Discours de la méthode

Notre thèse s’inscrit dans un cadre épistémologique que nous allons à présent présenter. Notre étude entre dans le cadre d’une multitude de champs de recherche déjà largement structurés et qui enrichissent indubitablement notre réflexion : la climatologie, les études politiques, la sociologie, l’histoire, la psychanalyse, la sémio-linguistique et la sémiotique de l’image. La sémiotique porte, en l’occurrence, sur l’ensemble des aspects du discours d’information (les images, les discours, les sons) mis en scène par le média pour communiquer une représentation du monde. Nous envisageons notre étude en postulant que le symbolique joue un rôle majeur dans la communication. Les travaux de Bourdieu et de Lacan montrent que la pensée de l’homme est socialement et psychologiquement structurée. A propos de l’inconscient, Lacan établit trois concepts : réel, symbolique et imaginaire qui, appliqués à l’événement, définissent respectivement la survenue d’un événement inattendu ou inexplicable, la représentation qu’en donnent les médias selon leurs propres codes et les croyances véhiculées à son propos dans l’espace public. La médiation, qui se définit comme l’articulation entre la dimension singulière d’un sujet la dimension collective de son appartenance, peut, dès lors, être abordée sous le prisme de la psychanalyse. Celle-ci met au jour une forme de médiation symbolique et le rôle de l’inconscient de l’énonciateur et du spectateur. L’inconscient est donc mis en œuvre dans la représentation d’un événement, ce qui contribue à la censure, par les médias, de certains faits. Les médias sont aussi des acteurs politiques ce qui implique que les événements représentés ont une consistance politique.

L’analyse du discours s’appuie sur les sciences du langage pour une part et sur d’autres sciences humaines, comme la sociologie ou les sciences politiques, d’autre part. La sémio-linguistique et la sémiotique de l’image, qui s’appuient notamment sur la logique (Peirce) et la linguistique (Saussure), sont deux champs venant compléter notre étude. La sémiotique politique nous permettra d’analyser les formes du discours d’information et sa mise en scène linguistique et iconique. Nous verrons comment ces constructions font sens.

Dans le cadre de notre étude, les travaux sur les théories du journalisme sont d’une aide précieuse. Il sera intéressant, par exemple, de confronter le tsunami au modèle proposé par les sociologues Galtung et Ruge dans les années 1960 concernant les facteurs d’intérêt retenus dans la sélection de l’information, la fameuse théorie de la « Newsworthiness ». Comment le tsunami devient événement grâce aux médias ? L’événement est le résultat de la mise en mots et en images. Il se date, se localise, les conséquences sont durables. Il ne prend de l’ampleur que par ses conséquences et son caractère novateur. Les victimes en font un événement. La télévision aujourd’hui est capable de transcender les frontières spatio-temporelles, ce qui change le rapport à la catastrophe. Les télévisions sont ainsi autant là pour démythifier l’événement que pour élaborer des représentations mythiques à son propos.

La catastrophe au cœur de notre recherche est probablement le second plus grand événement de ce début de 21ème siècle après les attentats du 11 septembre 2001. Les SIC (et la sociologie des médias) peuvent, selon nous, nous permettre par l’analyse et l’interprétation des discours des médias, de contribuer à l’élaboration d’une analyse de la place de la météorologie et de l’information sur les climats et les événements comme le tsunami dans la construction et l’analyse des identités politiques et de la géopolitique. Deux champs s'imbriquent donc dans notre sujet : celui des catastrophes et celui des médias. Marie-Noëlle Sicard et Eliséo Veron font partie des chercheurs ayant emprunté avant nous cette voie, en travaillant sur la manière dont les médias ont appréhendé des catastrophes technologiques. Toutefois, les études ne foisonnent pas, ou plutôt, elles tendent à se multiplier depuis peu. Une étude sur le déroulement du tsunami et une meilleure connaissance du phénomène physique sont la condition préalable à l’analyse du discours médiatique sur la catastrophe du 26 décembre 2004. Notre première partie est ainsi en grande partie basée sur le déroulement du tsunami, ses conséquences et sur la représentation des catastrophes de manière plus générale. Il s’agit de l’une des catastrophes naturelles les plus impressionnantes que les médias du monde entier aient eu l’occasion de couvrir, bien qu’elle ait eu des conséquences « limitées » sur les pays occidentaux et la France en particulier. Les réactions internationales nous amènent à nous questionner sur la spécificité de la représentation des médias de sociétés en crise, mais géographiquement, culturellement et politiquement éloignées.

Notre thèse entend se structurer autour d’une présentation continue de notre analyse et de nos résultats. La première partie comprend six chapitres présentant un cadrage autour de la notion de catastrophe et de ses représentations, notamment médiatique (chapitres 1 à 4). Elle interroge aussi l’articulation entre la catastrophe et d’autres thématiques (l’écologie politique en chapitre 5, la solidarité en chapitre 6). La seconde partie, composée de cinq chapitres, s’intéresse à la représentation spatio-temporelle de l’événement (chapitres 7 à 9) et la place des rapports Nord-Sud et des conflits politiques locaux (chapitres 10 et 11) dans le discours de TF1. La troisième partie porte sur la notion d’identité et se focalise sur les acteurs représentés par la chaîne, sur le discours des figures mobilisées par la chaîne : acteurs politiques (chapitre 12), victimes (chapitre 13) et acteurs scientifiques (chapitre 14). La quatrième partie propose deux chapitres portant sur la représentation esthétique du tsunami (chapitre 15) ainsi que sur la mobilisation et la construction de la mémoire (chapitre 16). Enfin la cinquième partie propose une réflexion sur la place de l’imaginaire (chapitre 17), notamment des mythes, ainsi que l’analyse d’un téléfilm (chapitre 18) portant sur la catastrophe afin de mieux cerner l’articulation entre fiction et information. Nous terminerons par une réflexion sur les marques de distanciation présentes dans cette fiction et, plus largement, dans l’espace public avec l’emploi de la métaphore du tsunami (chapitre 19).