Conclusion

Dans un premier temps et avant de passer à la conclusion proprement dite de cette recherche, permettons-nous pour plus de clarté, de résumer la suite de nos préoccupations qui se sont succédées tout au long de ce mémoire.

Partie 1 :

Partie 2 :

Partie 3 :

Dans un second temps, replaçons désormais cette suite d’actions dans une logique de sens à lui accordée pour l’inscrire à l’intérieur des programmes et des pratiques de l’école primaire.

Les attentes des programmes, et les nécessités actuelles d’une lecture active de notre environnement, rendent indispensable un apprentissage de la rationalité, dans le sens de l’aide qu’elle nous apporte à nous extraire, à nous élever au-dessus des croyances, rumeurs, contingences… qui influent notre quotidien. Nous introduirons donc cette conclusion en nous référant à nouveau aux propos de Catherine Bréchignac (BRECHIGNAC, 2009, p. 18) : « La grandeur de la rationalité tient précisément dans le fait d’assumer notre imaginaire. […] Nous avons besoin de ce monde intérieur où l’on peut mélanger le réel et le virtuel, où le passé peut côtoyer l’avenir. » Dans le même ouvrage, en portant référence aux grecs de l’Antiquité, elle fait remarquer plus loin (p. 33), qu’il : « faut refuser les oppositions schématiques et stériles entre la contemplation et l’action, la science et la technologie, le fondamental et l‘appliqué. Car tout repose sur une claire compréhension des rapports entre ces notions jugées à tord antinomiques, alors qu’elles mettent en jeu l’ensemble des savoirs. » C’est en évoquant la préoccupation écologique grandissante, qu’elle avance encore (p. 35) que : « les sciences humaines et sociales trouvent leur place à côté des sciences de la matière, pour nous aider à une meilleure compréhension de la production, de la sauvegarde, et de leurs relations. » Le corps de cette étude, peut nous laisser avancer que la statistique représente selon nous, un des éléments qui rassemble toutes ses proximités précédemment retenues par Catherine Bréchignac.

Sans revenir dans le détail, au parcours de cette recherche (voir résumé page précédente), nous dirons simplement qu’il a consisté à prendre en compte le paradoxe d’une demande pressante, lancée de toutes parts, d’engager un enseignement de la statistique, et la lenteur de sa percée réelle à l’intérieur du système scolaire et en particulier à l’école primaire. Convaincu au travers de nos recherches précédentes (maîtrise et DEA de Sciences de l’Éducation), que cette introduction tardive ne pouvait être imputée en priorité à une crainte personnelle des enseignants envers la statistique, nous avons alors centré notre travail sur leurs difficultés professionnelles à assumer cette tâche.

La première partie a essayé de répondre à l’exigence de poser ce problème, en définissant ce que nous entendions par fait statistique, pensée et esprit statistique. La deuxième partie, nous a donné l’occasion de revenir sur les représentations des étudiants, des enseignants, des élèves à son encontre ainsi que de cerner plus précisément ce que serait un SMS (Savoir Minimum Statistique), indispensable pour établir un lien obligatoire avec le collège, tout en tenant compte du cursus scolaire des élèves du cycle III de l’école primaire. De toutes ces remarques préalables, nous avons pu engranger pour la troisième partie, des pistes de recherche que nous avons centrées sur un objectif précis : celui d’approfondir, le contenu réel et actuel de l’apport d’un apprentissage de la statistique, à l’intérieur des manuels de mathématiques des élèves de ce cycle III.

Les deux premières enquêtes conduites jusqu’ici, portaient sur ces manuels de mathématiques. Leurs résultats se recoupaient, alors qu’elles concernaient pour la première les programmes de 1995 et pour la seconde, ceux de 2002. Il s’établissait donc une permanence dans le temps qui permettait de mettre en valeur des tendances, telles des invariants de l’apprentissage actuel de la statistique à l’école. Ces invariants, pouvaient se résumer rapidement de la manière suivante :

Tableau 98 : Résumé des invariants relevés
Invariants de l’apprentissage de la statistique à l’école primaire
Parmi ces invariants, nous trouvons :
- une reconnaissance d’un besoin d’un enseignement de la statistique mais une demande jamais explicitement formulée (programmes comme manuels scolaires),
- un traitement mathématique (opérations arithmétiques scolaires “habituelles”) des situations qui nécessiteraient une résolution statistique,
- une standardisation des profils (nombre de variables, profil quantitatif, nombre de données…)
- une limitation de l’éventail possible des registres et des parcours sémiotiques (avec un passage avant tout massif, par les tableaux…),
- un quasi oubli des possibilités d’anticipation et d’ouverture de ces situations dites statistiques,
- un manque de participation active des élèves et d’incitation à construire et s’approprier ces situations

Il était donc surprenant de constater que ces invariants reprenaient, les tendances des représentations de la statistique par les enseignants de l’école élémentaire, et qu’en plus, ils se superposaient d’après la dernière étude, avec ceux des manuels de préparation au CRPE. Ces derniers apparaissaient même encore plus sévères dans les restrictions constatées. Le caractère récursif est patent car les concepteurs des manuels sont en grande partie des enseignants des IUFM ! Ainsi semble se confirmer l’hypothèse que la formation des Professeurs des écoles va influer leur enseignement de la statistique et plus tard, qu’elle agira en retour sur la formation des futurs Professeurs des écoles, au travers des manuels de préparation professionnelle ! Le système se présenterait donc comme fermé à toute mise en développement rapide et immédiate. Mais notre recherche ne peut se limiter à mettre en relief ces dérives des manuels, au risque de ne déboucher sur aucune évolution de cet enseignement. Ce phénomène en boucle questionne la conception générale de ce qu’est la statistique et de ce qu’elle met en jeu lors de la résolution de situations problème la concernant. C’est une réflexion sur l’entrée dans la connaissance qu’il faut se poser : comment se jouent les gestes premiers d’enseignement / apprentissage de la statistique ? Elle nous ramène à une des marques distinctives de l’exploration rationnelle des sciences et des mathématiques au travers de la recherche de symétries, régularités… Comment sortir les élèves d’un cadre unique de certitude (certain / impossible), pour l’élargir à celui qui engloberait l’aléatoire (certain / probable / impossible) ? Comment au quotidien des classes, faire entrer les élèves dans une approche mathématique, qui fasse prendre conscience d’une démarche rationnelle, sans les enfermer dans la nécessité d’une réponse sûre et précise, excluant tout degré d’incertitude ou de prise de risque…

Cette étude nous a permis de constater que la remédiation à apporter au problème ne pouvait se jouer sur des ajustements parcellaires (comme la retouche des manuels des élèves). Elle concerne une relecture par nous tous, y compris par l’Institution scolaire de notre rapport à la statistique. L’hypothèse avancée, à l’intérieur de l’ouvrage intitulé Combinatoire, statistique et probabilité de 6 à 14 ans, (VARGA T., DUMONT M., 1973, p. 5), serait :

‘« qu’il faut, plutôt qu’une exposition précoce des théories de la logique et des probabilités, c’est le développement conscient de certaines démarches et habitudes de pensée, que nous appellerons “logiques” et “probabilistes”. Accessoirement, cela développe aussi tout l’ensemble d’idées et de techniques, de connaissances et d’habilité, qui ouvrent la voie au perfectionnement dans ces disciplines ». ’

Sans ces rapprochements, il paraît difficile de faire appréhender le fait statistique et ses enjeux dès l’école primaire, de communiquer ce message pour garantir le Jeu de la science et du hasard si savoureusement abordé et décrit par Daniel Schwartz à l’intérieur de son ouvrage qui porte ce titre (SCHWARTZ, 1994).

En conclusion, toute évolution de l’apprentissage de la statistique à l’école primaire, devra passer par une explicitation de cette demande au sein des programmes, mais également par une formation adaptée de chaque enseignant (portant sur la connaissance de la statistique, et son enseignement didactique et pédagogique). Quand Jean Portugais se demande à propos de la formation des enseignants « Comment faire pour [les] former à l’enseignement des mathématiques sans se limiter à leur offrir une simple fréquentation des contenus mathématiques et didactiques ? », (PORTUGAIS, 1995, p. 5), nous oserons avancer la même question concernant cette fois-ci la statistique. Comment penser la “didactification” de la didactique de la statistique auprès des futurs professeurs des écoles ?