L’interévénementialité est un dernier point important qui ressort dans l’analyse des Unes. En effet, de nombreux points annexes, comme les questionnements sur la situation politique ou économique des pays touchés apparaissent. Cela indique la volonté de la chaîne de donner un sens au tsunami en l’insérant dans un contexte.
Toutes ces Unes sont assez révélatrices de l'approche de TF1 dans sa couverture de l'événement, dans la mesure où elles sont axées sur des points similaires : le type de catastrophe survenue, sa morbidité, son impact dans les quatre principaux pays touchés, l'action politique de la France, la situation des touristes français. D'un côté, les Unes se concentrent sur la description de l'événement. D'un autre côté, elles abordent la question de la résolution de la crise. Il y a donc une forme d'approche chronologique qui suit l'évolution de la situation. L'analyse de l'espace discursif de la chaîne indique que la représentation médiatique suit une logique spécifique où s'articulent dramatisation, politique et esthétique. Nous sommes véritablement dans une logique de dramatisation : dix-huit jours de Une entre décembre 2004 et décembre 2009, un débit de parole rapide de la part des journalistes, le recours à des phrases très longues ou à l'inverse très courtes, des phrases nominales, un lexique emphatique, l'utilisation massive du présent (ainsi que du passé composé et du futur). A propos d’une catastrophe aussi inattendue, tant par sa temporalité que par son ampleur, les thématiques mises en avant et le lexique employé transcrivent bien la surprise, le choc et le chaos. C'est un événement que le média doit appréhender au jour le jour. Avec des phrases d'entrée en matière qui vont droit au but, sans détour, TF1 semble composer avec l'urgence de l'événement. De nombreux adjectifs (« terrible, épouvantable, effroyable, dramatique, sans précédent ») mettent en avant la puissance du tsunami et l'horreur qu'il instaure. Ce sont des termes qui, dans l'imaginaire, sont associés à l'effroi, à l'inquiétude, à la terreur. Le thème de la mort est également souligné « morts, meurtrier, victimes ». Enfin des termes tels que « provisoire, s'alourdir, augmenter » expriment l'idée d'une évolution de la situation. Ils permettent également de mesurer l'étendue et le volume de l'événement. La situation est véritablement inédite, « depuis quarante ans, du siècle, jamais nous ne pensions ». Chacun a été surpris et cherche un sens à cette catastrophe : « le 4ème plus important enregistré depuis un siècle »178.
Situer un sujet en début de journal donne une valeur particulière au reportage et donc à une thématique précise. Le journal télévisé expose ce qui lui paraît être le plus important à une date donnée en suggérant au spectateur le degré d'importance d'un sujet. Aucun événement, aussi grave soit-il ne peut occuper la Une du journal très longtemps, et encore moins de manière continue. Rappelons que dans les mois suivant le tsunami, d'autres faits et, parmi eux d'autres catastrophes, sont survenus dans le monde : l'enlèvement des journalistes italienne et française Giuliana Sgrena et Florence Aubenas en Irak, les 4 et 5 janvier2005, l'ouragan Katrina aux États-Unis le 29 août 2005. Ces événements viennent balayer peu à peu le tsunami (notamment l’ouragan Katrina, autre forme de catastrophe naturelle qui touche, cette fois, un pays du « Nord ») et réduire la place accordée dans la ligne éditoriale de la chaîne. Sans surprise, lorsque plusieurs sujets sont consacrés au tsunami dans un même journal, ceux-ci sont regroupés en un même bloc et liés entre eux par le présentateur.
La place offerte au tsunami par TF1 illustre le principe de « dérive énonciative » développée par Patrick Charaudeau. Celui-ci avance que : «Deux procédés discursifs transforment l’actualité événementielle en « suractualité » en produisant des effets déformants »179, une suractualité qui empêche au final de les appréhender de manière critique. Le premier procédé discursif est : «Le procédé de focalisation qui consiste à amener un événement sur le devant de la scène (par les titres de journaux, l’annonce en début de journal télévisé ou du bulletin radiophonique) »180. Le second procédé discursif est : «Le procédé de répétition qui consiste à passer une même information en boucle d’un bulletin d’information à l’autre, d’un journal télévisé à l’autre, d’un journal à l’autre et d’un jour à l’autre »181. Focalisation et répétition (des thèmes abordés, des termes utilisés) sont deux aspects de la couverture de TF1 que nous avons dégagés dans notre analyse. Nous avons résumé, sous la forme d’un tableau présent en annexe 2, les thèmes (et les lieux) abordés par nos dix-huit Unes. La focalisation et la répétition du même type d'information apparaît plus clairement. Une observation, dont nous avions parlé plus tôt, se dégage nettement de ce tableau : TF1 met en œuvre une sémiotique de la crise fondée sur trois éléments : la confusion, la violence et l'urgence. Ce sont trois éléments communs à l'ensemble des reportages qui ont fait la Une. Cette sémiotique de la crise donne d'autant plus de sens à l'événement qu'elle est particulièrement « visible » dans les discours et que ces discours sont regroupés dans une période de trois semaines. Chaque Une s'inscrit donc dans un temps court qui est celui du présent immédiat mais également dans un temps long qui dessine un enlisement de la situation de crise. Seules deux Unes (les 6 et 13 janvier 2005) sont entièrement consacrées à des actions politiques ciblées (voir annexe 2).
Sujet n°14 de Fabrice COLLARO, diffusé le 27 décembre 2004.
CHARAUDEAU (Patrick) (2006), « Discours journalistique et positionnements énonciatifs. Frontières et dérives », Semen, 22, Énonciationetresponsabilitédanslesmédias, p.36. Egalement disponible en ligne. Mis en ligne le 1er mai 2007.URL : http://semen.revues.org/document2793.html. Consulté le 17 avril 2009.
Ibid.
Ibid.