1.4. Un cadre conceptuel proposé par Gérard Vergnaud pour aborder l’apprentissage de la statistique

Notre analyse se fonde sur la suite donnée aux travaux de Piaget19 et de Vygotski20, portant sur l’assimilation / accommodation comme mode d’adaptation, s’insérant de la sorte dans une perspective constructiviste des apprentissages de l’élève. Pour la conceptualisation des savoirs par ces derniers, nous nous appuierons sur les travaux de Gérard Vergnaud et en particulier sur la théorie des champs conceptuels. Il l’expose ainsi (VERGNAUD, 1994, p.71) :

‘« L’étalement sur une longue période de temps des processus de conceptualisation dans un domaine donné a conduit les chercheurs à se donner des objets d’étude d’une taille suffisante pour qu’il soit possible d’analyser les filiations et les ruptures entre les compétences progressivement développées par les élèves, ainsi qu’entre les conceptions associées à ces compétences, que ces conceptions soient explicites ou seulement implicites. Il faut ainsi étudier un ensemble diversifié de situations, de schèmes et de représentations symboliques langagières et non langagières pour saisir les méandres des processus de conceptualisation. […] On appelle champ conceptuel un ensemble de situations dont le traitement implique des schèmes, concepts et théorèmes, en étroite connexion, ainsi que les représentations langagières et symboliques susceptibles d’être utilisées pour les représenter. » ’

Cette théorie se fonde sur le postulat suivant que, c’est au travers de situations et de problèmes à résoudre, qu’un concept acquiert du sens pour l’enfant. Son apprentissage prend appui sur cette dernière notion qui selon Gérard Vergnaud est la résultante d’un triplet d’éléments (VERGNAUD, 1996, p. 212) :

‘« a) l’ensemble des situations qui donnent du sens au concept (la référence), b) l’ensemble des invariants sur lesquels repose l’opérationnalité des schèmes (le signifié), c) l’ensemble des formes langagières et non langagières qui permettent de représenter symboliquement le concept, ses propriétés, les procédures de traitement (le signifiant). » ’

Nous retiendrons également la restriction ici, de l’espace large et complet accordé au terme situation par Brousseau, selon les deux points relevés par Gérard Vergnaud (ibid. p. 218) :

‘« Les processus cognitifs et les réponses du sujet sont fonction des situations auxquelles ils sont confrontés. […] nous en retiendrons deux idées principales : 1) celle de variété : il existe une grande variété de situations dans un champ conceptuel donné, et les variables de situation sont un moyen de générer de manière systématique l’ensemble des classes possibles, 2) celle d’histoire : les connaissances des élèves sont façonnées par les situations qu’ils ont rencontrées et maîtrisées progressivement, notamment par les premières situations susceptibles de donner du sens aux concepts et procédures que l’on veut leur enseigner. »’

Le point n°1 constitue la base de l’analyse des manuels scolaires ; le point n°2, donne tout son intérêt à évaluer, dès l’école élémentaire, où en sont les élèves dans l’appréhension du concept de statistique. La théorie des champs conceptuels prend également appui sur le concept de schème défini ainsi par l’auteur (VERGNAUD, 1994, p. 180) :

‘« C’est une totalité dynamique fonctionnelle, c’est-à-dire quelque chose qui fonctionne comme une unité ; en second lieu […] c’est une organisation invariante de la conduite pour une classe de situations données (l’algorithme est un cas particulier du schème) ; et en troisième lieu […], un schème est composé de quatre catégories d’éléments : des buts et intentions et anticipations, des règles d’action, des invariants opératoires et des possibilités d’inférences en situation. »’

Étudier le champ conceptuel qui englobe l’apprentissage de la statistique revient en partie, à approcher de manière pragmatique toutes les situations qui s’y réfèrent (en l’occurrence pour nous celles rassemblées à l’intérieur des manuels scolaires) et de réfléchir à l’ensemble des objets présents : domaines de référence étudiés, tâches réclamées aux élèves, formes symboliques utilisées, variables en jeu… pour en dégager des invariants d’analyse et d’actions indiquées aux élèves, sur ces problèmes qui leur sont présentés. Quel sens est envoyé à l’élève ? En un mot, quels repères, supports pour expliciter les étapes, actions, enchaînements d’actions, buts, inférences etc. lui sont proposés comme histoire personnelle d’appropriation de cet apprentissage statistique ? C’est cette approche multiple des différents éléments qui structura les trois dernières études des manuels scolaires. De cet abord, comme nous le signalions lors de notre intervention aux journées de la statistique de la SFDS à Clamart en 2006  (COUTANSON, 2006):

‘« Il ressort que nous n’avons pu identifier des éléments tangibles correspondants à l’objectif de faire construire ou de communiquer des éléments de savoir statistique précis. Cependant nous avons relevé que des outils de la statistique sous la forme de notions-en-acte pour reprendre la perspective de la théorie des champs conceptuels de Vergnaud (1991) étaient intégrés à des activités numériques et situations problèmes, activités de mesures et enfin à des situations relevant du cadre de la géométrie. Toutefois il n’y a pas explicitement une organisation des situations proposées qui induise, sans une part active explicite de l’enseignant conscient des savoirs statistiques en jeu, un sens à leur dimension statistique et qui engagerait les élèves dans un apprentissage de notions et de techniques pertinentes pour le développement de la pensée statistique. »’

De même que l’aspect non explicite de cet enseignement était repéré dans la logique des situations offertes par les manuels, nous avons dû nous-mêmes reconnaître nos propres limites dans nos représentations symboliques de la statistique en ouvrant les supports de données à d’autres registres de représentation que les classiques tableaux, graphiques, diagrammes.

Notes
19.

(1896-1980)

20.

(1896-1934)