4.3.3. Le SMS dans la logique d’une automatisation scolaire

Revenons à notre question de départ : Le contenu des apprentissages scolaires à l’école primaire ainsi que la logique de leur organisation, prépare-t-elle à aborder la variabilité ? Quels obstacles didactiques sont-ils à prévoir ? Certes, le renouveau de l’apprentissage des sciences incite à initier les élèves à l’étude expérimentale de quelques phénomènes de notre environnement. Mais dans la réalité, le comportement de ceux-ci reste fermement induit par leurs premiers pas dans l’univers des mathématiques. Analysons pour cela, les programmes au travers du domaine du champ numérique, des opérations et de la proportionnalité.

Le champ numérique

Les élèves ne dépassent pas, à l’issue du cycle II, l’ensemble des entiers naturels (N). L’élargissement aux décimaux ne se déroule qu’au cycle III, et encore sans effleurer les nombres négatifs. Or, par expérience, les enseignants du primaire savent combien il est difficile de franchir cette étape ; jusqu’ici, de la maternelle (classes de PS1, PS2, MS, GS) et ensuite élémentaire (CP, CE1, voire CE2), la frise numérique a toujours été présentée comme une suite de petits éléments successifs, collés les uns aux autres, sans espaces intermédiaires, au point qu’il est très difficile pour les élèves de concevoir ensuite un nombre entre 2 et 3 par exemple, et ensuite d’en admettre un, entre 2,1 et 2,2, quand la première étape est réussie ! Leur approche du comptage comme de la mesure n’est pas préparée à faire la distinction entre une échelle de valeurs continues et une autre de valeurs discrètes.

De plus, à la lecture des manuels scolaires, il ressort que les quantités comptées, mesurées, représentent toujours des valeurs quantitatives. En dehors des données de quantité, de score, les élèves ne sont que très peu mis en présence d’exemples de données de rangs et quasiment jamais en contact avec des valeurs qualitatives qu’il faudrait essayer d’amender, comparer, hiérarchiser etc. L’univers qualitatif, par son absence scolaire, ne permet pas l’approche nuancée des données, qui distinguerait : simples données “étiquettes”, données qualitatives “désignatives” (ex : les différentes modalités des couleurs utilisées) et données qualitatives ordonnées.

Avec ce premier constat, il est à prévoir que l’approche prioritaire, à définir les variables en jeu dans la description statistique d’une situation, aura de la difficulté à s’installer. Cette définition des variables, endosse le paradoxe suivant :

Ce qui apparaît comme un handicap pour l’élève, au sein du cursus scolaire primaire actuel, pour aborder comme préconisé par les Instructions officielles, l’analyse des données, au cycle III.

Les opérations arithmétiques rencontrées.

Au début du cycle III, les élèves ont fait l’apprentissage de l’addition, de son corollaire la soustraction et de la multiplication.

Revenons à l’addition et à sa définition dans la théorie des ensembles :

Soient A et B deux ensembles disjoints, la somme des cardinaux des ensembles A et B est définie de la manière suivante : card (A) + card (B) = card (A∪B). L’addition est une loi de composition interne dans N. A tout couple (a,b) de N x N, est associé un et un seul entier a+b

Rappelons que l’addition est : commutative, associative, avec un élément neutre “0”. Elle rassemble toutes les qualités de régularités opératoires possibles ; qualités qui peuvent désormais paraître communes à toutes les opérations aux yeux des élèves. Et ceci, sur un ensemble N dans lequel la relation “≤” est une relation d’ordre total. Les caractéristiques de l’addition habituent les élèves :

Le champ conceptuel de l’addition, en suivant les études de G. Vergnaud (VERGNAUD, 1996, p. 220), montre que trois schèmes de bases et leurs combinaisons éventuelles, structurent l’usage de l’addition par les élèves : l’addition y apparaît comme transformation d’un état, comparaison entre états ou réunion de deux états. Pour le premier cas, à l’intérieur d’un jeu, si l’on passe par une case qui vous fait empocher 2 points par exemple, cette quantité restera immuable, quels que soient le joueur, les partenaires, le lieu, le moment… Pour le second cas, si la différence d’âge entre un enfant et son père est de 25 ans, cette différence restera également immuable, quelque soit le couple choisi, les circonstances, la durée de projection dans le futur, etc. Pour le troisième cas, si l’on calcule la masse totale des candidats à la prise d’un ascenseur, la décision se fondera uniquement sur la somme de leurs poids respectifs qui devra restée en deçà du seuil de sécurité. Dans la plupart des cas, rien n’oblige à s’arrêter sur l’évolution passée et à venir : que ce soit pour le capital points (ex n°1), l’âge des participants (ex n°2) ou leur masse (ex n°3). De même en général, le type de problème conduit à la mise en œuvre de l’algorithme d’une opération arithmétique, indépendamment du type de données de départ. L’opération choisie est là comme évidente et son algorithme s’applique comme un automatisme naturel. Le résultat n’appelle pas d’interprétation.

De ce fait, les élèves devront ici s’affranchir d’exigences nouvelles, rencontrées en présence de situation statistique ; ils devront ainsi être capables en particulier :

De ce fait également, seront déjà à pointer comme des invariants de cet apprentissage de résolution de situations statistiques :

Passons maintenant à la multiplication et à sa définition :

Dans le cadre de la théorie des ensembles, on définit le produit de deux entiers naturels de la manière suivante : card (A) x card (B) = card (A x B) ; A x B étant le produit cartésien de l’ensemble A par l’ensemble B. C’est l’ensemble de tous les couples dont le premier élément est un élément de A, et le deuxième élément un élément de B.

Or, le premier contact scolaire de la multiplication par les élèves, passe par l’approche suivante : « Pour tout entier n et pour tout entier a : a + a + a + a + a +…. + a = n x a » c’est à dire la somme de n termes égaux à a.

Cette dernière approche éclipse la première, qui fait appel à l’aspect géométrique de la représentation et c’est justement cette dernière qui structure la conception des tableaux et graphiques statistiques.

Remarque : La rencontre des tableaux à double entrée se déroule dès l’école maternelle pour organiser le repérage des éléments de combinaison de couleurs ou formes d’habits par exemple (pulls et pantalons). Les tableaux sont en général à compléter, peu souvent à construire, donnant la possibilité de cases vides ou non. Ce n’est pas une préparation directe à l’analyse statistique d’une situation mais plutôt à celle d’outil mathématique permettant l’obtention mécanique de l’ensemble des combinaisons des éléments proposées par la situation, en l’occurrence ici, l’ensemble des couples (pull, pantalon). Il en résulte que le regard à porter sur le croisement de données ne peut se résoudre à la répétition scolaire de pointages successifs, sans lien entre eux. Des lectures multiples sont indispensables pour appréhender les caractéristiques du contenu d’un tableau de données par exemple.

Institutionnalisation de la proportionnalité :

Voici une définition proposée pour la proportionnalité (DESCAVES, 2007, p. 184) :

‘« Une situation de proportionnalité est une situation qui met en relation deux grandeurs mesurables et qui est modélisable par une fonction linéaire. Les possibilités de résolution des problèmes de proportionnalité s’en trouvent étendues à l’utilisation : des propriétés des proportions extraites des suites des nombres, du coefficient de la fonction linéaire (appelé également coefficient de proportionnalité), des propriétés de linéarité de la fonction ou de celles de la représentation graphique. La résolution des problèmes de proportionnalité peut s’effectuer dans différents cadres (notamment différents registres d’écriture) : cadre des écritures fractionnaires (quotient), cadre des fonctions linéaires, cadre géométrique, cadre des représentations graphiques.»’

Avant sa découverte de la proportionnalité, jamais l’élève n’a réellement été obligé d’analyser la situation proposée par l’enseignant, pour savoir si la réponse relevait parfaitement d’un modèle mathématique abordé jusqu’ici en classe. Si un outil était nécessaire, son choix était évident, sans erreur possible et son utilisation était parfaitement adaptée à la situation étudiée. Avec l’arrivée de la proportionnalité, tout change : il faut argumenter l’adhésion d’une situation à un modèle, en l’occurrence ici, le modèle proportionnel. Si l’on revient à la statistique, les situations et les éléments qu’elle renferme ne relèveront pas automatiquement d’une régularité des données présentées, ni de leur évolution dans le temps.

Il faudra donc non seulement admettre :

Ainsi l’élève devra accompagner les invariants de la démarche statistique, relatés plus haut, d’un état d’esprit indispensable à l’entrée dans cette démarche, et de ce fait accepter :

En résumé des analyses conduites précédemment il ressort que savoir si le contenu des apprentissages scolaires à l’école primaire ainsi que la logique de leur organisation, prépare à aborder la variabilité, révèle l’ambiguïté paradoxale d’un cursus d’apprentissage. D’un côté, ce dernier remplit sa responsabilité d’installer les éléments mathématiques de base, nécessaires aux étapes suivantes mais de l’autre, il prédispose à une forme de simplicité des situations rencontrées, mathématisées, à une régularité des faits observés, à une garantie de parfaite adéquation avec les outils en possession des élèves (relevant du champ de l’addition, de la multiplication et maintenant de la proportionnalité).

Quels obstacles didactiques sont alors à prévoir ?

Si nous résumons cette réflexion, nous pouvons déjà anticiper les difficultés :

Tableau 50 : Bilan de l’approche de la variabilité dans les programmes de l’école primaire
Difficultés à sortir des évidences pour percevoir et organiser : - des lectures multiples (changement de cadres de référence),
- l’approfondissement du hasard selon des bases rationnelles, sans succomber au pur aspect divinatoire,
- les régularités attendues en fonction de la situation à traiter et qui sont peut-être absentes,
- l’usage d’un modèle mathématique qui ne peut se faire qu’après étude, argumentation et choix,
- la construction d’un outil de présentation des réponses, qui auront de toute manière qu’un caractère d’approximation,
- une observation de ou des ensembles de départ…
- l’idée d’indépendance des états, des événements et dans cette suite de la distinction entre causalité et corrélation,
Etc.
Difficultés à
découvrir de nouveaux concepts de description des situations :
- la nature et la forme des variables
- l’étendue de variation d’une variable,
- les notions d’effectif, de population, d’échantillon, de pourcentage, de proportionnalité, de représentativité
- la moyenne, la médiane,
- la nature et l’utilisation de diverses représentations graphiques
Etc.

Après avoir parcouru brièvement l’étude des programmes des cycles II et III, continuons notre recherche des contenus scolaires en place, en fonction des habitudes scolaires qui font usage des outils de la statistique au quotidien de la classe. Pour cela, la marque essentielle revient à la présence des tableaux à double entrée à l’intérieur des clases. Quelle empreinte peuvent-ils laisser sur les élèves par leur usage au quotidien ?