2.1.2 Catastrophes et regards scientifiques

La polysémie du terme « catastrophe » montre tout ce qu’il peut représenter dans de nombreuses disciplines, que ce soit en sciences naturelles ou en sciences humaines et sociales. Si l'on prend l'exemple du tsunami, phénomène naturel, la catastrophe engendre des questionnements et des réflexions multiples auxquels chaque discipline peut apporter des éléments de réponse. Dans le cas des catastrophes dites naturelles, il importe de comprendre les mécanismes qui président à leur déclenchement, les facteurs qui peuvent les aggraver ainsi que leurs conséquences. Si les origines sont d'ordre physique, les facteurs d'aggravation et les conséquences, eux, sont anthropologiques et ont une dimension culturelle.

L'histoire et la géographie sont deux disciplines qui ont exploré cette voie, selon deux approches, bien sûr, différentes. L’histoire l’envisage selon ses dimensions sociale et culturelle alors que la géographie l’appréhende comme le phénomène naturel qu’est la catastrophe. Le Moyen Age, comme toutes les époques, n'est pas exempt de catastrophes importantes¹⁰⁴. Il est réputé comme une période de l'histoire riche en peurs de toutes sortes : angoisse de l'Apocalypse à l'approche de l'An Mil, peur des fléaux biologiques et autres calamités naturelles. Les hommes ne savaient pas si l'An Mil ne sonnerait pas l'heure du Jugement dernier et de la fin du monde. Ces terreurs ne sont pas si risibles si l'on se souvient des angoisses récentes liées au passage à l'an 2000...En 2001, s'est tenu à Blois, un débat intitulé « Du Déluge au réchauffement de la terre : les catastrophes naturelles dans l'histoire». Plusieurs spécialistes ont abordé l'approche des catastrophes en fonction des époques : Jean Andreau pour l'histoire romaine, Jacques Berlioz pour l'histoire médiévale, Anne-Marie Granet-Abisset pour la période moderne et contemporaine et Alain Musset, spécialiste de géographie historique. Il en est ressorti que les sociétés ont pensé les raisons de la catastrophe et ont vécu les catastrophes de manière bien particulière. Toutefois, les témoignages laissés doivent être pris avec recul en fonction de leurs auteurs. Ainsi, au Moyen-âge, les sources sont souvent d'origine ecclésiastique et donc liées au fait religieux. Les interprétations sont donc selon les époques, plutôt religieuses ou politiques, ou plutôt scientifiques.

Il serait difficile de faire un retour historique sur les catastrophes tant elles ont été nombreuses et leur typologie variée. Mais force est de constater qu'à chaque époque, le même sentiment d'impuissance est observable dans les traces qu'ont laissé les témoins. Dans une visée qui se veut compensatoire, les études sur les catastrophes n'ont cesse de se multiplier (aussi bien en sciences humaines et sociales qu’en sciences de la terre) et tendent à intéresser de nouveaux champs de recherche. Des travaux en géographie ont amorcé cette tendance, puis la psychologie¹⁰⁵et la sociologie. Depuis vingt ans, une nouvelle discipline est même apparue, la cindynique, « science dont l'objectif est d'étudier et de comprendre non seulement les phénomènes naturels d'un point de vue physique mais également d'estimer les facteurs de vulnérabilité des biens et des sociétés afin de déboucher sur des actions de prévention »¹⁰⁶. Mais les catastrophes s'observent également à l'aune des champs de l'anthropologie ou de l'économie.

Le géographe André Dauphiné¹⁰⁷, résume l'évolution de la place des catastrophes dans les sociétés par un schéma que nous souhaitons reprendre ici. Il y indique les différents paradigmes de la catastrophe au cours de l'Histoire. Dans l'Antiquité grecque ou latine, la société considère que les catastrophes sont le fait des Dieux, «  dans un tel contexte culturel ou religieux, la catastrophe d’origine naturelle ou technologique n’existe pas vraiment  »¹⁰⁸. À la Renaissance, les catastrophes sont imputées au hasard, à la notion de destin. Aux XIXème et XXème siècles, c'est plutôt la nature et la technologie développée par l'homme qui sont à l'origine des désastres : « Le rôle de l’homme dans le déclenchement des catastrophes devient plus évident […] »¹⁰⁹. Nous parlerons, quant à nous, d’interaction entre l’homme et la nature.

Figure 10 Les paradigmes de la catastrophe au cours de l’histoire

Source : DAUPHINE (2003), p.41

S’il ne parle pas des catastrophes, Montesquieu est le premier à établir un rapport entre le climat et la politique à travers ce que l’on appellera la « Théorie des Climats ». Dans son œuvre « De l'Esprit des lois », il s'interroge sur la multiplicité des lois existant à travers le monde. Selon lui, celles-ci ne sont pas établies par hasard mais sont bien liées à des raisons précises. L'une d'entre ellesserait physique et directement liée aux climats. L'homme et son environnement seraient fortement influencés par le climat. Il invoque un déterminisme du climat sur la personnalité, les mœurs, l'attitude qu'il nomme passions et donc le politique. Il développe ainsi tout un passage sur le thème de l'esclavage, civil, politique ou domestique. Il parle d'esprit de servitude en Asie et en Afrique par exemple, alors qu'en Europe, règnerait un esprit de liberté. Il suggère ainsi que les lois doivent tenir compte des différences de caractères et venir pallier les faiblesses de chacun. Les différences de physiques, d’attitudes, de cultures et de systèmes politiques s’expliqueraient par les différents climats :

‘« Ce sont les différents besoins dans les différents climats qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que, dans une nation, les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois ; il en faut d'autres chez un peuple où l'on ne se communique point»¹¹⁰.’

C'est après avoir observé diverses lois et formes de gouvernements que Montesquieu en serait arrivé à l'idée selon laquelle à un climat répondrait une culture qui engendrerait des lois et un régime bien précis. Nord et Sud seraient ainsi inévitablement différents. Comme le souligne Bernard Lamizet, Montesquieu met en relation climat et pensée politique : « les climats représentent une forme de rationalisation des critères de fondation de l’Etat »¹¹¹.

Les sciences de l'information et de la communication, quant à elles, ont une approche spécifique des phénomènes naturels et des catastrophes météorologiques. De manière générale, « l’événement » est devenu un objet de recherche central en sciences de l’information et de la communication dans la mesure où son existence même dépend, en grande partie, des médias. La relation entre les médias et l’événement s’analyse sous plusieurs angles : quels sont les effets des médias sur la construction de l’événement ? (Veron). Comment les spectateurs perçoivent-ils l’événement ? L'analyse sémiotique du discours des médias sur le climat a fait l'objet d'un numéro de la revue « Sciences de la société » en 1997. Les sciences de l’information et de la communication permettent de mettre au jour les stratégies mises en œuvre dans la représentation d’une catastrophe, d’analyser les images et les discours. Les sciences de l’information et de la communication articulent sociologie(stratégies des acteurs) et sémiotique (analyse des significations). L’analyse du discours, qui se veut multidisciplinaire, s’intéresse largement au discours médiatique aussi bien sous le prisme du contexte de production que du contenu même de ce discours. Pour cela, diverses voies peuvent être empruntées, à commencer par l’analyse lexicale (statistique et sémantique). Les méthodologies employées en sciences de l’information et de la communication ont ainsi plusieurs intérêts. Les sciences de la communication permettent, entre autres, d’évaluer l’influence des techniques de communication sur les sociétés. Les sciences de l’information, quant à elles, bénéficient des outils informatiques pour le traitement des textes et l’appréhension du langage.