2.2.2 Les enseignants du primaire dans leur rapport à l’enseignement de la statistique à l’école élémentaire

Si l’on se réfère toujours au mémoire de maîtrise que nous avions conduit en 1999, nous avions lancé une première recherche auprès des enseignants de l’école élémentaire, pour recenser déjà leurs représentations d’un enseignement de la statistique adressé à des élèves du cycle III de l’école élémentaire. Par ce texte intitulé “et si la statistique entrait en classe ?”, nous observions (p. 88), « que dans l'esprit des maîtres, la statistique serait plus une initiative orientée vers l'élève que vers l'enseignant ».

Figure 11 : L a statistique et l’évaluation/construction du maître/élève par les prof. des écoles

Et plus loin, nous relevions (p. 88), que « la statistique adressée à l'élève aurait une ambition plus évaluatrice que constructive, quand celle concernant le maître, s'orienterait dans l'autre sens. Est-ce une volonté de la part de l'enseignant ou ce dernier a-t-il une crainte d'être évalué ? » Pour compléter cette étude, nous recherchions alors ce qu'enseigner la statistique permettrait de développer chez les élèves, dans et hors du champ des mathématiques. Voici leurs réponses, réparties en deux catégories :

Tableau n° 27: La statistique et l’apport dans/hors mathématique selon les prof. des écoles
Un enrichissement du champ mathématique Un enrichissement hors du champ exclusivement mathématique
A une approche des données qualitatives E une lecture critique de l'information
B une approche des données quantitatives F un esprit d'estimation, de comparaison
C une méthode de recherche D une meilleure communication
J une nouvelle perception de la mesure G une capacité à faire des bilans
    H un état d'esprit à l'anticipation
    K une aptitude à bâtir des projets

Les réponses des professeurs des écoles se rangeaient selon la figure suivante :

Figure 12 : La statistique et l’apport dans/hors mathématique selon les professeurs des écoles (rangement par ordre croissant du nombre de citations)
Figure 12 : La statistique et l’apport dans/hors mathématique selon les professeurs des écoles (rangement par ordre croissant du nombre de citations)

Nous remarquions que les deux aspects “dans” et “hors” champ mathématique, semblaient équilibrés. Il ressortait par contre une tendance “scolaire” de cette approche, l’apport quantitatif éclipsant les autres entrées du champ mathématique listé plus avant. Pour compléter ce qui précède, nous relevions que la majorité d’entre eux estimaient que cet apprentissage à l'école nécessiterait un acquis mathématique préalable. Ils accompagnaient cet avis des arguments suivants (p. 92) :

Tableau 28 : Les apports scolaires préalables à un apprentissage de la stat. selon les prof. des écoles
Tableau 28 : Les apports scolaires préalables à un apprentissage de la stat. selon les prof. des écoles

Outre la part importante de non-réponses, ces acquis préalables prenaient une forte coloration d’apport de connaissances mathématiques (représentation scolaire), très éloignée de toute notion de pensée statistique, voire d’esprit statistique. De plus, les connaissances mathématiques laissaient une place importante à l’étude des tableaux et graphiques. Par la question : l'étude de la statistique à l'école primaire vous paraît superflue car, nous pouvions essayer d'expliciter les réticences perçues de la part des enseignants de l’école élémentaire à l'encontre de la statistique. Voici, regroupées en classes, les réponses apportées (p. 95) :

Tableau 29 : Les risques d’un apport statistique à l’école primaire, vus par les professeurs des écoles
Tableau 29 : Les risques d’un apport statistique à l’école primaire, vus par les professeurs des écoles
Figure 13 : Les risques d’un apport statistique à l’école primaire, vus par les professeurs des écoles
Figure 13 : Les risques d’un apport statistique à l’école primaire, vus par les professeurs des écoles

La prégnance du fait professionnel scolaire qui rassemble : programmes, image de l’école et position des maîtres, tient une place majeure avant même les difficultés envisagées d’apprentissage par les élèves. La réponse privilégiée est le risque de “redite”, d'ajout encore et toujours d'objectifs nouveaux aux programmes scolaires et d’éparpillement du temps scolaire de l'élève. Les maîtres ne reflètent souvent qu’un souvenir ou qu’une actualité caricaturale de la statistique en la réduisant à des indices (moyenne, écart type, fréquences, etc.) ou à des notions (population, variable, effectif, diagramme, histogramme, etc.). Présenté ainsi, l’ensemble statistique tendrait plus à saturer les pratiques scolaires en place plutôt qu’à les enrichir. Mais une des principales lignes à tirer de cette première étude, était une profonde méconnaissance par les enseignants, de ce que la statistique pourrait apporter aux élèves de l'école primaire plutôt qu'un refus définitif, argumenté.

Enfin, nous nous posions la question de savoir quel était l'usage réel qui était fait de la statistique, en classe ; les réponses des enseignants furent les suivantes (p. 96) :

Tableau 30 : Les usages de la statistique en classe, vus par les professeurs des écoles
  Nombre de réponses
Ce n'est plus qu’une simple idée, c'est une pratique. 6
C'est encore une idée, j'ai l'intention d'aborder la statistique. 1
Je n'ai pas encore eu l'idée mais je vais y réfléchir. 9
Je n'ai pas encore eu l'idée, je ne pense pas aborder la statistique dans l'immédiat. 9
Non-réponse 2

Le constat de mise en acte réel représentait une part bien maigre. Nous voulions compléter cet aspect par savoir si, pour l'organisation de leur travail, ils faisaient appel à la statistique. Et dans ce sens, nous avions observé si le projet d’école de leur établissement (qui rassemble les idées de remédiation aux faiblesses analysées, par une anticipation, une communication, des actions, des engagements, etc.), faisait référence pour l’évaluation de l’état des lieux, à la statistique. Ce qui a donné le tableau suivant (p. 97) :

Tableau 31: Le recours à la statistique dans les projets d’école primaire
Tableau 31: Le recours à la statistique dans les projets d’école primaire

Lors du questionnement des professeurs des écoles (COUTANSON, 2004), nous leur demandions ce que favoriserait l’apprentissage de la statistique par les élèves du cycle III, à l’intérieur des domaines mathématiques de l’école primaire ; voici les réponses obtenues :

Tableau 32 : Les apports de la statistique à l’école primaire, vus par les professeurs des écoles
Une aide à la connaissance : Tout à fait en désaccord Assez en désaccord Assez d’accord Tout à fait d’accord Non réponse Résultats pondérés* Rang d’appré-ciation
des nombres, des activités numériques 1 1 25 3 3 + 28 N°1
des mesures 2 10 14 2 5 + 4 N°3
de la géométrie 6 16 6 1 4 - 14 N°4
de la résolution de situations problèmes 1 3 28 0 1 + 23 N°2

* Si l’on pondère les résultats (+ 2 points pour “Tout à fait d’accord”, + 1 point pour “ Assez d’accord”, -1 point pour “ Assez en désaccord” et -2 points pour “ Tout à fait en désaccord”).

Nous constations “l’évidence” pour les professeurs, de l’effet d’un enseignement statistique sur celui des mathématiques pour le domaine des nombres, des activités numériques et de la résolution de situations problèmes. Ce qui relève certainement de l’usage technique et opératoire effectué sur les tableaux et graphiques. Les répercutions sur les mesures sont faibles alors que la précocité de présentation des marges d’erreur semblerait ici essentielle. Les répercutions, par contre, sur la géométrie sont même négatives. Ce qui a tendance à montrer qu’un savoir ne “s’improvise” pas et qu’avant de tendre une passerelle entre le savoir personnel du maître et sa “transmission” à l’élève, il y a un pas immense, difficile à établir sans requérir une aide pédagogique et didactique spécifique à apporter à l’enseignant.

Nous les questionnions dans la foulée, pour savoir si l’apprentissage de la statistique favoriserait celui des autres disciplines de l’école primaire ; voilà d’autres réponses obtenues :

Tableau 33 : Les apports de la statistique aux autres discipline à l’école, vus par les prof. des écoles
Une aide à l’apprentissage : Tout à fait en désaccord Assez en désaccord Assez d’accord Tout à fait d’accord Non réponse Résultats pondérés* Rang d’appré-ciation
arts plastiques et musique 12 14 2 0 5 - 36 N°6
éducation civique 1 4 19 8 1 29 N°3
EPS 5 9 13 2 4 - 4 N°4
français 6 8 14 0 5 - 6 N°5
histoire et géographie 1 1 17 11 3 36 N°2
sciences et technologie 1 1 16 13 2 39 N°1

* Si l’on pondère les résultats (+ 2 points pour “Tout à fait d’accord”, + 1 point pour “ Assez d’accord”, -1 point pour “ Assez en désaccord” et -2 points pour “ Tout à fait en désaccord”).

Si l’on résume le tableau précédent, les professeurs envisageraient un lien statistique :

  • très fort en direction des sciences et technologie et de l’histoire / géographie,
  • fort en direction de l’éducation civique,
  • négatif en direction de l’EPS et du français,
  • très négatif en direction des arts plastiques et musique.

Ces résultats, parfois contradictoires avec les précédents, apportaient déjà plusieurs éléments de réponses à l’indécision des enseignants : la méconnaissance de la statistique, la difficulté à l’intégrer au sein des apprentissages des élèves en cours, la difficulté aussi à prendre suffisamment de distance vis-à-vis de l’opinion commune nécessaire à l’exercice du métier et surtout l’incapacité à percevoir les éléments principaux de cet enseignement et les difficultés d’ordre didactiques que pouvait faire surgir son introduction à l’école primaire. C’est pour cette raison qu’ultérieurement, nous avons lancé un examen plus approfondi du contenu de la présence statistique à l’intérieur des manuels scolaires en cours. Après cette approche des représentations de la statistique par les maîtres d’école, examinons celles que les élèves lui portent.