3.2. Deuxième étude des manuels scolaires de mathématiques des élèves du cycle III de l’école élémentaire

3.2.1. Mise en place de l’étude

Cette deuxième recherche a étayé notre contribution aux journées de la SFDS de Lyon en 2008. Elle prenait appui pour des raisons identiques à celles évoquées lors de la première étude, sur une analyse des manuels scolaires. Organisée dans la suite de la première étude et convaincu de la nécessité de placer les élèves dans une perspective de continuité d’apprentissage entre l’école élémentaire et le collège, il nous paraissait indispensable de questionner la nature de la rencontre de ces élèves avec l’idée de variabilité. La raison première de cette deuxième recherche était de requestionner nos résultats déjà obtenus pour analyser de nouveau le contenu des manuels car entre temps, les programmes de 1995 avaient fait place à ceux de 2002, et ce changement se répercutait dans le choix des manuels. Le document d’accompagnement des programmes du cycle III (CNDP, 2002, p. 7), allait d’ailleurs dans le sens de notre recherche, en orientant nettement l’attente du Ministère de l’Éducation nationale vers une mise en apprentissage constructif des élèves, en les confrontant à des situations problèmes :

‘« … 1) qui mettent en valeur les compétences méthodologiques des élèves (prise de données, traitement de ces données, mise en forme, vérification des résultats, 2) qui s’organisent au travers de la capacité à résoudre les problèmes proposés, 3) et qui répondent à l’idée que la somme des maîtrises de chaque compétence permettra la maîtrise de la tâche complexe que représente la résolution de problèmes. » ’

Comme hypothèse de travail, nous avancions l’idée que les constats faits lors de la première étude, devaient perdurer avec les nouveaux programmes. Nous les reposions donc synthétiquement par le tableau de présentation que voici :

Tableau 69 : Premiers constats issus de la première recherche en vue de la seconde
Analyse des tableaux et graphiques
Premiers constats Autres constats
- Il ne figure pas d’entrée statistique spécifique.
- Il n’y a pas réellement sens à des situations statistiques données.
- Les postures attendues des élèves, semblent inadaptées à l’approche Statistique.
- La présence statistique se caractérise et se limite à la lecture / remplissage de tableaux et graphiques.
- Une part très faible est laissée à l’interprétation de l’incertitude et à l’anticipation.
- Une priorité indéniable se dessine au profit des tableaux et au détriment des graphiques.
- Il s’installe une arithmétisation des situations statistiques, une standardisation des tableaux (1 ligne, de 3 à 7 colonnes), un éventail limité des formes graphiques mises en jeu (quasi-exclusivité des courbes continues et des barres).
- Une analyse des situations relève plus souvent du ressort de la proportionnalité que de celui de l’analyse statistique.
- Il ne ressort qu’une très faible évocation des repères statistiques conventionnels (moyenne, mode, médiane, etc.).
- Il n’existe que peu ou pas d’habitude de créer des va-et-vient entre les formes tableau, graphique et présentation littérale.

Mais pourquoi engager une deuxième étude des manuels scolaires ? Certes, nous voulions aborder le parallèle entre les manuels répondant aux programmes de 1995 et ceux de 2002, mais en plus, nous faisions le constat que le champ d’observation de la première étude ne pouvait pas être totalement représentatif de la question posée. En effet, après lecture de toutes les situations-problèmes proposées aux élèves et l’extraction parmi celles-ci de toutes les sollicitations statistiques, de toutes pages des manuels, nous avions jusque-là limité cette population à tous les exemples mettant en acte l’usage de tableaux ou représentations graphiques. La lecture et prise en compte des travaux de recherche de Raymond Duval (DUVAL, 1993, 1995, 2002), portant sur l’importance et le rôle des registres sémiotiques dans la conceptualisation des objets étudiés et par la suite, la prise en compte des travaux entrepris par son équipe, en particulier ceux de Dominique Lahanier-Reuter (LAHANIER-REUTER, 2002), nous ont obligé à élargir notre vision trop restrictive des supports des situations statistiques. Cette remarque dépassait la simple modification du contenu statistique ; le fond s’accompagnant de la forme. Notre vision personnelle d’une situation statistique fut requestionnée pour en définir ce que nous avions alors nommé les situations implicitement statistiques. Le caractère statistique n’était plus dicté par la forme apparente (tableau, diagramme, graphique…) à laquelle l’aspect scolaire nous habituait, mais par la démarche de résolution qu’elle réclamait à l’élève. La difficulté résidait dans le constat fait lors de la première étude : il était paradoxal de repérer la présence de cette démarche si par trait habituel, les manuels avaient tendance à mathématiser (dans le sens d’appliquer des opérations arithmétiques), le rapport des élèves à ces situations implicitement statistiques ! Ce positionnement permettrait une description plus précise et complète des rapports entretenus par les élèves avec les variables rencontrées, avec l’idée de variabilité et l’usage de parcours sémiotiques qui en résultaient (c'est-à-dire de cheminement d’un registre à l’autre dans la résolution des tâches à l’intérieur d’une même situation implicitement statistique). Cette fois-ci, pour analyser les situations proposées par les manuels, nous retenions également les situations qui faisaient appel aux listes, textes en langue naturelle, cartes, illustrations ou droites graduées, avec commentaires chiffrés.

De la même manière, les ouvrages de D. Schwartz (SCHWARTZ, 1994), nous obligeaient également à ouvrir et préciser notre définition apportée à l’idée de variabilité ; c’est ce que nous inscrivions alors. La variabilité se rencontre :

  • quand la connaissance de la valeur prise par une variable pour décrire un individu, ne permet aucune anticipation certaine de la connaissance de la valeur prise par cette même variable pour décrire un autre individu,
  • quand la connaissance de la valeur prise par une variable pour décrire un individu à un temps t1, ne permet aucune anticipation certaine de la connaissance de la valeur prise par cette même variable pour décrire le même individu mais à un temps t2,
  • quand la connaissance de la valeur de référence prise par une variable sur un échantillon extrait d’une population, ne permet aucune anticipation certaine de la valeur de référence prise par cette même variable sur un autre échantillon extrait de la même population.

L’enjeu de notre recherche était donc de partir de manière systématique, de toutes les situations présentes à l’intérieur des manuels, pour en identifier celles que nous avions qualifiées d’implicitement statistiques, c'est-à-dire qui, dans les faits et de manière implicite, de par leur nature et le traitement qui peut leur être appliqué, présentaient une incertitude décisionnelle. Ne plus s’attacher à la forme imposait de préciser davantage le fond. A l’autre extrémité de la chaîne de traitement des données, nous avions aussi voulu affiner l’idée d’une efficience statistique. La recherche précédente avait montré les limites à l’interprétation. Par cette deuxième recherche, nous essayions de compléter la première par l’observation non seulement de l’incitation à interpréter les résultats, mais aussi par l’observation de l’élargissement de ceux-ci. Ainsi, comment la présence d’une efficience statistique pouvait-elle se traduire ? Voilà ce que nous gardions : une situation reconnue comme implicitement statistique apportait une efficience statistique si elle engageait :

  • soit une incitation à interpréter,
  • soit une sollicitation à élargir les résultats à la population entière ou à les projeter dans le futur,
  • soit par les deux entrées précédentes réunies.

Nous présentions alors les variables étudiées qui permettraient de vérifier et compléter la première étude. Les voici rassemblées à l’intérieur du tableau suivant :

Tableau 70 : Les variables retenues pour la deuxième étude
V1 Existence d’un chapitre spécifique du manuel,
V2 Référence au programme scolaire (Numération / Géométrie / Calcul et Opérations / résolution de Problèmes / Mesures)
V3 Type d’étude : chronologique ou diachronique
V4 Suffisance ou non des données fournies à l’élève.
V5 Référence du champ disciplinaire servant de base à la situation (géographie, histoire, biologie…)
V6 Nombre d’individus étudiés dans la situation proposée
V7 Nombre de variables en jeu
V8 Parcours sémiotique demandé à l’élève
V9 Activités successives réclamées aux élèves
V10 Caractéristiques des registres sémiotiques : types de tableaux, diagrammes, graphiques, illustrations… utilisés
V11 Caractéristiques des variables en jeu
V12 Présence ou non d’une analyse agissant par croisement de variables 
V13 Présence ou non d’une “efficience statistique”

Voici ensuite la liste par catégorie, des domaines scientifiques de référence, pour les situations proposées, telles qu’elles apparaissent dans les manuels :

Tableau 71 : Classement des domaines de référence pour la deuxième étude
G La géographie
D La démographie
H L’histoire
S Le secteur social
BA La biologie animale
BH La biologie humaine
BV La biologie autre que BA ou BH
AM Les arts (titres des chansons…) ou des Informations (médias…)
E L’économie
AC Les achats (factures, prix, bénéfice/dépense…)
T La technologie
F Formes géométriques

Dans un second temps, nous avons rassemblé les entrées englobant les domaines traitant de la biologie. Et en définitive, voici les différentes activités demandées aux élèves :

Tableau 72 : Activités des élèves retenues pour la deuxième étude
À partir d’un tableau, d’un diagramme, d’un graphique, d’une illustration, d’une carte, d’une liste, d’un registre laissé au choix de l’élève, être capable :
A Anticiper l’évolution d’une situation In Interpréter
Ar Arrondir des données L Lire
Ca Calculer Ra Ranger, classer des données 
Co Comparer des données Rm Repérer les modalités d’une variable
Cp Compléter des données Re Repérer des variables
C Construire sans représentation initiale Répondre à une question
Décomposer des nombres - Transformer une représentation en une autre
Ec Écrire en lettres Q Questionner

Il était nécessaire de préciser la gradation des compétences-élèves demandées entre :

  • Lire, entendu dans le sens de lire les données et éventuellement les recopier (l’élève n’est pas sensé comprendre la logique de leur présentation),
  • Répondre, entendu dans le sens où l’élève est sensé comprendre la logique de présentation des données pour restituer l’information demandée,
  • Questionner, dans le sens où l’élève est sensé lire, comprendre la logique de présentation des données pour non seulement répondre, mais aussi chercher à questionner ces données.

Voici maintenant les caractéristiques des variables étudiées :

Tableau 73 : Classement des variables lors de la deuxième étude
Tableau 73 : Classement des variables lors de la deuxième étude

Le champ d’expérimentation s’établissait selon la même logique que la première expérimentation, c'est-à-dire par l’analyse portant sur les ouvrages de mathématiques du cycle III, limités à ceux de CM1, déposés à l’IUFM de Saint-Étienne et retenus parmi tous les ouvrages mis à la disposition des enseignants au moment de l’étude. La liste de ces ouvrages est contenue à l’intérieur du tableau suivant :

Tableau 74 : Liste des ouvrages analysés pour la deuxième étude
1 Sep. 2004 Maths Collection Thévenet Édit. Bordas
2 Fév. 2006 Euro Maths Édit. Hatier
3 Fév. 2006 A portée des maths Édit. Hachette Éducation
4 Avril 2005 J’apprends les maths Édit. Retz
5 Avril 2006 Nouveau math outil Édit. Magnard
6 Mars 2003 Mathématiques Collection Diagonale Édit. Nathan
7 Fév. 2005 Pour comprendre les mathématiques Édit. Hachette Éducation

Nous pouvons rappeler que tous ces manuels suivent les programmes de 2002.

Comme pour la première étude, la méthodologie de recherche s’est fondée sur le repérage de toutes les situations implicitement statistiques, c'est-à-dire qui, implicitement, de par leur nature et le traitement qui peut leur être appliqué, offrent une ouverture statistique possible. Elle englobait l’étude de toutes les sollicitations (questions, activités, tâches) demandées aux élèves à l’intérieur de ces situations (parties découverte et situations-problèmes) en posant l’hypothèse toujours, que les enseignants concernés suivraient l’entièreté du contenu des manuels tout au long de l’année scolaire aussi bien pour ce qui relève des aspects découvertes des notions que de celles de leur réemploi. Précisons que dans l’exigence d’aller au plus prêt de l’idée d’une situation implicitement statistique, nous avions écarté toutes celles pour lesquelles les élèves pouvaient entrevoir une issue (exemple, les situations de proportionnalité, suites mathématiques, etc.). De plus, le choix fut également limité aux situations rassemblant un minimum de 5 données distinctes pour laisser la possibilité de saisir une tendance pour une variable basique à deux modalités minimales.