Très rapidement, la dimension politique de la solidarité s’entrevoit dans les Unes de TF1. Le mardi 28 décembre 2004, le journal commence avec le lancement de Patrick Poivre d'Arvor à propos de l'aide internationale qui se mobilise, du nombre de morts, de disparus, de blessés et de déplacés. Le présentateur poursuit en décrivant le tsunami comme l’une des plus grandes catastrophes de notre ère : « On va sans doute approcher les 10 000 morts ou disparus dans l'un des drames les plus épouvantables du 20ème siècle après le tsunami meurtrier de dimanche, l'aide internationale se met en place et les besoins sont immenses ». Le bilan est sur le point, et c’est une quasi-certitude (« sans doute »), d’atteindre un palier. Cette évaluation de la catastrophe permet de justifier la mobilisation. Le recours au verbe «mettre en place » pour qualifier l'action des pays tiers suggère que celle-ci se fait progressivement. Il n'y a pas encore de focalisation sur un pays en particulier puisque le présentateur parle de l'« aide internationale » et donc n’évoque aucun rapport de domination d'un état sur un autre. Nous remarquons qu'une fois de plus, la construction lexicale a une valeur informative avant d'être interprétative. Il s'agit de résumer l'événementavant de s'engager dans une analyse. La construction syntaxique des lancements des présentateurs reflète ce sentiment de choc et de confusion lié à la soudaineté. En effet, beaucoup de ces phrases commencent par des adjectifs numéraux ou de valeur (« principal, 125 000 ») ou des adverbes de temps («déjà, jamais »). Le tsunami constitue un tel bouleversement qu'il est encore difficile de mesurer, et même d'imaginer, toutes ses conséquences. De ce point de vue, TF1 se situe comme un média dont le but est de donner un sens à l’événement. Tous les moyens ont déjà été mis en place puisque Patrick Poivre d’Arvor parle au passé composé : « Tous nos reporters se sont déployés dans la région pour témoigner ». C’est son efficacité et l’ampleur de ses moyens humains et techniques que TF1 peut mettre en avant.
Un sujet d'1 minute 20 secondes du journaliste Anthony Dufour est ensuite proposé. Il analyse la situation à Phuket en Thaïlande, haut lieu du tourisme. Dès le troisième jour donc, une focalisation s'opère sur l'un des pays les plus touchés, une zone touristique prisée où de nombreux Français sont présents. La tension se traduit par le recours à une phrase nominale (« Dans ce qu'il reste de l'hôtel Sofitel, aucun survivant ») où l'opposition entre le verbe « rester » et l'adjectif « aucun » exprime la destruction et l'annihilation. Ici, le journaliste évoque la mobilisation de l'aide à travers plusieurs figures : celle des «représentants du groupe ACCOR [qui] sont là, ils tentent de retrouver leurs disparus […] tout comme l'équipe de l'hôtel qui essaie elle aussi de retrouver ses disparus, désespérément » et celle de l'armée. La mobilisation se traduit par un verbe indiquant une mission assumée par une autorité : « chargés de ». A l'écran, on observe ces militaires au milieu des ruines de l'hôtel. Sur le plan suivant, l'un des hommes se trouve visiblement à l'étage et la caméra le filme en contre plongée. Cela lui confère une position de domination, comme s'il maîtrisait ou tentait de maîtriser les événements. Il est par ailleurs seul à l'écran, aucun civil ne semble être présent. L'hôtel parait complètement désert, seule la mort semble planer.
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Le lendemain, mercredi 29 décembre 2004, Patrick Poivre d'Arvor ouvre le journal avec un lancement faisant le bilan des morts, soulignant les inquiétudes quant au sort des touristes, notamment Français, en particulier avec les risques sanitaires, et faisant un point sur l'aide financière des pays et organisations internationales. A l’écran, le spectateur aperçoit les bâtiments de Médecins sans Frontières, des avions de la Lufthansa et de l’Australian Air Force. En ce quatrième jour, le présentateur renforce le caractère incroyable de l’événement tout en soulignant le rôle de la chaîne qui est celui du décryptage et du commentaire: «Jamais nous ne pensions avoir à vous commenter un jour une catastrophe aussi effroyable ». C’est au média de donner un sens à l’événement, en particulier lorsque celui-ci est aussi brutal. D’autre part, le présentateur souligne le rôle de la chaîne qui est de transmettre des informations, en anticipant sur le déroulement du journal :« Nous vous donnerons le maximum de coordonnées et d'actions d'aide » .
Vient ensuite, un reportage du journaliste Michel Izard d'une durée de 2 minutes, portant sur des vidéos d’amateurs tournées à Banda Aceh en Indonésie, à Phuket en Thaïlande et à Gallé au Sri Lanka. Nous sommes à nouveau concentrés sur trois des quatre zones les plus touchées. Ces images font vivre au spectateur les instants précis du passage des vagues(« 8h27 dimanche matin ») en mettant en avant les victimes, acteurs de l'événement (« la famille attend ses invités pour une fête »). Le journaliste est donc là, en tant que professionnel, pour recadrer les images d’amateurs : il donne ainsi plusieurs repères, temporels, spatiaux, identitaires. Ces images produisent un effet de personnalisation, favorisé par le rappel du fait que ces images ne sont pas professionnelles (« caméscope, caméra, caméraman amateur»). Si ces images offrent une vision inédite du passage du tsunami (« saisi sur le vif »), le rôle de TF1 est cependant clairement réaffirmé.
Le jeudi 30 décembre 2004, Patrick Poivre d'Arvor lance le journal avec une série de chiffres, en parcourant les principales zones frappées. Des images de paysages dévastés appuient son propos. Il expose la situation des touristes français et les dispositions prises par le gouvernement français (« Jean-Pierre Raffarin double le chiffre de l’aide française »). Ses premiers mots soulignent l'importance que prennent les estimations au fil des jours : «125 000 morts désormais, toujours une estimation provisoire car le chiffre des victimes du raz de marée de dimanche ne cesse d'augmenter ». Le rôle de la chaîne est une fois de plus exprimé à travers deux phrases. Tout d’abord lorsque le présentateur explique que « Des témoignages bouleversants et des images impressionnantes n'ont cessé d'affluer, aujourd'hui ». Cela implique un travail de sélection et d’interprétation de la part de la chaîne à qui l’on a fait parvenir ces sources, justement parce qu’il s’agit d’un média. Ensuite, lorsqu’il explique que les équipes de la chaîne font tout ce qui est en leur pouvoir pour aller chercher l’information, même dans les lieux les plus reculés : « La situation est plus critique dans les archipels d'Andaman et de Nicobar, que nos équipes de reportage ont pu atteindre ». Puis, un reportage du journaliste Fabrice Collaro, d'une durée de 1 minute 25 secondes, traite du même type de sujet que celui de la veille : le moment où le tsunami envahit Phuket en Thaïlande, à travers des images d’amateurs. Ces deux jours consécutifs, les vidéos d’amateurs ont été mises au premier plan, soulignant une volonté de montrer, par des images, un phénomène dont l'ampleur serait difficilement appréhendable à travers le simple discours. Fabrice Collaro, lui aussi, entame son propos avec un adverbe (« voici comment dimanche matin ») qui confère une certaine proximité temporelle, comme si l'événement venait de se produire. Le propos du journaliste porte sur la description, au présent, des faits visibles à l'image qui engendre une forme d'émotion, comme lorsque les victimes « incrédules » sont emportées par la vague. Tout se passe très vite comme le suggère les repères temporels (« en quelques minutes, en une quinzaine de minutes, quelques minutes plus tard »). Il n’hésite pas à guider le regard du spectateur pour le concentrer sur les scènes de panique, en essayant (« semblent ») de les décrypter : « En bas à droite de l'écran, une femme appelle des proches qui semblent coincés sur une terrasse submergée par environ un mètre d'eau ».Le propos joue également sur la temporalité en mettant en opposition le moment dudrame, évoquant dans la première phrase (« voici comment dimanche matin ») et sa suite, évoquée dans la dernière phrase (« et voici à présent »).
Le vendredi 31 décembre 2004, c'est la présentatrice Laurence Ferrari qui ouvre le journal avec un lancement consacré au tsunami : « Le dernier journal de cette année 2004 est toujours marqué par l'actualité dramatique en Asie du sud-est ». La continuité de la couverture par TF1 est marquée par le terme « toujours ». L'événement est récent et son impact immense, de sorte que son empreinte sur le média est soulignée. Nous définissons ici l’empreinte comme l’impact produit par un événement sur la représentation qu’en donne un média et la trace unique qu’il laisse et qui le rend immédiatement identifiable. Cette empreinte implique une forme de durée, une inscription dans le temps long. Laurence Ferrari aborde les questions de l'aide humanitaire, du destin de certains Français et des conséquences du drame. Les premières images d’une cérémonie tenue en France, à Soissons, sont diffusées. En Asie du Sud-Est, l’urgence s’exprime par l’utilisation du verbe « survivre » aux menaces (« famines, épidémies ») que le tsunami a laissé derrière lui. Un reportage de la journaliste Anne-Claire Coudray, d'une durée de 1 minute 45 secondes, fait ensuite un point complet sur le tsunami. En ce dernier jour de l'année, c'est une sorte de bilan qui opère un zoom sur le Sri Lanka, l'Indonésie et la Thaïlande. Mais cinq jours après la catastrophe, la première phase de description de l'événement n'est pas encore terminée : « Pas un jour ne se passe sans que de nouvelles vidéos amateurs précisent un peu plus l'instant où tout a basculé, comme pour trouver une explication à cette catastrophe impensable ». L'adjectif « nouvelles », le verbe « préciser » et l'adverbe « plus » soulignent le sentiment de progression dans cette quête (« trouver ») de sens (« explication ») face à un événement qui n'en a pas (« impensable»). Outre des images satellites montrant le débordement de l’océan sur les terres de l’île de Sumatra, les vidéos d’amateurs sont encore mises en avant : la phrase prononcée par le touriste anglais qui filme n’est même pas traduite : (« Oh my god ! It is a good 15-20 feet tall. Easy ! Get in, get in, get in ! »)174.Cette absence de traduction a, selon nous, deux sens : laissée en l’état, la phrase traduit la brutalité de l’événement et, d’autre part, elle signifie que, même sans comprendre le sens de chaque mot, le spectateur peut saisir ce qu’il se passe, il saisit avant tout que le touriste est impressionné et paniqué. D’ailleurs, l’urgence est bien présente selon la journaliste (« on n’a plus le temps, on se dépêche, morgues improvisées ») et elle ne facilite pas l’aide (« entrepôts saturés, routes et ponts détruits, manque d’essence »). Les images de désinfection des cadavres dans les rues et de cartons de vivres de l’UNICEF entreposés à Djakarta témoignent de cette confusion.
« On mon dieu ! Elle fait bien 4,50 voire 6 mètres de haut. Facile ! Rentrez, rentrez, rentrez ! »