3.2. Représentations de la statistique par les enseignants de l’école primaire

3.2.1. Les enseignants du primaire dans leur rapport personnel à la statistique

Revenons donc sur une étude conduite en 1999, dans le cadre de la constitution d’un mémoire de maîtrise de Sciences de l’Éducation (COUTANSON, 1999). Ce questionnaire (Annexe n°1.2) fut reçu de manière très distante par les instituteurs de l’époque. Voici ce que nous écrivions alors :

‘« Des difficultés incontournables : Malgré toutes ces précautions, des soixante-cinq écoles contactées, bien peu de réponses arrivèrent en retour ! Après multiplication des contacts directs, ou téléphoniques, et une relance par courrier à l'initiative de l'Inspecteur Départemental de l'Education, M. Bonhomme, un deuxième essai fut lancé sur la circonscription de Laval en Mayenne où nous disposions aussi d'un contact positif auprès de l'Inspecteur Départemental de circonscription. L'effet produit fut le même et n'était donc pas lié à un facteur de trop grande proximité avec les maîtres questionnés. Il fut donc décidé de bâtir le travail de recherche sur les seules réponses reçues (27) ; les très fortes difficultés rencontrées pour recueillir des réponses prouvaient déjà la profondeur de l'abîme où plongeaient les maîtres au simple fait d'évoquer l'idée statistique à l'école primaire, quelles qu'en fussent les finalités (représentations, usage ou enseignement). » (COUTANSON, 1999 .p.28).’

Malgré tout, contrairement à l’hypothèse que nous émettions avant cette étude, nous constations à l’issue de ce travail, que les enseignants de l’école primaire avaient une approche plutôt favorable de la statistique. Essayons de résumer les conclusions. Les maîtres dans leur ensemble ordonnaient l’estime qu’eux-mêmes portaient à la statistique, selon l’axe croissant suivant (COUTANSON, 1999, section 2.2.) :

Tableau 20 : Rôles attribués à la statistique par les professeurs des écoles
Rôle premier Rôle deuxième Rôle troisième
Hors champ professionnel Champ professionnel
L’aide à la communication,
aux échanges
L’aide à la description,
à la validation
L’aide professionnelle

L’aspect favorable envers la statistique subissait deux restrictions : le risque éthique d’immixtion dans la sphère privée et celui d’ingérence dans leur conduite professionnelle. Le vecteur informatif prenait le pas sur l’aspect civique. Les maîtres parlaient de la statistique comme placés à l’extérieur d’un ensemble où ils seraient plus spectateurs, lecteurs de données qu’acteurs ; ce que confirmait l’analyse qualitative des réponses (p. 54) par la fréquence d’apparition des verbes exprimés par les réponses des 27 enseignants du primaire :

Tableau 21 : Analyse des termes évoquant la statistique par les professeurs des écoles
La statistique perçue au travers des verbes
qui traduisent la définition que les Professeurs des écoles lui accordent :
Non-réponse
une action un état
Regarder (0,25) ; Vérifier (0,5) ; Évaluer (0,5) ; Établir (0,33) ; Calculer (0,33) ; Ordonner (0,58) ; Étudier (0,83) ; Modéliser (0,25) ; Valider (0,33) ; Analyser (0,25) ; Dissocier (0,33) ; Lire (1) ; Comparer (0,83) ; Comparer (0,83) ; Recueillir (0,25).; Être (8,5).
Avoir (5,94) 
5,56 14,44 6

Ces réponses étaient complétées par leur déclinaison des priorités accordées au choix des supports de représentation pour des données statistiques :

Tableau 22 : Rangement des supports statistiques par les professeurs des écoles
N°1 N°2 N°3 N°4 N°5 N°6
Les textes Les illustrations Les dessins symbolisés… Les tableaux Les écritures mathématiques (moyenne, %...) Les graphiques et courbes

Les professeurs d’école montraient par contre que leur représentation de ces apports de données statistiques, ne se limitaient pas aux tableaux et graphiques comme nous aurions pu l’attendre et qu’ils ne les plaçaient qu’en 5ème et 6ème rang ; ce qui servira d’ouverture à notre propre perception de l’outil statistique lors des prochaines recherches. Pour continuer plus loin notre analyse, rappelons aussi la répartition des secteurs d’activité pour lesquels, d’après “les maîtres d’école”, la statistique apporterait une aide. Toujours selon l’enquête citée, voici résumés et ramenés à une échelle de rang, les résultats obtenus (p. 52) :

Tableau 23 : Rangement des usages de la statistique selon les secteurs d’activité
N° Secteur N°1 N°2 N°3 N°4 ex æquo
Secteur Recherche et sciences Médical Politique Production industrielle et agricole Bilans économiques et de gestion Information événementielle
Poids 8 6 4 2 2 2

D’après les résultats ci-dessus, les maîtres portaient un regard très déséquilibré entre les différents secteurs d’activité concernés par l’usage de la statistique. Ce qui pointait de nouveaux critères dans nos enquêtes ultérieures :

  • veiller au respect de la diversité des secteurs d’activité,
  • ne pas se limiter aux données scientifiques et économiques et mettre également en avant la variabilité concernant l’homme, ses décisions, ses choix, les effets de ses choix, etc.

De plus, les réponses aux questions ouvertes permettaient (p. 50) de dresser le tableau suivant :

Tableau 24 : Les aspects scientifique, humain ou pratique de la statistique par les professeurs des écoles
La statistique est perçue par les professeurs des écoles en référence :
à l'objet statistique à la “destinée” personnelle et sociale de l’homme à l’aide pratique apportée au quotidien
41 89 59
Non réponse : 4 (14,8%)

Ce tableau montre nettement la place prioritaire accordée à la statistique en lien avec “la vie personnelle et sociale” ; d’où l’obligation et l’opportunité dans cette étude, de traiter cet objet en première partie afin de montrer la nécessité d’aborder le fait statistique” et la garantie éthique comme éléments incontournables en regard du point de vue exprimé par les professeurs des écoles. Plus loin (p. 67), nous pouvions aussi relater le tableau suivant :

Tableau 25 : Espaces de rencontre de la statistique par les professeurs des écoles
Selon vous, où rencontrez-vous la statistique ?
par la presse écrite 12,9 lors de recherches en didactique 2,3  
par la presse orale 3,5 pour les enquêtes de rentrée 0,5  
pour les élections 1 dans les revues syndicales 0,3  
avec la publicité 1      
par les enquêtes et sondages 1,5      
tout le temps 0,5 tout le temps 0,5  
de partout 0,5 de partout 0,5  
Domaine du temps non scolaire 20,9 Domaine du temps scolaire 4,1 Non-réponse 2

La statistique est mise en lien spontanément avec le quotidien plus qu’avec le côté scolaire ; ce qui nous fera confirmer lors de la conclusion de ce mémoire (COUTANSON 1999 p. 117) que :

  • Hypothèse 1 : L'enseignement de la statistique à l'école primaire doit surmonter le handicap des représentations et d'un usage personnel plutôt négatif que les maîtres d'école en font au quotidien, indépendamment de leur formation ou de leur fonction”, ne fut pas validée.
  • Hypothèse 2 : L'enseignement de la statistique n'est pas une priorité pour les maîtres car les formes d'initiation qu'ils ont eux-mêmes rencontrées ne peuvent que s'inscrire en négatif dans l'approche et l'apprentissage auprès des élèves qui leur sont confiés”, fut validée.
  • Hypothèse 3 : L'usage statistique et son introduction à l'école semblent freinés par les difficultés des maîtres à bâtir des situations didactiques intégrant les notions et outils statistiques de base”, fut validée.

Ce qui orienta alors nos recherches suivantes, sur l’aspect scolaire de la formation à la statistique. Pour entériner ce “malaise statistique scolaire” discerné, nous avions analysé dans ce mémoire (p. 68), le parcours personnel de rencontre des enseignants questionnés avec l’enseignement de la statistique :

Tableau 26 : Les premiers contact, usage et enseignement de la statistique pour les prof. des écoles
Précisez les circonstances dans lesquelles :

vous avez l'impression d'avoir entendu parler

de la statistique
pour la première fois
pour les élections 1
par la presse écrite 3
en terminale D 3,5
pour le baccalauréat 3
au lycée 5,5
comme étudiant 2
en mathématiques 1
sur les bulletins scolaires 1
Bilan :
origine scolaire : 16
origine non scolaire : 4
non-réponses : 7
(25,9 %)
Précisez celles où :

vous avez l'impression d’avoir utilisé
la statistique
pour la première fois
sondage scolaire local 1
terminale D 3
calcul des moyennes 1
lecture de revues 2
comme étudiant, recherche 4
en histoire géographie 2
Bilan :
utilisation scolaire : 11
utilisation non scolaire : 2
non-réponses : 14
(51,8%)
Précisez celles où :

vous avez l'impression d’avoir communiqué

la statistique
pour la première fois
non enseignée 4
EPS (résultats, classement) 1
histoire géographie 3,5
mathématiques 1
télématique 0,5
élections (les résultats) 2
étude sur l'alimentation 1
Bilan :
Par l’enseignement : 9
Hors enseignement : 4
Non-réponses : 14
(51,8%)

Nous écrivions en conclusion :

‘« A la lecture du taux de non-réponse, les maîtres donnent une impression diffuse du premier contact avec la statistique, mais tout devient encore plus flou pour le premier usage ou le premier essai d'enseignement. Et si le premier domaine s'ancrait fortement dans le scolaire, les deux autres s'en écartaient. Pourquoi ? Y a-t-il vraiment eu une première approche scolaire comme eux pensent l'avoir conservé en mémoire ? De plus, l'effritement régulier de la place statistique laissée au domaine scolaire (16/27, 11/27, 9/27) nous interroge : d'où vient ce phénomène de perte de transmission du savoir [statistique] ? A-t-il eu pour origine une approche qui a causé problème sur le plan pédagogique ou traduit-il une incapacité pour les maîtres à englober les situations statistiques dans leur enseignement ? » (COUTANSON, 1999 .p.68).’

Deux autres vecteurs avaient aussi été étudiés au travers de cette enquête : comment les professeurs des écoles rapprochaient-ils la recherche statistique de l’axe du temps d’une part, et comment la percevaient-ils selon une perspective d’analyse statique ou dynamique des situations à approfondir. Pour la première (p. 53), les études allaient en priorité et dans l’ordre : au présent, au futur et au passé. Les professeurs des écoles cantonnaient la statistique « dans sa fonction descriptive et [l'amputaient] de son rôle transmissif de mémoire et anticipatif de l'avenir. » ; pour la seconde, l’aspect statique était trois fois plus présent que l’aspect dynamique. Enfin, la fin du chapitre concernant la question de la statistique et les professeurs des écoles, montrait le peu de considération pratique qu’ils lui assignaient. Pour eux, elle représentait un tout, qui engage l’adhésion ou non de la personne sans jamais se risquer à rentrer dans l’aspect pratique de la description.

En conclusion, si nous reprenons chronologiquement l’ensemble des propos précédents concernant les représentations des étudiants ainsi que celles des professeurs de l’école primaire, nous devrons porter un intérêt dans nos recherches ultérieures :

  • à ne pas réduire le traitement statistique à un “prototype d’usage de l’outil statistique”,
  • à penser à la conceptualisation de la démarche statistique pour en observer la problématisation, la modélisation, la réflexion critique et la communication des résultats,
  • à se questionner sur le contenu à poser derrière le “risque d’erreur”, dans le cadre de l’école élémentaire, au cycle III,
  • à maintenir un état d’acteurs plutôt que de spectateurs statistiques,
  • à veiller à aborder des situations mettant en jeu des domaines de référence variés dont ceux soumis à la variabilité (du vivant, de l’homme, de ses décisions etc.),
  • à mettre la statistique au service de l’axe du temps (en plus du présent, observation du passé et anticipation du futur) ; en conduire des analyses statique et dynamique.

Après avoir jusqu’ici, parcouru la représentation que les professeurs des écoles entretiennent de la statistique, abordons maintenant celle qu’ils avancent dans leur rapport à l’enseignement de la statistique à l’école élémentaire.