3.1.1. Mise en place de l’étude

Les difficultés récurrentes rencontrées jusqu’alors pour questionner les représentations et les pratiques des enseignants du premier degré dans leur rapport à l’enseignement de la statistique, nous ont conduit à revenir à une analyse des manuels scolaires pour traiter des contenus d’enseignement effectivement transmis aux élèves. En effet, le document intitulé Études exploratoires des pratiques d’enseignement en classe de CE2 (Dossier DEP, n°44, septembre 94) portant sur les pratiques d’enseignement en classe de CE2 menée par la Direction de l’Évaluation et de la Prospective (94/95), montrait à l’époque que le manuel restait le seul outil utilisé par une très grande majorité des enseignants pour préparer leurs séquences de mathématiques. De même, lors de nos visites dans les écoles pour accompagner les stagiaires de l’IUFM, nous percevions également que la presque totalité des titulaires des classes visitées, suivaient un manuel de mathématique pour organiser le contenu et la planification de leur enseignement sur l’année scolaire.

Jusqu’ici, nous avions relevé deux remarques principales. La première remarque, il ressort que le contenu des manuels n’évoquait jamais l’ambition de faire construire ou de communiquer des éléments de savoir statistique précis, de notions, de définitions, voire d’algorithmes applicables à l’intérieur de situations repérées. La deuxième remarque concerne la présence statistique que se caractérisait et se limitait aux aspects suivant :

  • La découverte de situations statistiques était restreinte à une présentation sous la forme de tableaux ou de graphiques de données,
  • Cette découverte se faisant soit par la lecture de ces supports, soit par la construction de ceux-ci,
  • Et, éventuellement, l’exercice allait plus loin en réclamant à l’élève l’effort de changer le mode de présentation, de questionner ces données, voire d’interpréter.

Mais en général, cette dernière partie restait bien maigre et se limitait souvent à présenter des données, comme terrain d’application des algorithmes classiques des opérations arithmétiques abordées à l’école élémentaire ! Pour le mémoire de DEA de Sciences de l’Éducation, nous avions donc entrepris l’analyse des manuels de CM1 en la structurant en fonction des points suivants :

  • les références des manuels,
  • le repérage du “poids” accordé à la statistique à l’intérieur,
  • le lien avec les domaines mathématiques,
  • les compétences-élèves recherchées,
  • le type de situations étudiées (les champs d’investigation),
  • les types de tableaux et graphiques examinés.

Ces points d’observation se déclinèrent selon 14 variables retenues que nous caractérisions ainsi :

Tableau 64 : Variables d’analyse de la première étude des manuels scolaires
V1 Année de parution des manuels
V2 Niveau scolaire (constant comme le préciseront les explications plus loin)
V3 Existence d’un chapitre du manuel, explicitement désigné, réservé aux apprentissages statistiques
V4 Pages désignées, explicitement réservées aux apprentissages statistiques et rapport de celles-ci au nombre total de pages du manuel
V5 L’objet de l’exercice, est-il porté à l’analyse d’un état statistique (AE) ou sur l’outil statistique (AO) ?
V6 L’étude statistique, se fonde-t-elle sur un état statique (AES) ou sur une évolution dynamique de cet état (AED) ?
V7 L’analyse s’établit-elle sur la comparaison d’éléments entre eux (EE) ou des éléments par rapport à un tout (ET) ?
V8 Dans le cas d’une analyse dynamique, la comparaison évolutive, s’installe-t-elle selon les couples : passé / présent (PaP), présent / futur (PF) ou passé / futur (PaF) ?
V9 Voir le descriptif suivant…
V10 Voir le descriptif suivant…
V11 Quels sont les thèmes, supports des données proposées : (I) : le monde de “l’inerte”, (C) : la référence aux choix et décisions humains, (H) : l’espace caractérisant l’homme, au travers de la démographie et (V) : la sphère du vivant.
V12 Caractérisation des tableaux par le nombre de variables ; ex : V1 x V2 représente : 1Var. x 2Var.
V13 Caractérisation des tableaux par le nombre d’entrées : ex : 5 x 7 représente : 5 entrées x 7 entrées
V14 Caractérisation des graphiques selon le type : (bât) bâton, (B) bande, (H) histogramme, (C) circulaire, (DC) demi-circulaire, (CI) courbe interrompue, (CC) courbe continue, (S) par secteurs, (P) polaire

Des précisions quant aux variables V9 et V10 :

Tableau 65 : La variable V9
V9 Quelles sont la ou les tâches réclamée(s) à l’élève ?
Trouver une question : A partir d’un tableau (QT), à partir d’un graphique (QG)
Lire : Un tableau (LT), lire un graphique (LG), lire une représentation iconique (LI)
Répondre à une question : D’après un tableau (RéT), d’après un graphique (RéG)
Construire : Une représentation iconique depuis un tableau (TI), un tableau depuis un graphique (GT), un graphique depuis un tableau (TG), un tableau depuis un tableau (TT), un graphique depuis un graphique (GG)
Ranger des données : Dans un tableau (Rat), selon un graphique (RaG)
Repérer des variables : Dans un tableau (ReT), dans un graphique (ReG)
Repérer les modalités d’une variable : Dans un tableau (RMT), dans un graphique (RMG)
Interpréter : Un tableau (InT), un graphique (InG)
Construire sans représentation donnée : Un tableau (CT), un graphique (CG)
Anticiper l’évolution d’une situation : A partir d’un tableau (AT), à partir d’un graphique (AG)
Tableau 66 : La variable V10
V10 Que doit réaliser l’élève comme étape intermédiaire non précisée ?
  Ca+/-T, Ca+/-G Calculer par la dualité addition / soustraction pour traiter des données rassemblées dans un tableau ou un graphique
  LT, LG Relire un tableau, un graphique pour pouvoir répondre à une question
  +T Relire les données d’un tableau pour le compléter
  InG, InT Interpréter un graphique, un tableau
  RD Rechercher des données pour établir une situation statistique
  QT Relire autrement un tableau pour le questionner et formuler une question par écrit comme demandé

Comme précisions complémentaires pour mener à bien cette recherche, nous notions tout d’abord, que les manuels retenus furent entièrement étudiés, pour relever toutes les sollicitations de l’élève traitant de l’analyse de situations statistiques. Chaque question repérée, était considérée comme nouvelle sollicitation. Au total, 134 sollicitations seront recensées et analysées. Par la suite, pour le premier des deux aspects essentiels repérés plus haut (tableau et graphique), il fallut très nettement faire la distinction entre d’un côté, l’usage-support attendu pour consigner des règles, des états récapitulatifs (ex : la tables de multiplication…), des états de proportionnalité, d’outils mettant en jeu des opérateurs, et de l’autre, les situations spécifiquement statistiques. Indiquons immédiatement que derrière cette dénomination de situations spécifiquement statistiques, nous n’entendions que les situations où tout n’était pas définitivement précisé, où était laissée une part d’incertitude dans les résultats ou dans l’évolution de ceux-ci. Ensuite, au plus près, nous nous sommes engagés à essayer de percevoir une distinction entre variables, ou modalités différentes d’une même variable. Remarque : la difficulté pour le maître, d’appréhension de la nuance dans les faits, laisse à croire qu’il en sera de même pour l’élève ! Pour la variable V7, comparer chaque élément au tout, demeure certainement une forme plus évoluée que d’en rester à une comparaison mutuelle des éléments, dans une approche systémique d’une situation d’incertitude.

Quelle fut alors la méthodologie de recherche déployée ? La pertinence de cette recherche aurait dû englober tous les manuels (de toutes les disciplines) utilisés par les élèves et ceci durant les trois années de scolarisation (CE2, CM1 et CM2) constituant le cycle III de l’école élémentaire. Devant l’ampleur nécessitée par ce travail pour mettre en place une telle observation, nous avons décidé de réduire cette dernière aux manuels de mathématiques et au CM1 en particulier car ce niveau de classe est certainement le plus représentatif de la phase des acquisitions de ce cycle. Le CM1 permet d’aborder des apprentissages nouveaux : décimaux, proportionnalité… alors que la classe de CE2 assure le rôle de passage intercycle et celle de CM2 l’affirmation des connaissances dans la liaison avec le collège. Le champ d’observation a porté sur l’ensemble des manuels en dépôt à l’IUFM de Saint-Étienne au moment de cette étude. Les six manuels concernés correspondent à ceux qui étaient le plus empruntés alors. Les voici par ordre d’ancienneté :

Tableau 67 : Liste des manuels de CM1 étudiés
Tableau 67 : Liste des manuels de CM1 étudiés

L’analyse s’est alors fondée sur la lecture de l’ensemble des situations problèmes proposées aux élèves à l’intérieur des ouvrages, sur la conservation de toutes celles qui se référaient à une situation statistique, fondée sur une marge d’incertitude, et mettant en jeu l’utilisation de tableaux et / ou graphiques de présentation, et sur l’hypothèse que l’enseignant ferait parcourir l’ensemble des situations de l’ouvrage, utilisé en entier.

Revenons sur les compétences-élèves retenues en un tableau plus concis que précédemment :

Tableau 68 : Les compétences élèves observées
Trouver une question (Q.) (QT), (QG), (QI)
Lire (L.) (LT), (LG), (LI)
Répondre à une question (Ré.)  (RéT), (RéG), (RéI)
Transformer une présentation (T.) (TG), (TI), (TT), (GT), (GI), (GG), (IG), (IT), (I I)
Ranger des données (Ra.) (Rat), (RaG), (RaI)
Repérer des variables (Re.) (ReT), (ReG), (ReI)
Repérer les modalités d’une variable (RM.) (RMT), (RMG, (RMI)
Interpréter (In.) (InT), (InG), (InI)
Construire sans présentation initiale donnée (C.) (CT), (CG), (CI)
Anticiper l’évolution d’une situation (A.) (AT), (AG), (AI)