4.1.5. Entrer dans les graphiques statistiques

L’école a désormais la lourde responsabilité d’introduire dans ses attributions, l’apprentissage de la lecture statistique des représentations du monde. Comme le met en avant Jean-Claude Duperret (DUPERRET, 2001, p. 11) :

‘« Nous vivons dans un monde d’images, et celles usuellement utilisées pour “montrer” un phénomène statistique sont les graphiques. C’est certainement ici que l’enseignement des statistiques a la plus grande vocation de formation du citoyen : choisir le graphique le mieux adapté à la situation, le construire en respectant les règles mathématiques ; comprendre, analyser, critiquer un graphique ; comparer différents graphiques... »’

Mais dans la réalité des séances en classe, les outils statistiques sont souvent exposés aux élèves comme une évidence effective, sans évoquer la nécessité réelle d’une appropriation préalable. Pourtant, il n’y a ni modèle unique ni évidence de lecture ! Les principaux graphiques abordables au cycle III de l’école élémentaire peuvent se scinder en deux groupes (pp. 11 et 12) :

‘“Les graphiques « de fonction » [où] on présente les couples (modalité ; effectif) selon le couple de directions (horizontal ; vertical). Ce sont les diagrammes en bâtons et en barres, les histogrammes, les polygones d’effectif. Suivant le type de caractère, l’axe présentera une structure d’ordre ou non. Dans ce type de graphique, on veut faire apparaître que l’effectif est fonction de la modalité.
“Les graphiques « de partition » [où on] s’adresse essentiellement à des caractères qualitatifs ou quantitatifs considérés comme qualitatifs. Ce sont des diagrammes en bande, circulaires, semi-circulaires, elliptiques. Dans ce type de graphique, on veut faire apparaître que les diverses modalités déterminent une partition de la population.”’

Quelles sont les qualités à attendre d’un graphique ? La suite de cet article, en liste quatre :

Toutes les difficultés de lecture, afférentes à l’obligation de saisir en continu deux données respectives, à appréhender des échelles de présentation, à percevoir l’idée de classe, d’étendue, de limites, de moyenne, de mode, de variable continue ou discrète, de linéarité, de courbe en palier etc., toutes ces difficultés ne le sont en fait que par l’oubli trop souvent révélé, d’une absence totale de leur apprentissage systématique comme objectifs et compétences reconnus et engagés. Les instructions réclament de la part de l’élève, la capacité d’usage des représentations graphiques de la statistique et paradoxalement, elles n’en déclinent pas les compétences sous-jacentes nécessaires à son utilisation. Nous pouvons constater en parcourant le contenu des manuels scolaires, qu’ils prêtent à l’élève les qualités d’utilisateur habitué de ces outils statistiques sans laisser place à un chapitre spécifique d’apprentissage organisé en listant les compétences indispensables (COUTANSON, 1999).

Pour ne pas surcharger le texte, la lecture de l’article de Bernard Parzysz, intitulé Heurs et malheurs du su et du perçu en statistique (PARZYSZ, 1999), apporte une réflexion importante en ce domaine et complète notre interrogation sur le fondement du choix du type de représentation graphique retenu dans les situations travaillées. Doit-on opter pour les graphiques de fonction ou les graphiques de partition ? Dans chaque catégorie, comment arrêter son choix sur un modèle de graphique sans induire de fausses représentations, voire d’erreurs mathématiques ? Peut-on ainsi glisser indûment par exemple, d’un diagramme circulaire à un diagramme semi-circulaire ? La mise en couleur, en perspective, en relief etc. de la présentation, apporte-t-elle davantage de lisibilité sans nuire à la fidélité ? De la même manière, le choix des icônes, leur dimension etc. ne risquent-ils pas d’altérer la validité recherchée du graphique ? N’y a-t-il pas pour chaque cas, relevant de disciplines particulières, des habitudes professionnelles attendues par des lecteurs habituels ? L’anticipation météorologique par exemple, peut-elle du jour au lendemain, changer radicalement sa forme de présentation au sein des journaux quotidiens ?

L’élève doit donc s’inscrire dans une démarche constructive des éléments lui permettant d’appréhender et de communiquer ces représentations statistiques graphiques, en toute connaissance, tout en s’inscrivant également dans une culture ambiante des habitudes statistiques en cours. Deux particularités à souligner, qui ont trait à l’apprentissage des tableaux et graphiques : l’idée d’histogramme et le calcul de la moyenne. Un cas particulier : l’histogramme. Très souvent, il y a abus de langage en désignant des diagrammes en barres sous la dénomination d’histogrammes (REGNIER, 2001, p. 21). Là, où l’on fait par extension rapide, une lecture de fréquence au lieu d’une lecture d’effectifs, il faut comprendre que :

‘la donnée “abscisse” correspond à l’unité de la variable utilisée,
la donnée “ordonnée” correspond à l’unité de fréquence, probabilité ou effectif,
la donnée “surface” correspond à l’unité de densité de fréquence ou de probabilité.’

A ce problème didactique, Jean-Claude Girard (GIRARD, 2001, p. 43) propose une évolution graduelle de l’approche de l’histogramme par les élèves ; progression que l’on peut résumer de la manière suivante en abordant successivement :

Tableau 35 : Proposition d’apprentissage progressif des tableaux statistiques
    Compétences recherchées
1 Les tableaux de données Lire et compléter une représentation à deux dimensions
2 Les graphiques avec des étoiles (placement d’autant d’étoiles que d’occurrences d’une même valeur) Idem avec recours à des unités, à des valeurs arrondies
3 Les graphiques avec des points appelés “Dot-Plot” Introduction de la difficulté des échelles.
4 Les graphiques avec recours aux valeurs décimales et inscription de celles-ci à la place des étoiles comme dans la ligne n°1 (appelés “Stem and Leaf” ou “tiges et feuilles” comme pour les horaires de passage de bus) Difficulté à regrouper les valeurs dans des intervalles ouverts.
5 Les histogrammes (par rotation des axes, travail sur les bornes...) Introduction de la proportionnalité

Dans ce même article, Jean-Claude GIRARD fournit la synthèse suivante :

Tableau 36 : Compétences requises pour l’utilisation des différentes formes de tableaux statistiques
  Permet de retrouver les valeurs exactes Nécessite la maîtrise des graduations
(1 ou 2 dim.)
Nécessite l’usage de la proportionnalité Nécessite le codage
effectif-longueur
Nécessite le codage
effectif-surface
Tiges et feuilles Oui        
Points Oui 1      
Etoiles   1 Eventuellement    
Diagrammes en barres   2 Oui Oui  
Histogrammes   2 Oui Oui Oui

La difficulté majeure du maniement des histogrammes, est de comprendre que l’on traduit de cette manière, des lectures et des opérations sur des densités d’effectifs !

Un autre problème lié à l’usage / observation des graphiques statistiques est : la moyenne. Nous la rencontrons fréquemment du fait de son apparente simplicité. Dans le calcul de celle-ci, interviennent toutes les valeurs accordées à la variable, y compris celles qui peuvent paraître les plus aberrantes, et sans tenir compte en plus, de l’allure générale du graphique proposé. La moyenne est en quelque sorte une opération mathématique qui peut travailler en aveugle. Elle consiste (GIRARD, 2001, p. 63) à « remplacer la série x1, x2, x3, x4, …, xn par une série constante a, a, a, a, …, a qui soit la plus proche possible de la série de départ ». Or, pour illustrer concrètement la signification de ce calcul, il faut aider l’élève à en décliner tous les aspects :

La moyenne doit-elle également, représenter la stabilité mathématique observée ou l’équilibre du choix recherché par le concepteur ou l’observateur du phénomène ? Dans ce cas, la moyenne pour devenir pertinente, doit se traduire par une pondération volontaire de certaines modalités recherchées. L’usage des graphiques dépasse de ce fait le simple algorithme mathématique. La moyenne communément admise, se trouve très vite limitée dans son interprétation si elle n’est pas suivie par d’autres indices : le(s) mode(s), la médiane et les espaces interquartiles. Ces derniers, illustrés par l'emploi de boîtes à moustaches sous-entendent et éclairent en même temps le maniement des pourcentages ; sa présentation fournirait une entrée intéressante à l’intérieur des programmes du cycle III de l’école élémentaire.