4.3.2. Le SMS dans la logique du cursus des apprentissages scolaires

Tenter l’élaboration d’un “Savoir Minimum de Statistique”, c’est essayer dans un premier temps, et avant toute expérimentation avec des élèves, de faire le point sur leur “acquis mathématique” déjà en place ; c'est-à-dire prendre en compte les avancées de leur savoir situé dans leur cursus scolaire déjà effectué. Cet aspect pragmatique de la recherche nous oblige à anticiper les ruptures et obstacles divers susceptibles de poindre. En effet, les études concernant un apprentissage plus précoce de la statistique dès l’école primaire n’ayant encore que très peu été abordées par les chercheurs dans ce domaine, les travaux susceptibles d’asseoir notre étude font actuellement défaut. Il faut par ailleurs noter que, en parcourant à nouveau et simultanément les programmes scolaires des cycles II et III de l’école élémentaire, mais cette fois-ci avec la double expertise d’enseignant à ces niveaux scolaires et de chercheur ayant déjà travaillé sur les apprentissages statistiques, il paraît intéressant de combiner les deux approches pour se mettre soi-même en apprentissage et repérer de la sorte, par anticipation les premiers blocages et incompréhensions des élèves, à prévoir. Une étude cohérente intéresse non seulement les contenus du savoir scolaire mais aussi la logique de l’appropriation de ces contenus. Pour notre cas, les élèves du cycle III, à l’école, actuellement, reçoivent un enseignement prescrit par les instructions officielles de 2002, reformulées et allégées par celles de 2007 puis 2008. Pour que notre démarche de recherche soit méthodique, il nous faudra anticiper ce que peut signifier pour eux, au stade scolaire concerné, l’idée de résolution de situations problème statistiques, par le biais de l’analyse des représentations classiques des situations statistiques que sont les tableaux, graphiques et diagrammes. Pour eux, les diagrammes et graphiques apparaissent comme éléments nouveaux alors que les tableaux ont été rencontrés depuis l’école maternelle. Ce sont donc ces derniers qui retiendront notre attention. Nous étudierons les effets de l’insertion d’un apprentissage de la statistique par l’analyse du chapitre des programmes qui l’englobe (Exploitation des données) ainsi que l’évolution des savoirs pour les domaines : du champ numérique, des opérations et de la proportionnalité qui, dans les situations proposées, sont très proches de notre objet. Nous observerons enfin la place que tiennent les tableaux statistiques dans les classes et quelle traduction peuvent en faire les élèves.

L’étude des programmes au travers du domaine Exploitation de données numériques peut s’effectuer en deux temps : pour les programmes du cycle II et plus loin du cycle III.

Premier temps : Étude des programmes du cycle II

Voici donc le contenu et le résumé du chapitre traitant de l’exploitation des données numériques :

Tableau 48 : Chapitre Exploitation de données numériques des les programmes du cycle II
“PROGRAMME du cycle II (dit des Apprentissages fondamentaux) : Chapitre “ Exploitation de données numériques”
CONNAISSANCES CAPACITÉS
1.1 Problèmes résolus en utilisant une procédure experte
Les connaissances utiles pour ce chapitre sont notamment celles concernant les nombres et les opérations, décrites ci-dessous.
- utiliser le dénombrement pour comparer deux quantités ou pour réaliser une quantité égale à une quantité donnée ;
- utiliser les nombres pour exprimer la position d'un objet dans une liste ou pour comparer des positions ;
- déterminer, par addition ou soustraction, le résultat d’une augmentation, d’une diminution ou de la réunion de deux quantités ;
- déterminer, par addition ou soustraction, la position atteinte sur une ligne graduée à la suite d’un déplacement en avant ou en arrière ;
- déterminer, par multiplication, le résultat de la réunion de plusieurs quantités ou valeurs identiques.
1.2 Problèmes résolus en utilisant une procédure personnelle - dans des situations où une quantité (ou une valeur) subit une augmentation ou une diminution, déterminer la quantité (ou la valeur) initiale, ou trouver la valeur de l'augmentation ou de la diminution ;
- déterminer une position initiale sur une ligne graduée, avant la réalisation d’un déplacement (en avant ou en arrière) pour atteindre une position donnée ou déterminer la valeur du déplacement ;
- dans des situations où deux quantités (ou valeurs) sont réunies, déterminer l’une des quantités (ou l’une des valeurs) ;
- dans des situations où deux quantités (ou deux valeurs) sont comparées, déterminer l’une des quantités (ou l’une des valeurs) ou le résultat de la comparaison ;
- dans des situations de partage ou de distribution équitables, déterminer le nombre total d’objets, le montant de chaque part ou le nombre de parts ;
- dans des situations où des objets sont organisés en rangées régulières, déterminer le nombre total d’objets, le nombre d’objets par rangées ou le nombre de rangées ;
- dans des situations où plusieurs quantités (ou valeurs) identiques sont réunies, déterminer la quantité (ou la valeur) totale, l’une des quantités (ou des valeurs) ou le nombre de quantités (ou de valeurs).

Analyse de ce qui précède :

Cette entrée dans les programmes mathématiques se fonde sur des connaissances :

Les comparaisons se font :

De cette analyse, il ressort que dans la logique de construction de compétence, l’usage de tableaux à double entrée, de listes, de leur construction / utilisation sont rappelés mais dans les faits, le recours aux listes est là pour faire état du cardinal d’un ensemble d’éléments et donc de l’entrée comparative qui lie ces derniers (le sexe des élèves, la séparation des animaux domestiques ou sauvages etc.), mais jamais sur l’organisation des éléments de cette liste et des logiques d’ordonnancement qui en résultent.

De plus, rappelons-le, toutes les actions de comparaison, comme il est évoqué en introduction, doivent initier les élèves à « prévoir quel sera le résultat d’actions sur des quantités, des positions ou des grandeurs (augmentation, diminution, réunion, partage, déplacement...) ». Un résultat d’actions toujours prévu, habitue les élèves, à percevoir un environnement prévisible dans l’univers mathématique. Les exemples présentés sont immuables dans le temps (l’âge des élèves, leur mois de naissance…) ou très peu propices à évoluer (par exemple : les effectifs des classes ou les répartitions filles / garçons). Il en résulte cette habitude de lier le mot « situation problème » avec recherche :

Dans la logique de notre analyse concernant l’usage des tableaux à double entrée, en ce qui concerne le chapitre Connaissance des nombres entiers naturels, il faut noter les points forts suivants :

et en qui concerne le chapitre Calcul, il retient notre attention par l’insistance à rappeler l’exigence du travail sur les tables d’addition et de multiplication. On peut lire connaître ou reconstruire très rapidement les résultats des tables d’addition de 1 à 9, connaître et savoir utiliser les tables de multiplication par deux et cinq).

En résumé, nous pouvons déjà percevoir comme obstacles prévisibles le fait :

Autrement dit, nous en concluons que cette approche scolaire restreint la perception que l’on doit avoir :

Cet état des lieux relatifs à la maîtrise attendue des tableaux à double entrée à l’issue du cycle II montre le décalage avec ce que nous projetterions d’installer pour l’insertion d’une approche statistique. Pour une meilleure connaissance du développement de la formation en statistique, il nous faudra conduire des observations sur les connaissances des élèves à l’issue de l’école élémentaire. Ce que nous engagerons dans des travaux ultérieurs. Mais pour comprendre comment opère la progression scolaire, nous allons étudier les programmes du cycle III.

Deuxième temps : Étude des programmes de cycle III

Si l’on restreint une nouvelle fois notre analyse aux chapitres concernant l’exploitation des données numériques, voici le contenu, donné pour le cycle III de l’école élémentaire et les conclusions que nous pouvons en tirer pour notre étude.

Tableau 49 : Chapitre Exploitation des données numériques des programmes du cycle III
Exploitation de données numériques
CONNAISSANCES CAPACITÉS
1.1 Problèmes relevant des quatre opérations - résoudre des problèmes en utilisant les connaissances sur les nombres naturels et décimaux et sur les opérations étudiées
1.2 Proportionnalité - résoudre, dans des cas simples, des problèmes relevant de la proportionnalité (pourcentages, échelles, conversions...), en utilisant les propriétés de linéarité, ou par l’application d’un coefficient donné dans l’énoncé ou calculé ;
1.3 Organisation et représentation de données numériques -organiser des séries de données (listes, tableaux...) ;
- lire, interpréter et construire quelques représentations : diagrammes, graphiques.

Certes, comme il l’est rappelé en introduction, « ce domaine recouvre l’ensemble des problèmes à l’intérieur desquels les nombres et le calcul interviennent comme outils pour traiter une situation, c’est-à-dire pour organiser, prévoir, choisir, décider » mais dans les faits, (ce sera un des objectifs attendus lors de l’étude des manuels dans la partie 3 de cette étude), les élèves ne sont-ils pas surtout amenés à lire des données, à les utiliser pour effectuer ensuite des calculs mais rarement à se poser des questions à leur sujet ni à les comparer dans leur globalité ? Il en serait de même pour la construction de tableaux et graphiques, pour la collecte ou l’organisation de données. Enfin, l’interprétation et la prise de décision fondée qui lui succéderont, sont-elles ensuite abordées ? Sur le plan général, le cycle III se caractérise par l’entrée en masse de la proportionnalité. Bien que celle-ci apparaisse comme le premier cas scolaire où l’élève est placé face à un choix de modèles mathématique (comme relaté plus avant), il n’en demeure pas moins que ce dernier reste dans des représentations totalement prédictibles (cas de proportionnalité) ou situations laissées de côté comme impénétrables (car de non proportionnalité). De plus, la proportionnalité étudiée à l’école, a tendance à resserrer ces exemples d’utilisation autour des surfaces, des prix, des intérêts sur capital, des pourcentages d’ingrédients comme pour les recettes de cuisine, des rapports temps / longueur / vitesse, au risque de formater les représentations des élèves à cette restriction devenue habituelle.

Nous remarquons qu’il faut noter au passage, l’introduction simultanée parmi les recommandations institutionnelles de l’utilisation de données d’une part et de leur inscription à l’intérieur de diagrammes et de graphiques d’autre part. Cet usage d’outils nouveaux de représentation des situations, permet-il une avancée pour les élèves dans la conceptualisation de ce qu’est un modèle mathématique ? Il faudrait réellement mesurer la portée de cette introduction et mesurer les effets du passage possible entre les différentes représentations des situations (tableaux, textes, graphiques, iconiques, etc.) (DUVAL, 2005). Chacun peut constater par ailleurs, le risque d’amalgame grandissant dans l’usage de tableaux ; à la confusion avec les tables d’opération ou de traitement des situations de combinaison de données, s’ajoute l’écueil de l’arrivée nouvelle des traitements de la proportionnalité et des tableaux de conversion de mesure.

En définitive, le passage des élèves au travers du cycle III, les outille d’un ensemble de connaissances plus étoffées des nombres et de leurs rapports, mais les grandes lignes signalées à l’issue du cycle II n’ont pas profondément changé. Ce qui trace déjà les limites et dysfonctionnements à attendre de l’usage des tableaux lors de l’apprentissage de la statistique descriptive par les élèves de ce niveau scolaire ; c'est-à-dire, répétons-le, des difficultés à :