4.1 Information, communication, médiation et identité

Dans la couverture du tsunami, TF1 parle autant d’elle-même que du monde et elle cherche à impliquer le spectateur autant qu’elle lui donne ce monde à voir. TF1 renvoie l'image d’une chaîne impliquée pour une part, avec l’expression affichée d’une solidarité financière vis-à-vis de nombreuses associations.

‘« Ici, à TF1 nous avons été évidemment, tous… très bouleversés, nous avons décidé d'apporter toute notre aide à cette opération. Les dirigeants de la chaîne vont offrir, 600 000€ aux sinistrés, répartis entre six associations : la Croix-Rouge, Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, le Secours Catholique et le Secours Populaire. Et par ailleurs une émission spéciale, de  « qui veut gagner des millions ? », sera diffusée pour récolter des fonds lundi soir, l'ensemble de notre rédaction se mobilisera pour une soirée spéciale solidarité. Enfin, des spots publicitaires ont été offerts à la Croix-Rouge et, nous aiderons bien sûr, au mieux, tout le monde»²²¹.’

Ici, la chaîne distille deux messages : elle s’engage comme acteur institutionnel dans l'espace public dans le soutien financier et encourage implicitement les spectateurs à faire de même, en présentant l’action des associations humanitaires à travers ses reportages. C'est un peu l'idée d'une chaîne qui se formerait grâce aux médias et à leur rôle de médiateur social. Cela donne le sentiment qu'il se crée un nouveau rapport entre les médias et les spectateurs : « Les médias lancent des appels à la générosité »²²². D'ailleurs dans son discours, TF1 présente les actions d'autres médias, engagés dans la même optique. Le 29 décembre 2004, c'est la TTN, chaîne de télévision tamoule basée en France qui est mise en avant : « Les programmes ont été bouleversés pour informer les 60 000 membres de la communauté tamoule de France sur la situation dans le nord- est du Sri Lanka, zone à majorité tamoule, dévastée par le raz de marée […] "Normalement cette chaîne est payante mais depuis trois jours, nous diffusons gratuitement par solidarité pour que toute la communauté puisse être informée’’»²²³. Ici, l’implication de la TTN s’exprime dans la gratuité provisoire de la chaîne et dans le bouleversement des programmes. Solidarité et information deviennent les leitmotivs de ce média dont le but premier est de faire le lien entre personnes de la même communauté (les termes « communauté » et « tamoule » sont répétés dans le propos). Le lien entre la France et le Sri Lanka est également mis en avant puisque, visiblement, près de 60 000 Tamouls vivent en France. Or la communauté tamoule au Sri Lanka a été très affectée (« dévastée ») par la catastrophe. Sur ces images (figures 32 et 33) prises de deux angles différents, on observe le cadre de travail des journalistes de cette chaîne de télévision. On aperçoit le studio, les caméras et les micros alors qu’habituellement, le spectateur ne voit que le présentateur à l’écran. En situant sa propre caméra derrière celle de la TTN, TF1 met le spectateur en position d’observateur du processus de diffusion de l’information en temps de crise. Il y a donc une forme de métalangage puisque, à travers cet exemple, TF1 informe sur l’information.

Figure 32

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Figure 33

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C’est aussi le cas avec une chaîne de télévision suédoise, présentée par TF1 le 1er janvier 2005 et qui participe au travail de recherche des disparus en diffusant des photos. Mais nous avons également noté l’exemple d'une chaîne de télévision indonésienne, Metro TV, qui diffuse des avis de recherche et dont on observe les journalistes en train de filmer les rescapés²²⁴. Voici un plan diffusé le 3 janvier 2005 (figure 34) où l’on distingue, sur un journal, une multitude de photos d’identités. Quelques informations accompagnent chacune des photos. Il s’agit d’une forme d’avis de recherche géant à laquelle participe un journal.

Figure 34

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L’on remarque que ces exemples concernent des pays (Sri Lanka, Indonésie, Suède) qui ont été particulièrement touchés par le tsunami, notamment en termes de victimes humaines. Au-delà de cela, ces exemples montrent que la représentation médiatée nous pousse à avoir une opinion dépolitisée, réduite à une forme personnelle de solidarité, confondue avec de l’empathie alors qu’elle fonde notre sociabilité politique.

Parallèlement, un autre élément met en lumière le rôle d'informateur du média. En effet, celui-ci est souligné à travers l'insistance sur le fait que les informations sont justement très souvent lacunaires, provisoires et difficiles à obtenir :

‘« En revanche, les informations sont beaucoup plus difficiles à avoir, en ce qui concerne l'archipel qui est au sud et qui s'appelle Nicobar. Les informations sont difficiles à avoir car aujourd'hui, Nicobar est quasiment coupé du monde»²²⁵.’

Les informations recueillies s’appuient en grande partie sur les témoignages de la population ou des membres d’organisations humanitaires. Or ces témoignage ne sont pas engagés et encore moins discutés. La chaîne affiche donc clairement son souci d’information. Mais elle affiche aussi une volonté de mettre en avant la nécessité de se servir, en situation de crise, des moyens de communication à disposition. Nous l'observons à travers quatre points :

• d'abord, avec l'institution de moyens inédits de médiation : numéros spéciaux ou sites internet sont sensés faciliter les liens. Voici deux plans extraits d’un sujet diffusé le 29 décembre 2004. Ils montrent des messages envoyés sur internet par des personnes en quête de nouvelles ou d’informations. La liste des messages est longue. On est ici dans une information individuelle liée à l’émotion, à la solidarité et qui ne suscite pas de débat.

Figure 35

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Figure 36

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Un autre reportage, de la journaliste Claire Wambergue, souligne l’importance acquise par les nouveaux moyens de communication, tels qu’internet ou les SMS, en cette période de crise :

‘« Face à cette crise sans précédent, les nouveaux moyens de communication se révèlent être des outils privilégiés pour les familles, à la recherche de leurs proches, de nombreux forums se sont mis en place sur internet. Et France Telecom lancera, lundi, une opération de soutien sous forme de dons par sms […] Jamais internet n'a joué un tel rôle. C'est le seul moyen qui permette de véhiculer des informations à l'échelle, de la planète […] Autre technologie mise à contribution, les téléphones portables […] Et pour tenter de recenser les Français présents dans la zone au moment du drame, les trois opérateurs de téléphonie mobile, Bouygues Telecom, Orange et SFR, ont envoyé plus de 13000 sms aujourd'hui. Une opération lancée à la demande du gouvernement […] Ce message leur demande de se signaler au ministère des affaires étrangères, en appelant le...les opérateurs français ont pu déterminer quels étaient les clients qui se trouvaient dans la zone du séisme car il existe des accords commerciaux entre les opérateurs du monde entier. On appelle cela le roming. Quand un client allume son téléphone portable, celui-ci se connecte automatiquement au réseau pays où il se trouve. Pour des besoins de facturation, l'opérateur local envoie alors un message à son homologue français pour lui indiquer qu'un de ses abonnés s'est connecté sur son réseau et c'est donc à tous ces utilisateurs que l'on a fait parvenir le message gouvernemental»²²⁶.’

D’un côté, la journaliste évoque une information politique, émanant du « gouvernement » et qui peut donner lieu à des débats ou des critiques. D’un autre côté, elle évoque une information individuelle (« familles ») qui se situe hors de la politique. Il y a comme une confusion entre la fonction d’information critique du média et une forme de « propagande » gouvernementale (« à la demande du gouvernement, ministère des affaires étrangères, message gouvernemental »). Ce reportage participe plus d’une sorte de publicité et il n’est pas le seul.

Un reportage du 2 janvier 2005 montre ainsi le message envoyé par le ministère des affaires étrangères français sur les portables des ressortissants français recherchés. Il est inscrit : « a la demande du gouvernement si vous étiez le 26/12 dans la zone du séisme appelez le min aff étrangères : de la France »²²⁷. Un premier plan présente un zoom sur un téléphone portable ayant reçu deux messages. Il n’y a pas de date, on imagine alors que l’un d’eux peut être un message du gouvernement.

Figure 37

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Cette image est intéressante puisqu’elle semble indiquer que le média tend à se confondre avec ce sms. Plus largement, le média se confond avec la publicité d’une part et les modes de communication personnels d’autre part. Or ce sont des modes de communication sans appartenances et sans identités politiques. L’information n’est plus critique ici puisqu’il s’agit de transmettre un message du gouvernement. Le second plan détaille le message reçu par les touristes, tandis qu’un troisième indique les numéros à joindre (affichées sur une bande rouge).

Figure 38

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Figure 39

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Un autre reportage du 4 janvier 2005, précise même le nombre de SMS envoyés : «Au ministère des affaires étrangères, la cellule d'urgence continue à enregistrer tous les appels et fait un travail de fourmis, pour vérifier toutes les informations. Elle a envoyé plus de 13000 SMS, à des Français qui se trouvaient en Asie»²²⁸. Ici, c’est la minutie et l’efficacité des membres de la cellule de crise qui semblent être soulignées par TF1. Ce qui est intéressant dans le fait de mettre en avant les moyens de communication comme internet (qui s’impose de plus en plus comme un concurrent de la télévision) ou les SMS, c’est que c’est également une manière de rappeler la place et la fonction de la télévision, puisque c’est finalement elle qui parle des autres.

• Deuxièmement, cette volonté de communication semble faire contrepoids avec une communication sur le terrain de la catastrophe, qui elle, est presque impossible puisque beaucoup de moyens de communication ont été détruits. TF1 met donc en avant le manque que l'on constate dans le pays touchés. Les routes et les ponts détruits sont des moyens de communication rompus et, de fait, la communication entre les êtres humains devient indispensable. L'isolement est un point fondamental dans la vision véhiculée par TF1 car il souligne le manque de cohésion (« ignorer, aucun moyen pour joindre, sans nouvelles »). «Ce qui inquiète aujourd'hui les autorités, ce sont ces zones avec lesquelles la communication est encore impossible ». On peut également évoquer la question des langues par exemple, qui ne sont plus une barrière entre les communautés. On constate que toutes les victimes, peu importe leur nationalité, parviennent à communiquer entre elles, d'une manière ou d'une autre. Ces difficultés peuvent peser sur le travail des journalistes et, d’une certaine manière, ce discours sur la communication difficile dans les zones dévastées est l’occasion de mettre en valeur le travail des journalistes qui tentent de surpasser ces problèmes. En mettant en avant les difficultés rencontrées pour donner des informations au spectateur, TF1 met en avant son sérieux et les moyens (humains, techniques, financiers) qu’elle engage pour couvrir l’événement.
• La chaîne souligne également dans son discours le manque de communication avant et pendant la catastrophe, pour préparer la population aux risques :« Et le troisième niveau qui est extrêmement important est un système de protection civile, c'est à dire de communication, d'éducation des personnes et de sécurisation de certains lieux »²²⁹, « En effet, les scientifiques américains qui avaient détecté le tremblement de terre ont tenté désespérément de joindre leurs homologues asiatiques »²³⁰. D’ailleurs, cet extrait est aussi intéressant politiquement puisqu’il suggère l’expression d’une supériorité de l’Occident sur l’Asie : si la zone n’a pas été prévenue à temps, c’est parce que les homologues asiatiques étaient injoignables. Or, après le tsunami, il semble que la chaîne de télévision puisse être considérée comme un maillon dans la chaîne de prévention : « Les responsables du Sofitel expliqueront longtemps qu'ils n'ont eux même été prévenus que quelques minutes avant l'arrivée de la vague. Et puis au mois de mai, à la demande des familles de victimes, le groupe ACCOR, gérant de l'hôtel, demande au manager de l'établissement, de rédiger une chronologie des faits. Dans ce document, le manager Goran ALEKSANDRONOVSKI, explique que l'hôtel avait été prévenu par un coup de fil venu de Phuket à 10h20. L'information était qu'il y avait eu un tremblement de terre, qu'il fallait évacuer la plage. Or, selon un autre document du groupe ACCOR, la vague serait arrivée à l’hôtel à 10h36. Seize minutes après le coup de fil. Selon les familles de victimes, pendant ces 16 minutes, on aurait perdu beaucoup de temps. Aujourd'hui, elles portent plainte pour homicide involontaire »²³¹. Cet extrait montre comment avec la catastrophe, on est passé d’un fait divers où prime la notion d’émotion à une forme de fait divers où sont impliquées la justice et la police. On passe d’une catastrophe naturelle à un homicide parce que l’alerte, l’information sur l’arrivée du tsunami, n’ont pas été relayées. Ici, le média montre sa fonction critique de l’information qui n’a pas été donnée à temps.
• Enfin, la chaîne insiste sur la notion de communication faussée, avec la recrudescence de rumeurs, ou de fausses alertes après le passage du tsunami : «La peur de la réplique évidemment...euh...de nombreuses rumeurs ont circulé toute la journée, alors parfois on emmène à nouveau les touristes se réfugier à l'intérieur des terres, certaines radios locales ont même annoncé cet après-midi une nouvelle fermeture de l'aéroport de Phuket. Alors fausse rumeur. Fausse alerte. Mais tout cela maintient un climat particulièrement tendu »²³². La communication tente de s'établir par tous les moyens et parfois les informations transmises s’avèrent faussées. La combinaison entre la « peur » et les « rumeurs » contribuent à maintenir un climat de confusion. Or les médias sont les premiers à savoir que leurs propres informations ont un impact très important. L’information transmise par TF1 fonctionne comme un message d’alerte car le média est un acteur d’alerte. En outre,la réflexion sur l’alerte apparaît comme une forme de rhétorique de l’information. TF1 se donne ainsi une fonction critique de l’information.