement extrêmement formel et procédural ouvrent leurs curriculums à la résolution de problèmes non stéréotypés, plus ouvert sur l’aspect outil des mathématiques.» ’Il prodigue ensuite des mises en garde ; deux nous semblent intéressantes pour notre objet de travail. Tout d’abord, il insiste sur la nécessité d’une présence de “corrélations entre les différents domaines (algèbre, géométrie, etc.)” et “entre ces domaines et la langue d’usage”. Il met ensuite en garde contre :
‘« L’insistance sur les “mathématiques de la vie”, “mathématiques du réel”, et sur “l’évaluation authentique”, très en vogue aujourd’hui,… [qui] ne facilite pas nécessairement la réussite des élèves. En général, cela rend même les choses plus difficiles, du moins tant que la dévolution n’est pas assurée (c’est-à-dire tant que l’élève, non seulement n’a pas compris la situation qui lui est proposée, mais encore, tant qu’il ne la pas faite sienne). Or cette dévolution est ce que les évaluations savent le moins bien prendre en compte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille se limiter à des questions mathématiques formelles. D’une part, les habillages des questions peuvent rester minimales et internes aux mathématiques, d’autre part il convient de s’assurer que le caractère concret des situations proposées est ressenti comme tel par les élèves. Le “faux concret” ne rendant pas nécessairement les situations proposées plus proche des intérêts des apprenants ; il peut même renforcer l’impression d’inutilité et d’artificialité. »’Pour finir et vraiment rapporter la statistique comme élément à placer au même titre que les autres domaines mathématiques, nous ferons retour sur les propos de Benoît Rittaud (RITTAUD, 2002, p. 13) :
‘« Il convient donc de mettre l’accent sur le fait que la théorie des probabilités, bien que délivrant des résultats sous la forme de nombres compris entre 0 et 1, qui quantifient le “nombre de chances” de tel ou tel résultat à une expérience aléatoire, est tout aussi rationnelle et sûre que les autres disciplines mathématiques telles que l’algèbre, l’arithmétique ou la géométrie. Les probabilités ne sont pas des sables mouvants où rien de ce que l’on avancerait ne serait pas vraiment assuré, mais au contraire un domaine parfaitement rationnel. La part d’aléatoire n’est pas le propre de la théorie elle-même, mais des expériences aléatoires qui sont son objet. De la même façon, que rien ne nous oblige à croire à la réalité d’un objet géométrique comme un triangle, nous ne sommes pas contraints de croire à la réalité du fait que la pièce a une chance sur deux de tomber sur pile. Néanmoins, si nous l’acceptons, alors toutes les conséquences qui en découlent, mises au jour par la théorie des probabilités, sont aussi rationnelles et obligées que le théorème de Pythagore ou le concours des bissectrices dans le triangle. »’Face à cette demande commune et pressante de l’apport d’un enseignement de la statistique, confrontons-la maintenant au contact de la réalité de la classe ; étudions en cela son introduction progressive, à l’intérieur des programmes de l’école élémentaire et ceci selon leurs évolutions historiques successives.
Actes du XXXIIe Colloque COPIRELEM, IREM de Strasbourg, Mai 2006.
PISA (Program for International Student Assesment) est un programme international qui, tous les trois ans, mesure les compétences des élèves de 15 ans dans un domaine principal : PISA 2000 évaluait principalement la compréhension de l’écrit, PISA 2003 évaluait principalement la culture mathématique des élèves nés en 1987, PISA 2006 sera consacré principalement à la culture scientifique, et PISA 2009 se centre sur l’évaluation des élèves en lecture.