2.1 Définir la catastrophe

2.1.1 Un terme polysémique

Tiré du latin « catastropha » traduisible par « changement », lui-même issu du grec «katastrophê » qui signifie « retournement », « renversement », le terme « catastrophe » désigne un événement désastreux et destructeur, autant sur le plan humain que sur le plan géographique ou encore matériel. Il s’agit d’une rupture brutale, le plus souvent imprévisible et inattendue. Cette notion de rupture s’applique aussi bien au temps qu’à l’espace : l’un comme l’autre sont bouleversés à un instant « t » et connaissent un après-coup plus ou moins long. Enfin, doit être prise en compte la notion d’échelle, spatiale et temporelle : plus les conséquences sont grandes sur des hommes ou des états, plus la catastrophe sera considérée comme importante. Cette définition relativement sommaire, s’applique à tous les types de catastrophes. Cependant, ainsi que le souligne Hélène Denis⁹⁵, chaque catastrophe est unique et porte en elle des caractéristiques particulières. À partir de plusieurs études de cas, elle montre comment les sociétés s'organisent dans la gestion des catastrophes. L’auteur nous dit en effet qu'une catastrophe se caractérise par ses origines, ses conséquences ou son développement. Ces trois points essentiels lui confèrent son caractère unique et nous les aborderons dans notre thèse à travers, notamment, la présentation détaillée du tsunami.

Le sens conféré dans le passé au terme « catastrophe » est pourtant bien différent puisqu’il faisait référence au théâtre pour désigner, plus précisément, le dernier et principal acte d’une pièce, c'est-à-dire son dénouement. La fin, le point culminant où l’idée de tragédie prend tout son sens, le moment où le personnage principal reçoit une leçon ; cet aspect semble constituer l'un des axes du sens communément admis de nos jours. La première édition du dictionnaire de l'Académie Française, datant de 1694, propose à l'époque une définition qui ne mentionne qu'une seule entrée : « CATASTROPHE. s. f. Le dernier & principal événement d'une Tragédie. Il signifie aussi figur. Une fin malheureuse ». Deux siècles plus tard, le dictionnaire de Littré énonce une définition plus large en rapport avec les conséquences que certains faits peuvent avoir sur des êtres ou des institutions : « CATASTROPHE (ka-ta-stro-f') s. f. 1. Renversement, grand malheur, fin déplorable. 2. Par extension, le dernier et principal événement d'une tragédie, d'un drame »⁹⁶. L'encyclopédie de Diderot et d'Alembert⁹⁷ propose une définition liée avant tout au théâtre. L’idée de TF1 liée au lexique du théâtre est intéressante si l’on réfléchit au sens du terme « catastrophe » lorsqu’il désigne un accident. Il serait assimilé à une fin, ce qui indique qu’il constitue une rupture, qu’il modifie une situation.

Une catastrophe peut être la conséquence d’un acte ou d’une défaillance humaine : les guerres ou les attentats (11 septembre 2001), les accidents nucléaires (Three Mile Island, le 28 mars 1979), technologiques, industriels (naufrage de l'Amoco Cadiz le 16 mai 1978), écologiques (Dust Bowl dans les années 1930 aux Etats-Unis), de transport (Joola le 26 septembre 2002) sont autant d’exemples liés directement à l’homme. Une catastrophe peut, à l’inverse, être qualifiée de naturelle lorsqu’elle a pour origine des raisons biologiques, géophysiques, cosmiques ou atmosphériques. Dans ce cas, elle peut prendre des formes très diverses⁹⁸ et parfois couplées : cyclones, tempêtes, ouragans, séismes (Kobe, au Japon, le 17 janvier 1995), inondations, tsunamis, éruptions volcaniques (le Mont Tambora, en Indonésie, le 10 avril 1815)... Pour ne donner que quelques chiffres, voici desstatistiques établies par le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire dans son rapport sur les événements naturels dommageables en France et dans le monde, pour le 21ème siècle⁹⁹ : 26 janvier 2001, un séisme au Pakistan fait 15 000 victimes. 26 décembre 2003, le séisme de Bam en Iran fait 26 000 victimes. Le tsunami de 2004, s'il a été accompagné d'un nombre de morts impressionnant, reste malgré tout un phénomène extrêmement rare. En 2008, par exemple, les tsunamis ne constituent que 0,11% des événements survenus dans le monde, contre 4,26% pour les tempêtes ou 26,49% pour les inondations. Ce sont donc les catastrophes les moins fréquentes, d'après les statistiques établies par le site « Catnat »¹⁰⁰.

D'autres bases de données existent d'ailleurs et offrent une quantité importante d'informations sur les catastrophes. D'après un rapport de la Fédération Internationale de la Croix-Rouge édité en 2005¹⁰¹, les sources disponibles sur les catastrophes sont de plus en plus importantes, surtout depuis le tsunami de décembre 2004, pour réduire les risques par la mise en place de systèmes d'alerte rapides. Le rapport passe en revue quatre de ces bases de données internationales : Emergency Disaster Data Base (EM-DAT) mise en place en 1988 par le Centre de recherche sur l'épidémiologie des désastres (CRED) installé à Bruxelles. NatCat et Sigma gérées par la MunichRé et la SwissRé, sont deux des plus importantes compagnies d'assurances au monde. DesInventar gérée depuis 1994 par une coalition non- gouvernementale d'acteurs provenant de seize pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Toutes ces bases de données apportent des informations sur les pertes humaines et économiques selon des méthodes et des normes qui varient. L'EM-DAT, en particulier, propose des graphiques et des cartes présentant les évolutions des catastrophes. Toutes ces bases de données montrent bien que la réflexion concernant les phénomènes naturels s'accentue dans le temps.

L'importance donnée à la catastrophe variera donc en fonction du nombre de victimes mais aussi de sa position géographique, des dégâts économiques, écologiques et des évolutions qu’elle entraîne pour une société ou encore selon son origine. A chaque époque, un fait peut donc constituer une catastrophe ou non, selon que la société possède la capacité et les moyens de le prévenir en amont ou de le juguler en aval. De plus, comme nous le montre l'histogramme suivant (figure 9), représentant le nombre de catastrophes et de victimes par an dans le monde depuis le début du XXIème siècle, il faut noter que l'impact d'une catastrophe dans les mémoires peut aussi être soumis à une forme de « concurrence ». C'est à dire qu'un drame peut en « balayer » un autre assez rapidement. Si l'on s'en tient à l'année 2004, celle du tsunami, l'on dénombre près de six cent catastrophes, soit une moyenne de cinquante par mois, et près de deux par jour ! D'après un autre rapport¹⁰² du Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire, le tsunami reste l'événement le plus dramatique de 2004 en termes de nombre de victimes. On observe d'ailleurs, sur la figure 9, le pic record de 2004 sur le plan de la mortalité alors qu'il y a eu moins de cataclysmes qu'en 2005, 2006 ou 2007 par exemple. Le reste des catastrophes survenues en 2004 est constitué en majorité d'inondations (plus de 5 500 morts) et de cyclones (plus de 5 000 morts). Les quatre années suivantes ont vu une augmentation notable du nombre de cataclysmes.

Figure 9

Source : "Ubyrisk Consultants - http://www.catnat.net "

Certains événements, pourtant, laissent une empreinte bien plus forte que d'autres. Est-il besoin de rappeler le cas de Tchernobyl, catastrophe technologique majeure dont l'origine est directement imputable aux hommes ? L’explosion de cette centrale nucléaire en Ukraine en 1986 reste, en effet, à ce jour, le plus grand accident nucléaire de l’Histoire, classé niveau 7 sur l’échelle internationale des événements nucléaires (INES¹⁰³). Les fantômes de ce 26 avril 1986 planent, aujourd’hui encore, sur les consciences. En définitive, le degré de gravité de la catastrophe se mesure, avant tout, à l’aune de son impact sur les êtres humains et sur leur environnement social, naturel et matériel. Car la place qu'une catastrophe conserve dans la mémoire est aussi l'un des points qui permettent de la définir, selon qu'elle engendre une surenchère mémorielle ou au contraire une volonté d'oubli.