1.3. Un cadre conceptuel proposé par Guy Brousseau pour aborder l’enseignement de la statistique

Comment modéliser les situations d’enseignement ? Il est important dès à présent, de repréciser la référence retenue derrière les termes situation, situation-problème… Guy Brousseau explique le travail de l’élève en ces termes (BROUSSEAU, 1996, pp. 48 – 49) : 

‘« Savoir des mathématiques, ce n’est pas simplement apprendre des définitions et des théorèmes, pour reconnaître l’occasion de les utiliser et de les appliquer ; nous savons bien que faire des mathématiques implique que l’on s’occupe des problèmes. […] Une bonne production par l’élève exigerait qu’il agisse, qu’il formule, qu’il trouve, qu’il construise des modèles , des langages, des concepts, des théories, qu’il les échange avec d’autres, qu’il reconnaisse celles qui sont conformes à la culture, qu’il lui emprunte celles qui lui sont utiles, etc. Pour rendre possible une telle activité, le professeur doit donc imaginer et proposer aux élèves des situations qu’ils puissent vivre et dans lesquelles les connaissances vont apparaître comme la solution optimale et découvrable aux problèmes posés. »’

Les « problèmes ne sont donc que des éléments d’une organisation didactique plus large – la situation – qui comprend, entre autre : des questions, des méthodes, des heuristiques, des informations. » (PORTUGAIS, 1995, p. 35). Pour faire référence au concept de situation didactique, nous nous permettrons dans un premier temps de faire un retour sur l’analyse que Jean Brun accorde à l’œuvre de Guy BROUSSEAU (BRUN, 1996, pp. 11 et 12). La guidance par le professeur, garantit la désignation des objets étudiés et l’ordonnancement de l’apprentissage des savoirs mais cette genèse fictive oublie du même coup, l’histoire des savoirs et le tâtonnement qui a accompagné sa constitution. Elle traduit aussi la différence entre ce qui serait à attendre d’un enseignement de la statistique (le savoir savant) et ce qu’il en résulte en acte dans la classe (le savoir scolaire). Cette transposition didactique au sens de Yves Chevallard (CHEVALLARD, 1985) traduit la somme des transformations imposées par les programmes scolaires et interprétées ensuite par l’action du maître. L’étude conduite ici, s’est penchée de fait sur les deux, par l’analyse des contenus des manuels scolaires utilisés et écrits par les professeurs. La recherche en didactique ne peut occulter le regard posé sur les situations didactiques pour lesquelles, Guy BROUSSEAU (1986), nous invite à nous arrêter pour observer deux risques particulier, qui prennent tout leur sens dans le cas de la statistique : celui du glissement cognitif et celui de l’usage abusif de l’analogie. Dans les deux cas, l’enseignement de la statistique se présente comme un apport didactique à la didactique des mathématiques. Le premier, le glissement cognitif, constitue l’écueil par lequel l’élève se trouve engagé par un glissement de situation, à limiter son approche à une simple validation, de façon naïve, d’un moyen heuristique, proposé par le maître. Il y a déplacement d’un moyen d’enseignement qui devient alors objet au centre d’un enseignement. Une partie de notre recherche est en phase avec cette remarque qui fait que du côté des concepteurs de manuels comme de nous-même, observateur, la confusion fut grande entre recherche d’une présence statistique et celle de compétences attendues des élèves, à analyser, lire et opérer uniquement à partir de tableaux, graphiques, diagrammes ! La seconde, l’usage abusif de l’analogie, suggère à l’élève de percevoir les indices du maître plutôt que d’investir le problème. Là aussi, nous constaterons dans la partie 3, qu’un lien très fort s’établit entre support et tâche demandée à l’élève au risque important d’imposer ce lien spontané avant toute demande d’effort de compréhension et de choix réfléchi par l’élève, d’un enchaînement d’actions, propre à la résolution de la situation concernée.

L’apprentissage de la statistique, requestionne l’enseignant à propos des distinctions portant sur les notions de situations didactiques, situations non didactiques et situations a-didactiques. Dans notre réflexion, il relance deux remarques à leur égard : que veut dire donner sens à une situation proposée aux élèves et quelle peut être l’intention pédagogique attendue en retour ? Très souvent la statistique est perçue comme moyen d’octroyer du sens aux élèves en donnant la possibilité de les immerger dans un cadre de problèmes qui leur est familier. Or, comme le rappelle Gérard Vergnaud (VERGNAUD, 1996, p. 287) :

‘« Ce sont les situations qui donnent du sens aux concepts mathématiques, mais le sens n’est pas dans les situations elles-mêmes. Il n’est pas non plus dans les mots et les symboles mathématiques. Pourtant on dit qu’une représentation symbolique, qu’un mot ou qu’un énoncé mathématique, ont du sens ou plusieurs sens, ou pas de sens pour tels ou tels individus ; on dit aussi qu’une situation a du sens ou n’en a pas. Alors qu’est-ce que le sens ? Le sens est une relation du sujet aux situations et aux signifiants. Plus précisément, ce sont les schèmes évoqués chez le sujet individuel par une situation ou un signifiant qui constituent le sens de cette situation ou de ce signifiant pour cet individu. » ’

Le cadre familier n’est pas une garantie pour l’élève de tisser des liens entre données de départ, finalité recherchée, enjeu personnel, évocation d’enchaînement d’actions de traitement de ces données, supports de présentation employés, etc. Pour ce qui est de l’intention pédagogique, il ressort de l’analyse des manuels, une confusion quasi-permanente entre tâches et activités à l’encontre de l’élève mais aussi du maître. Les apports n’expriment pas de logique apparente à l’intérieur des situations proposées aux élèves comme dans leur planification au fil des pages. Ils traduisent davantage une volonté de faire acquérir des habitudes d’utilisation de registres de représentation au sens de Duval (DUVAL, 1995), que de réelles intentions pédagogiques en vue d’un enseignement de base, structuré, de la statistique. Nous pouvons également relaté les conclusions apportées par Guy Brousseau, revenant sur des travaux conduits entre 1971 et 1973 puis suspendus (travaux qui ont d’ailleurs inspirés l’étude présentée ici au collège Jean Dasté, cf. annexe n°5.4), lors de l’école d’été de didactique des mathématiques (BROUSSEAU, 2003) :

‘« Une situation est fondamentale du premier type si elle vise à fournir un modèle qui, par le jeu de ses variables et de leurs limitations, peut convenir à n’importe quelle situation où cette notion intervient. […] Une situation est fondamentale du deuxième type si elle vise à servir de référence, à représenter symboliquement au besoin, ce qui est essentiel dans les objets et dans leurs relations, de façon à pouvoir y rattacher des situations effectives par “le sens”, par des “représentations” ou par des transformations diverses. […] Une situation est fondamentale du troisième type si elle peut engendrer un processus qui aboutit à la connaissance de la notion par le jeu des questions qu’elle conduit à se poser, et des réponses qu’elle appelle. »’

De ces trois niveaux d’attente, que nous résumerons de manière trop brève par la prise en compte d’un modèle que l’on peut reproduire, de repères, d’expériences, permettant de conforter un modèle et la troisième, d’ambitionner la recherche de la connaissance de la notion envisagée. Selon nous, toute situation statistique observée relève du niveau de la troisième catégorie. Ce qui les place dans un degré de difficulté particulier pour les élèves et les enseignants de l’école primaire.