Les représentations artistiques du Déluge, nombreuses au fil des siècles, permettent de retrouver les éléments évoqués dans les textes anciens ainsi qu'une certaine « ambiance ». La diversité des mises en scènes fait écho à la variété des représentations médiatiques possibles et montre qu’un seul sujet peut être traité de manière bien différente selon la vision du médiateur et l’environnement dans lequel il s’inscrit. Pourtant, violence, chaos, peur et détresse sont des notions que nous retrouvons invariablement dans la peinture ou la littérature. De grands maîtres tels que Raphaël, Michel-Ange, Nicolas Poussin, Géricault ou encore Girodet font partie des artistes inspirés par le thème.
En arrière-plan de la fresque de Michel-Ange128, on aperçoit l'arche, où seules quelques personnes ont pu trouver refuge. Une autre embarcation flotte sur l'eau mais semble sur le point de chavirer. Ses occupants tentent de la maintenir à flot alors que d'autres nagent autour. Sur la terre ferme, quelques-uns se tiennent à un arbre, penché au dessus de l’eau. De l’autre côté, certains sont assis sur un rocher. Deux attitudes sontobservables : soit les individus se montrent solidaires et s'entraident, soit ils tentent de se sauver eux-mêmes et les rares biens qu'ils possèdent. Tous les âges et tous les sexes sont ici représentés, dans une nudité qui rappelle que le Déluge doit purifier la surface de la terre. Par ailleurs, un âne est présent sur le côté gauche de la scène, or cet animal est souvent présent dans le récit biblique. C'est en effet entre un âne et un bœuf que naît le Christ. L'âne symbolise l'humilité dont chacun des protagonistes devrait faire preuve. Les uns sont assis ou accroupis, les autres sont debout. L'environnement, lui, n'est pas très sombre, les éléments ne se déchaînent pas, bien que le mouvement des vêtements ou des cheveux semble transcrire la force du vent. La violence ne vient pas de la nature mais plus du comportement des êtres humains face à la catastrophe. La structure de ce tableau est binaire, comme coupée en deux depuis le coin gauche supérieur jusqu’au coin droit inférieur. Dans la première moitié, il y a de la couleur, tandis que la partie représentant de Déluge est blanche.
L'œuvre de Nicolas Poussin129 envisage l'épisode du Déluge d'une manière un peu différente. Les personnages sont moins nombreux, comme si la surface de la terre était quasiment vidée. L'artiste a joué sur un jeu des couleurs : à gauche, le décor est très sombre tandis qu'à droite, celui-ci est un peu plus clair. Cela semble traduire le fait que le rocher constitue un refuge, aussi éphémère soit-il. La femme s’efforce de passer l’enfant à l’homme. Certains personnages nagent et tentent de joindre ce côté de la scène. Ici aussi, apparaît un animal présent dans la Bible, à savoir le serpent. Celui-ci symbolise à la fois la vie, la mort mais également le chaos. Il est présent dans l'épisode entre Adam et Eve en tant qu'élément de tentation, où il est à l'origine de la chute de l'homme. La dimension tragique vient du fait que ce serpent paraît se diriger vers l'eau, comme dans un dernier acte de désespoir.
Le décor peint par Géricault130 est extrêmement sombre. Le ciel gronde et semble peserlourd. La structure horizontale du tableau accentue cette lourdeur du ciel. D’autre part, il y a un contraste entre cette structure horizontale et la structure verticale de la lumière céleste. L'eau occupe une part conséquente de l’espace car seuls quelques rochers sont visibles dans cette scène. Quelques êtres humains s'accrochent à un rocher mais l'aspect pathétique de leur sort est supplanté par cet environnement angoissant et violent. Ils sont faibles face à la nature. Sur le côté gauche de l'œuvre, une barque est en train de couler. À droite, un homme s'agrippe à un cheval dont seule la tête sort de l'eau. Dans la Bible, les chevaux apparaissent à plusieurs reprises, notamment dans l’épisode des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Chacun a une couleur différente et est monté par un cavalier qui annonce la fin du monde.
Le tableau de Girodet131 présente six personnages : un homme, un vieillard, une femme et deux enfants ainsi qu’une femme qui semble morte (en bas à gauche). L'accent est mis sur eux plutôt que sur leur environnement. L'homme, agrippé à un arbre, tente de retenir la femme par un bras. Parallèlement, il porte le vieillard sur son dos. Ses yeux presque exorbités expriment l’horreur de la scène. Le vieil homme tient une bourse dans sa main gauche. Les deux enfants tentent de s'accrocher à la femme : l'un d'eux attrape ses cheveux, l'autre est accroché à son sein. Les regards sont remplis de terreur car la mort semble inévitable. Le mouvement des corps entraîne leur chute, l'arbre ne semble pas assez solide pour les sauver. Le tracé des rochers est très anguleux, presque violent et dangereux. Des vagues sombres apparaissent en arrière-plan. La structure de l’image est en diagonale. Seuls le ciel et le coup de tonnerre, aux couleurs plus vives, se détachent du reste d’une image sombre.
Toutes ces œuvres ont fait l’objet d’une exposition « Visions du Déluge. De la Renaissance au XIXème siècle » au musée Magnin de Dijon132. Organisée entre les mois d’octobre 2006 et de janvier 2007, cette exposition fut la première en France consacrée à ce thème universel. Images aux couleurs sombres, paysages aux tracés anguleux presque violents, expression d’une nature déchaînée, figure de l’arbre ou du rocher pour seul point d’ancrage : c’est la représentation esthétique de la faiblesse de l’homme (sexes et générations confondus) face à la nature. Un homme apparaissant presque nu, souvent seul, tentant de se sauver ou d’aider son prochain. Dans chaque peinture peut se lire une forte dimension tragique, voire pathétique. L'atmosphère est pesante et l'expression des Hommes est teintée de peur et de détresse.
À l'inverse, l'homme peut être représenté par un personnage minuscule, comme dans la première des trente-six estampes du célèbre maître japonais Hokusaï « les 36 images du Fuji » (1824-1829) et intitulée « La grande vague de Kanagawa ». Celle-ci saisit parfaitement la faiblesse des hommes face à une nature violente et toute puissante. La dimension de la vague y est bien plus importante que celle des deux bateaux, montrant par là même à quel point les hommes sont petits. La violence se traduit par la forme de l'écume qui évoque des griffes et par le contraste entre la taille des hommes et celle de la vague.
Michel-Ange (1475-1564). Peintre, sculpteur, architecte et poète italien de la Renaissance.
Nicolas POUSSIN (1595-1665). Peintre français appartenant au mouvement du classicisme.
Théodore GERICAULT (1791-1824). Peintre français, figure de l’art romantique.
GIRODET (1767-1824). Peintre français issu du courant dit du néoclassicisme.
L'exposition fut organisée par la Réunion des Musées Nationaux (RMN), le musée Magnin de Dijon et le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Elle a fait l'objet, par la suite, d'un catalogue.
« La grande vague du rivage de Kanagawa ».