2.3. Illustration des programmes relatifs à l’enseignement de la statistique, au sein des manuels scolaires

Revenons à une étude conduite précédemment (COUTANSON, 1999). Nous essayions alors d’observer le parcours de formation des élèves et donc des enseignants, au travers de l’enchaînement successif des manuels de mathématiques. Nous avions décidé d’analyser la place tenue par la “présence statistique” (repérage dans l’année scolaire et quantification du nombre de pages qui lui étaient consacrées) à l’intérieur des manuels du cycle III de l’école élémentaire, du collège et du lycée. Voici une partie des conclusions que nous tirions alors de l’examen des 119 ouvrages de mathématiques de collège, disponibles et observés au CDDP11 de Saint-Étienne (COUTANSON, 1999, p. 74) :

Tableau 10 : Études des manuels du collège et du lycée
Niveau de la classe Nombre de livres observés Nombre de pages traitant de statistique ou probabilités Nombre total de pages % Spécialité
6è 11 62 2385 2,6  
5è 10 116 2437 4,8  
4è 9 111 1991 5,6  
3è 13 158 2774 5,7  
2de G 23 259 4424 5,9 G : Général
2deT 6 84 524 16,0 T : technologique, tertiaire 1ère année
1ère L 3 115 519 22,2  
1ère S 5 102 1798 5,7  
1ère STT 4 462 876 52,7 STT Sciences et technologie du tertiaire
1ère SMS 2 45 331 13,6 SMS Sciences médico-sociales
1ère STI 2 47 649 7,2 STI Sciences et technologie industrielles
1ère ES 4 56 558 10 ES Économique et social
Te L 2 92 369 24,9  
Te S 8 186 2485 7,5  
Te STT 6 249 1330 18,7  
Te SMS 2 120 383 31,3  
Te STI 2 66 682 10  
Te STL 1 50 222 22,5 STL Sciences et technologie de laboratoire
Te ES 5 234 1449 16,1  

Le constat alors était le suivant :

‘« La part laissée à la statistique croît doucement de la 6è à la seconde mais reste dans un volume très faible (≤ 5,7% !). En “seconde”, la différence se marque entre les deux parcours (général ou technologique). Remarquons au passage, la pénalisation des futurs professeurs éventuels de mathématiques (7.5 au lieu de 24,9 !). »’

Essayons maintenant de voir selon les différents niveaux et branches scolaires, comment était introduit le contenu statistique. Revenons aux manuels et relevons la période où avait lieu l'apprentissage (ibidem p. 75) :

Tableau 11: Période de l’année pour l’enseignement de la statistique
Niveau scolaire Nombre de manuels traitant explicitement de statistique ou de probabilités Début de l'année Milieu de l'année Fin de l'année % de manuels où la statistique n'est pas répertoriée
12 0 8,33 16,66 75,01
8 6,25 37,5 56,25 0
5 0 40 60 0
9 0 38,89 49,99 11,12
2de 22 11,36 47,72 40,90 0

Ce qui se représente par la figure suivante en référence au début, au milieu et à la fin d’année scolaire :

Figure 9 : Période d’enseignement de la statistique (début, milieu ou fin d’année)
Figure 9 : Période d’enseignement de la statistique (début, milieu ou fin d’année)

Nous évoquions alors :

‘« Tous les collégiens et les lycéens de seconde sont soumis au fil des ans, à la répétition du même rythme ; la statistique est abordée avec une très grande régularité vers la fin de l'année. Comment alors pour les élèves concernés, ne pas traduire ce phénomène par un choix délibéré des professeurs de transmettre dès la rentrée des classes, ce qui leur paraît essentiel pour eux ou reconnu comme tel par les examinateurs et de laisser pour la fin, la part du programme qui pourrait n'être que partiellement traitée ? » (COUTANSON, 1999)’

Nous abordions ensuite les réponses des manuels, par niveau scolaire au lycée, en fonction des différentes branches d’orientation, mais les résultats n’apportaient que peu à l’objet de notre recherche ici, si ce n’est que cette présence était plus soutenue en série L qu’en série S. De plus, les premières et terminales générales pouvaient se rapprocher plutôt des probabilités, quand les séries professionnelles donnaient davantage de place à la statistique. Le profil-type des futurs professeurs de mathématiques en ressortait particulièrement marqué.

La statistique se présentait comme une ouverture de l’apprentissage mathématique et en parallèle comme une rupture de son infaillibilité par le biais d’une présence permanente de petites phrases sibyllines, énigmatiques. En voici quelques-unes repérées lors de cette étude : « Ce qui est simple est faux ; ce qui est compliqué est inutilisable » 12 , « La crainte gouverne le monde et l'espérance la console » 13 , « Aléa jacta est » 14 , « Ce que nous prenons pour cause n'est bien souvent qu'une simultanéité » 15 etc. L’élève, invité à cette découverte nouvelle du domaine de la statistique, était confronté pleinement à une mise en difficulté épistémologique de sa propre représentation de la science mathématique, et en même temps sollicité à agir par “bon sens” ; notion nouvelle pour lui, déroutante et pourtant rappelée fréquemment en filigrane ! Plus d'effort, de vérification, de réflexion, de choix, etc. lui sont réclamés. Face à lui, l'enseignant paraît déstabilisé par l’objet à enseigner dont il ne perçoit pas toujours la nécessité, et pour lequel il lui semble difficile de pouvoir valider sur le plan mathématique, aux lycéens, dans la mesure de leur capacité de compréhension, toutes les connaissances qu'il doit leur communiquer.

Nous complétions cette étude par une analyse plus fine des manuels de mathématique de CE1 et CM2 de l’école élémentaire qui marquent les niveaux qui soldent les cycles I et II. Comment s’organisait la démarche de recherche de l’élève, face à une situation problème et en quoi elle se rapprochait d’une investigation statistique ? Voilà ce que nous écrivions alors :

‘« Nous ne garderons que l'analyse des démarches susceptibles de calquer un profil statistique, c'est à dire celles qui explicitent le déroulement de situations problèmes. Voici la grille mise en place pour analyser les différents ouvrages. »’
Tableau 12 : Première grille d’analyse des démarches de résolution des situations problème
Tableau 12 : Première grille d’analyse des démarches de résolution des situations problème

L’analyse de toutes les situations proposant des “résolutions de problèmes” des 9 manuels de CE1 et des 8 manuels de CM2 (ibidem p.100), restreintes à celles présentant des supports par tableaux à double entrée et par graphiques16, donnait les résultats suivants. Nous avions alors quantifié les cases où l’on signifiait par oui, le repérage d’au moins une fois l’existence de ce qui était réclamé pour chaque entrée. De ce fait, nous n’avions pas quantifié des présences totales mais simplement le fait d’être évoqué au moins une fois. De plus, la colonne A ne fut pas retenue car difficile à compléter et donc impossible à traiter.

Tableau 13 : Étude des manuels de CE1
Titre des ouvrages de CE1 Année de parution B C D E F G H
Math et calcul HACHETTE 1986 N N O O N N N
Objectif Calcul HATHIER 1986 N O O O N N N
Pour comprendre les mathématiques HACHETTE 1995 N O O O N N N
Diagonale NATHAN 1992 N O O O O N N
Math (collection Thévenet) BORDAS 1995 N O O O N N N
J'apprends les maths CE1 - RETZ 1992 N O O O N N N
About math CE1 NATHAN 1990 O O O O N N N
Maths CE1 NATHAN 1990 N O O O N N N
Maths CE1 ISTRA 1996 N O O O N N N
Effectifs des réponses oui 1 8 9 9 1 0 0
Pourcentages des oui/non 11,1 88,9 100 100 11,1 0 0
Tableau 14 : Étude des manuels de CM2
Titre des ouvrages de CM2 Année de parution B C D E F G H
1er en mathématiques HACHETTE 1988 N N N O N N N
A vos maths NATHAN 1994 N O O O N N N
Math livre-outil CM2 MAGNARD 1988 N N N O O N N
Math CM2 NATHAN 1989 N O N O O N N
Math et calcul CM2 HACHETTE 1988 N N N O N N N
Vivre les mathématiques ARMAND COLIN 1991 N O O O O O N
Bon en math NATHAN 1996 N O O O O O O
Math (collection Thévenet) BORDAS 1996 O O O O O O O
Effectifs des réponses oui 1 5 4 8 5 3 2
Pourcentages des oui/non 12,5 62,5 50 100 62,5 37,5 25

Il était surprenant de constater la vétusté des ouvrages utilisés. L'analyse ayant eu lieu durant l'année scolaire 96/97, la moyenne d'âge des manuels s'élevait à près de 5 ans pour les CE1 et le CM2. Peu relèvent des I.O. de 95 : 5 sur 17 !

Confrontons donc en parallèle les résultats d'analyse des ouvrages de CE1 et de CM2 :

Figure 10 : Étude comparée des manuels de CE1 et de CM2
Figure 10 : Étude comparée des manuels de CE1 et de CM2

Nous pouvions relever :

Nous terminions alors l’analyse en précisant que :

‘« Un triple constat se fait jour : jamais n'est abordée une approche de l'incertitude, […] ; peu souvent l'incitation invite à une idée d'interprétation des résultats, de prise de décision relevant de choix orientés vers diverses anticipations possibles, et surtout, tout au long des manuels, à aucun moment, l'élève n'a été invité à devenir curieux au point de prendre lui-même l'initiative d'une approche statistique d'un problème le concernant ! »’

Pour faire la transition, après avoir abordé le paradoxe entre la montée de la présence statistique implicite dans les programmes du primaire et sa quasi-absence réelle à l’intérieur des manuels, analysons maintenant comment se réalise à l’issue de la scolarité primaire, le lien nécessaire avec le collège. Examinons désormais, le contenu des programmes scolaires de ce dernier.

Notes
11.

Centre Départemental de Documentation Pédagogique

12.

Paul Valéry 1ère S – Éd. TERRACHER HACHETTE 91

13.

Gaston de LEVIS, Terminale S – Éd. TERRACHER HACHETTE 94 p. 985

14.

"Le sort en est jeté" J. César col. Fractale – Éd. Bordas 94 p.46

15.

Math Terminale ES col. Nouveau Transmat – Éd. NATHAN 94

16.

Nous n’avions pas encore conduit de réflexion sur la caractérisation des situations implicitement statistiques.