4.3.1. Le SMS dans une logique d’apprentissage de la statistique 

Que peut donc signifier pour les élèves, l‘idée de statistique ? Cette étude doit s’intégrer dans le cursus de leur formation scolaire, pour permettre de « comprendre les filiations et les ruptures entre connaissances, chez les enfants et les adolescents, en entendant par “connaissance”aussi bien les savoir-faire que les savoirs exprimés. »(VERGNAUD, 1996, p. 197). De ce fait, analyser comment peut s’insérer un apprentissage de la statistique descriptive au cycle III de l’école primaire, revient à observer les effets de cet apprentissage, étudiés dans une progression conjointe du développement cognitif des élèves et de leur cheminement en tant que somme constituée d’un bagage scolaire correspondant à ce niveau. Dans cette logique d’organisation, nous nous appuierons pour notre recherche sur les travaux de Gérard Vergnaud et plus précisément sur la théorie des “champs conceptuels” qu’il a élaborée.

Parler d’un apprentissage de la statistique à l’école élémentaire, c’est introduire un (des) concept(s) nouveaux, souvent en rupture forte avec les contenus et habitudes précédemment mis en place par les élèves. Le choc évoqué plus haut, manifesté par les étudiants de Licence de Sciences de l’Éducation face au contenu des cours et surtout à l’approche de l’épreuve d’évaluation de l’épreuve de statistique, celui des enseignants pris par le paradoxe d’accepter la réalité actuelle et fonctionnelle de la statistique mais d’être incapables de l’enseigner - incapacité à en maîtriser suffisamment les bases mais aussi crainte à l’idée que cette introduction entre en opposition logique avec les programmes scolaires en place -, ce choc donc, est prévisible au niveau des élèves du cycle III. Si nous nous référons à la théorie des champs conceptuels de G. Vergnaud, la thèse sous-jacente à celle-ci, s’appuie sur (VERGNAUD, 1996, p. 227) :

‘« l’idée d’histoire comme une idée essentielle […]. Il ne s’agit pas de l’histoire des mathématiques mais de l’histoire de l’apprentissage des mathématiques. Cette histoire est individuelle. Pourtant on peut repérer des régularités impressionnantes d’un enfant à l’autre, dans la manière dont ils abordent et traitent une même situation, dans les conceptions primitives qu’ils se forment des objets, de leurs propriétés et de leurs relations, et dans les étapes par lesquelles ils passent. Ces étapes ne sont pas totalement ordonnées ; elles n’obéissent pas à un calendrier étroit ; les régularités portent sur des distributions de procédures et ne sont pas univoquement déterminées. Mais l’ensemble forme cependant un tout cohérent pour un champ conceptuel donné ; on peut notamment repérer les principales filiations et les principales ruptures, ce qui constitue la justification principale de la théorie des champs conceptuels. » ’

Ainsi, outre un travail plus approfondi qui nous conduirait à lier l’apprentissage statistique aux travaux effectués par les recherches en psychologie cognitive pour expliquer ce qui est alors en jeu dans le développement cognitif des élèves du cycle 3 - et ceci en tenant compte de tous les événements rencontrés par l’enfant depuis sa naissance - , nous nous limiterons ici, à l’observation de la marque scolaire comme composante essentielle d’un savoir personnel de la statistique par les élèves. Interrogeons donc l’architecture de la construction de ce savoir mathématique telle qu’elle a dû être abordée par un élève du cycle III concerné par notre enquête. Pour lui, l’outil statistique fait référence en grande partie, à des notions non rencontrées jusqu’ici (population, éléments, variables, modalités, effectifs etc.). Pour ce qui est de l’art de raisonner, démontrer n’est bien sûr pas à l’ordre du jour de l’école élémentaire ; l’activité de l’élève, revient à essayer d’inclure la situation présente dans un ensemble de situations similaires, et, par le jeu d’un enchaînement personnel déjà expérimenté d’actions mathématiques et d’algorithmes de résolution d’opérations, d’atteindre le résultat. Dans notre cas, pour l’apprentissage de la statistique, aucun appui tel qu’il est présenté ci-dessus, n’est possible. Pour l’élève, ces situations entrent dans un champ nouveau, selon la définition de Vergnaud. Il ne pourra faire référence à des situations statistiques préexistantes, déjà rencontrées et traitées par lui-même. Il aura donc tendance à prendre appui sur des situations autres, mais déjà résolues au plan scolaire et qui lui sembleront similaires. Nous pouvons supposer que la présence de tableaux pèsera dans son choix et que leur usage préexistant au cycle III (déjà depuis le cycle I), en tant qu’outil mathématique, avec le risque de l’usage abusif d’opérations à partir des données numériques, apparaîtra dans les procédures des élèves.

Là, où les résultats obtenus devraient être marqués par l’incertitude, par l’encadrement de l’éventail du champ des réponses possibles, des limites infranchissables par la présence d’un risque encouru etc., l’élève, par habitude, sera en attente d’un résultat, précis, quantifiable et vérifiable (soit directement pour les petites quantités, soit aisé à représenter ou calculer pour les plus grandes quantités). Or, en présence d’un tableau statistique, l’intérêt réside à pouvoir comparer les données, les lignes, les colonnes les unes par rapport aux autres, à comparer les individus d’une population entre eux, les modalités d’une variable entre elles, à vérifier l’indépendance des variables entre elles, etc. A l’école élémentaire, peu de situations (voire même aucune), ne sont engagées dans l’idée de faire extraire par les élèves, des tendances. C’est certainement l’introduction de la proportionnalité qui propose pour la première fois la double expérience scolaire : celle de la confrontation raisonnée à un modèle mathématique (est-ce un cas de proportionnalité ou non ?) et celle de l’incitation à prospecter ce que ce modèle peut nous laisser entrevoir d’une projection dans le futur de cette situation (par exemple : les intérêts sur un capital, l’augmentation régulière d’une production etc.). Jusqu’ici, dans l’esprit des élèves, l’emploi des opérations arithmétiques s’apparentait plus à un automatisme répondant par mimétisme à l’emploi de l’opération liée à l’apprentissage scolaire en cours dans la classe, et toute idée d’anticipation se résumait souvent à extraire d’une suite de nombres donnés, sa logique de constitution, pour en prévoir alors les éléments suivants (et ainsi, le successeur du successeur sera précisément trouvé).

Ainsi, dans le cas de la statistique, toute habitude d’obtention d’un résultat précis, acquis de façon raisonnée, sans ambiguïté ni obligation d’analyse ou commentaire, devra faire place au prévisible, à la réponse non automatique, encadrée, acceptant l’idée d’une marge d’erreur et l’obligation d’interprétation. Cet aspect est accentué par les domaines nouveaux que la statistique permet d’aborder : de la quantification réalisée comme action évidente (mesure de longueurs, d’aires, de durée, de cardinal d’un ensemble, etc.), elle confronte alors les élèves à la sphère des mesures de satisfaction, de décisions, de constats climatologiques, de différences de réussite à des épreuves, etc. La variabilité n’est plus contournée ; tout devient nouveau, et questionne la façon de quantifier (quelles unités de satisfaction choisir, quel rapport établir entre elles, comment faire référence à une norme, comment quantifier et dans quelle condition, etc.). La rencontre avec l’univers statistique, paraît donc présenter l’aspect d’une découverte par l’élève du cycle III de l’école élémentaire, plus que celui d’une action s’inscrivant à l’intérieur d’un apprentissage déjà en cours.

Récapitulons les écueils relevés précédemment, qui, appliqués à l’élève, risquent de s’élever au rang d’obstacles épistémologiques. Voici les principaux :

  • la confrontation à l’incertitude (de la manière de porter une observation sur la situation, de l’analyser, de choisir un traitement parmi d’autres, d’en interpréter les résultats jusqu’à communiquer un résultat encadré par un risque d’erreur),
  • l’acceptation de la prise en compte de la prévision du futur,
  • la rencontre de domaines de références nouveaux relevant de la variabilité,
  • l’abandon d’un “réflexe arithmétique” face aux situations problèmes proposées par l’enseignant.

Examinons maintenant, comment peut s’intégrer l’apport statistique à l’intérieur des contenus des programmes de l’école primaire.