Rapidement, TF1 soulève la question clef : s'il n'existe pas de centre de surveillance dans l'océan Indien, pourquoi les autres centres n'ont-ils pas prévu la catastrophe ? La catastrophe est donc l'occasion pour TF1 d’évoquer le fonctionnement des systèmes d’alerte locaux :
‘« On le sait maintenant, aucun système d'alerte n'existe dans l'océan Indien »235.L’absence de centre de surveillance dans l’océan Indien n’a pas manqué d’être critiquée. Et l'on s'interroge également sur la communication entre scientifiques basés dans d'autres centres d'alerte. Dans un premier temps, la chaîne soutient que «les scientifiques américains qui avaient détecté le tremblement de terre ont tenté désespérément de joindre leurs homologues asiatiques »238. Mais quelques jours plus tard, le discours n’est plus le même :«Le 25 décembre à...à 3h de l'après-midi heure d'Hawaï, les capteurs ont bien perçu que la terre avait tremblé dans l'océan Indien et les scientifiques de permanence ont bien envoyé un message d'alerte. Mais détail accablant, ils n'avaient aucun numéro de téléphone pour contacter les responsables des pays concernés, qui ne font pas partie, de leur dispositif »239. Dans ces deux propos opposés, il y a toujours une emphase avec l'adverbe « désespérément » et l'expression « détail accablant». On remarque que le journaliste évoque l’absence de numéro de téléphone dans « leur » dispositif, celui des Américains. Donc si l’adverbe « désespérément » nous autorise à penser que TF1 dédouane en quelque sorte les Américains de toute responsabilité, la dernière phrase du journaliste peut être interprétée de deux façons. Il peut s’agir d’une critique du système américain qui ne concerne que certains pays et en exclut d’autres, ou bien cette critique se veut plus générale, et elle concerne alors l’information scientifique mondiale. Il s’agit alors simplement de souligner les inégalités de moyens et les conséquences qu’elles peuvent avoir sur l’alerte. Finalement, quelques semaines plus tard, l'attention de TF1 se tourne vers les scientifiques américains du centre d’Hawaï, afin de comprendre ce qui s'est passé. Le 15 février 2005, Patrick Poivre d'Arvor annonce dans une brève que des victimes ont porté plainte auprès de la justice de New-York afin d'obtenir des explications de la part des autorités américaines. Le journaliste Loïck Berrou présente alors un reportage afin d'expliquer la démarche des scientifiques au moment de la catastrophe. Le reporter revient sur le déroulement de la journée, en utilisant le présent (comme pour placer le spectateur en situation) et en nommant les témoins par leur simple prénom : « Il est trois heures de l'après midi en ce très calme lendemain de Noël à Honolulu, Barry et Stuart sont de permanence au centre de prévention des tsunamis. Soudain l'un des deux bipers de Barry s'anime, la terre a tremblé, à plus de 10 000 kilomètres de là ». Il y a une forme de proximité et d’empathie qui se dégage de l’utilisation des prénoms de ces scientifiques qui pourraient être des personnes ordinaires. Faisant référence à une temporalité précise pour mieux décrire la situation (« 3h de l’après-midi, lendemain de Noël »), il explique la démarche des scientifiques en poste ce jour là : «Quatorze minutes plus tard, le premier bulletin d'alerte est lancé aux vingt-six pays qui font partie du réseau. Il est 8h14 du matin à Banda Aceh ». Dès lors le journaliste donne un élément de précision qui a toute son importance : le centre de prévention possède un réseau par lequel est diffusée l'alerte. «Pas de risque en effet sur la zone Pacifique qui est de leur responsabilité ». Les pays du pourtour de l'océan Indien en font-ils partie alors qu'«Un tsunami dévastateur s'annonce dans l'océan Indien » et qu'«Il est encore temps de prévenir au moins la Thaïlande ou le Sri Lanka » ? L'un des sismologues l'avoue, tout en souriant, un peu gêné : «On n'avait personne à contacter dans l'océan Indien. Ils n'étaient pas sur nos listes, alors on tournait en cage, en se demandant ce qu'on pouvait faire ». A voir les réactions, le journaliste le dit lui même : «Derrière l'apparence, c'est un sentiment de culpabilité qui taraude les scientifiques américains », tout en évitant de leur jeter la pierre de manière catégorique : «Auraient-ils pu faire plus ? Auraient-ils pu sauver des vies ? Non sans doute»240.
Les critiques restent donc ici mesurées puisque la zone de responsabilité des scientifiques américains est le Pacifique et non l’océan Indien où, par ailleurs, les tsunamis restent rares, et probablement aussi parce que la plupart des pays touchés sont en développement et n’ont pas les moyens (financiers et médiatiques) ou la volonté politique de mettre en place un système de surveillance. Inversement, cette absence de critique permet de mettre en valeur les systèmes perfectionnés existant en Occident, les connaissances scientifiques issues de nombreux domaines (sismologie ou géologie par exemple) et de rappeler que beaucoup de pays d’Asie sont encore « inférieurs » dans ce domaine. Dès 2005 pourtant, il semble que les autorités aient décidé de la création d’un système, comme ce fut le cas dans le Pacifique après de telles catastrophes : « En 1958 puis en 1964, deux tsunamis heurtent de plein fouet les côtes de l'Alaska. Deux catastrophes qui n'ont rien voir dans leur ampleur avec l'actualité présente mais qui amènent les vingt-six pays de la région du Pacifique, de la Chine à l'Australie, en passant par le Chili, à mettre en place un système de prévention »241. Trois nouveaux systèmes mondiaux sont apparus après la catastrophe de 1964. Après le passage du tsunami de 2004, soit quarante ans après, une réflexion identique est donc amorcée :
‘« Premier jour de la conférence mondiale de Kobe au Japon sur la prévention des catastrophes naturelles, à cette occasion, l'ONU a proposé qu'au moins 10% des sommes versées dans le monde pour les opérations de secours d'urgence soient consacrées à la prévention des désastres»242.L'émotion suscitée tient au fait que les victimes n'ont pas eu la possibilité de réagir, en partie à cause du manque d'informations. Il y a une forme de dénonciation de cette carence, de cette injustice. Les manques se sont en fait accumulés : « Autrement dit, on voit bien ici encore combien la gestion du risque ou de la crise sont des révélateurs des inégalités sociales. Les pays concernés autour de l’océan Indien sont des pays pauvres ce qui explique : un manque d’équipement des failles susceptibles de provoquer de telles situations. Les enjeux socioéconomiques ne justifiaient pas une tel équipement qui existe dans le Pacifique où les marges sont japonaises, américaines et donc à très forts enjeux économiques [...] une connaissance insuffisante ou absente des risques de la part des populations riveraines […] un manque d’équipements routiers et de véhicules explique que, y compris dans le cas où les populations connaîtraient le danger quelques heures avant qu’il ne se produise, elles auraient des difficultés pour quitter leur région […] les États ont peu de moyens pour faire connaître le risque à leur population et pour gérer la pré-crise puis la crise »245.
Dans cet extrait, seuls sont soulignés les termes désignant des manques. Il n’y a pas de discussion critique sur les causes de ces manques, en partie dus au sous-développement et à l’économie libérale. La pauvreté de ces pays est évoquée mais le rôle des pays occidentaux dans celle-ci est passé sous silence.
Sujet n°29 de Marie-Claude SLICK, diffusé le 30 décembre 2004.
Sujet n°25 de Fabrice COLLARO, diffusé le 29 décembre 2004.
Sujet n°2 de Loïck BEROU, diffusé le 6 janvier 2005.
Lancement du sujet n°15 de Carole VENUAT, le 27 décembre 2004.
Ibid.
Sujet n°15 de Loïck BERROU, diffusé le 15 février 2005.
Ibid. Cet exemple montre la naissance d’un espace politique particulier fondé sur l’observation du climat.
Brève n°19 diffusée le 18 janvier 2005.
Brève n°15 diffusée le 12 janvier 2005.
Brève diffusée le 16 janvier 2005.
VEYRET (2005), « Réflexions géographiques sur le tsunami du 26 décembre 2004 », Cafés géographiques, http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=580. Yvette Veyret est professeur de géographie à l'Université Paris X- Nanterre. Elle travaille sur les questions d'environnement, de développement durable. (termes soulignés par nous même)