Chapitre 5
La catastrophe et la problématique de l’environnement

5.1 L’environnement : un concept produit par l’écologie politique

De manière générale, les catastrophes, parce qu’elles touchent les populations, ont pour conséquence de remettre au premier plan, les questionnements en rapport avec les principes de risque et de prévention. Mais elles ont aussi pour effet de raviver les interrogations liées à l’environnement, à sa protection, à sa préservation. Les perturbations climatiques provoquées par l'homme sont aujourd'hui connues de tous mais leurs conséquences se manifestent de plus en plus. Nous en voulons pour preuve la loi du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes, lorsque l’état de catastrophe naturelle est décrété. En France, dès 1971, le gouvernement se dote d’un Ministère de l’Écologie. Intitulé, depuis 2007, Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (MEEDDAT), il publie chaque année et ce depuis 2001, un rapport sur les principaux événements dommageables survenus en France et dans le monde. Depuis, de nombreuses lois ont été votées en faveur de l'environnement. Ces prises de conscience ponctuelles de la relation instable entre les hommes et leur environnement ont conduit à l’apparition d’une thématique ; l’écologie politique est ainsi directement liée à la recherche scientifique.

D'origine grecque, le terme « écologie » (oikos -maison- et logos -science, discours-) apparaît en Europe en 1866, dans l'ouvrage scientifique « Generelle Morphologie der Organismen», écrit par le biologiste et zoologiste allemand Ernst Heinrich Haeckel. C'est lui qui, pour la première fois, propose une définition du terme. Toutefois, d’après Jean-Paul Deléage269, l'écologiste Edward J. Kormondyaffirme que le mot figurait déjà en 1858 dans une correspondance entre un écrivain américain, fervent opposant à la culture occidentale de non respect de la nature, Henry David Thoreau, et son cousin George Thatcher, alors élève de Darwin. La définition de Haeckel est la suivante : « science des relations des organismes avec le monde environnant, c'est à dire, au sens large, la science des conditions d'existence»270. C'est à la fois l'étude des êtres vivants et du milieu physique dans lequel ils vivent. C'est une science relativement jeune donc, qui s’inscrit dans le champ des réflexions engendrées dans le milieu scientifique par l'industrialisation massive de la société. Le terme fut introduit en France plus tard par l'école des Annales. Il est encore en balance avec le terme « environnement » figurant dans l'ouvrage Principes de géographie humaine, du géographe Paul Vidal de la Blache. Si l'écologie se développe donc dès la fin du XIXème siècle, il faut souligner que les bases de cette science ont été fondées au cours des millénaires précédents sous l'impulsion de nombreux auteurs comme Aristote, Buffon ou encore Darwin. Elle a ensuite été relayée par l'écologie politique car la science a rapidement gagné les champs économique et politique. Dans les années 1960-1970, en effet, le clivage entre les pays riches et les pays pauvres favorise l'émergence d'une écologie politique. De plus, les méfaits de l’industrialisation se font sentir. Des mouvements apparaissent dans de nombreux pays occidentaux, dits du Nord, d'abord aux États-Unis puis en Europe de l'ouest. L'objectif est, notamment, de faire en sorte que se rétablisse un équilibre social et économique entre le Nord et le Sud. En France, c'est durant la campagne présidentielle de 1974 que cette percée a lieu. René Dumont présente alors sa candidature au nom des « Amis de la Terre » : il est le tout premier candidat écologiste. Cet ingénieur agronome incarne un groupe dont les théories visent à favoriser le développement de l'homme dans un environnement préservé. Malheureusement les écologistes ont du mal à trouver une réelle autorité politique. Toutefois, la médiatisation accrue des catastrophes écologiques va rapidement favoriser leur visibilité. En 1989, le parti des Verts, fondé cinq ans plus tôt, entre au parlement européen. Dans les années 1990, d’autres partis politiques français sont plus ou moins assimilés à l'écologie politique271et aujourd'hui, tous les partis tendent à inclure des réflexions écologiques dans leurs programmes.

‘« L’écologie politique est l’écologie d’une espèce particulière, l’espèce humaine, une espèce sociale et politique. Mais c’est aussi un mouvement social pour transformer l’écologie réellement existante de notre éthique : une aspiration morale à plus d’harmonie, d’autonomie, de solidarité, de responsabilité»272.’

Cette définition d’Alain Lipietz propose un résumé de ce qu’est l’écologie politique : un mouvement, une science, une politique et une éthique. Le mouvement s’appuie sur les résultats et les apports de la science pour légitimer une action politique basée sur des revendications et une éthique chargée de notions précises. L’écologie politique naît d’une préoccupation liée aux risques naturels et industriels et à la prévention de ces risques. Le développement du nucléaire ou l'aggravation de la pollution développent une approche politique en termes d’insécurité, qui nourrit le discours sur l'écologie politique et ces thèmes peuvent donc resurgir à l'occasion d'une catastrophe. Le 10 janvier 2005, cette approche se dessine dans le discours de TF1 puisque ce jour là, un sujet aborde la question des risques naturels, à l'aune du tsunami et plus généralement des effets néfastes générés par l'homme sur l’environnement. Le reportage concerne une réunion de l’ONU, tenue à l'île Maurice au sujet des petits états menacés par les risques naturels. En effet, si la nature y est particulièrement déchaînée, « Raz de marée, cyclones, séismes, éruptions volcaniques, érosion naturelle des côtes, la nature en a fait des territoires très vulnérables»273, les activités humaines semblent accélérer la dégradation, «Il faut ajouter les effets du réchauffement climatique ». Les conséquences de cette combinaison de facteurs pourraient être dramatiques pour les populations locales : « Bien souvent, ces îles émergent, d'à peine quelques mètres. Or le niveau de la mer s'est élevé de 10 centimètres, au XX ème siècle, et pourrait s'élever de 9 à 88 centimètres d'ici à 2100. Et le raz de marée du 26 décembre, rend cette inquiétude, plus aiguë ». Chaque événement climatique grave contribue de facto au développement et à l'évolution de l'écologie puisque les médias articulent en permanence le temps court et le temps long de l'événement. Toutefois, quelques jours après l'évocation d'un lien entre événements climatiques extrêmes et réchauffement climatique, cette idée est nuancée dans un autre reportage : «Il faudra encore dix ans de statistiques avant de certifier que ces événements exceptionnels sont bien des expressions directes du réchauffement »274. A travers l’étude de la médiation du tsunami par TF1 nous pouvons suivre l’élaboration d’un discours de l’écologie politique à propos du tsunami. La catastrophe joue un rôle dans la naissance d’une nouvelle politique territoriale, d’une nouvelle dynamique territoriale, impliquant une mutation dans l’identité des pays d’Asie du Sud-Est. Il s’agit d’un point de vue interne : les autochtones à propos de leurs lieux de vie. Mais il s’agit aussi d’un point de vue externe : les touristes et leurs lieux de villégiature (tourisme pour les uns : ces pays conserveront-ils l'image de paradis sur terre ou leur nom sera t-il a jamais lié au drame ?, sentiment d’appartenance pour les autres : comment se reconstruire et se sentir en sécurité, chez soi, sur une terre qui nous a tout pris en un instant ?).

Dans certaines parties du globe où les tsunamis sont fréquents, des mesures ont été prises en matière d’aménagement afin de sécuriser les habitations, comme à Hawaï par exemple, où les maisons sont bâties sur pilotis. La couverture de TF1 permet d'élaborer une culture écologique du politique mais également une culture politique de l'écologie. En conséquence, une réflexion nationale s’impose aussi pour les pays occidentaux. La réflexion s’engage t’elle véritablement dans les reportages de TF1 ? Nous avons remarqué que dans l’ensemble de notre corpus, le terme « écologie » n’est utilisé qu’une seule fois, pour évoquer un personnage, dans le cadre de l’intitulé : « ministre de l’écologie ». De plus, très peu de personnalités issues de la sphère écologiste sont mobilisées par la chaîne. Le terme « environnement », dans son acception scientifique et sociale, n’est quant à lui jamais apparu. Cela traduit probablement le fait que le tsunami est considéré, avant tout, comme un événement naturel, donc inévitable et situé hors du champ politique. Les mythes et la culture des catastrophes sont toujours sous-jacents et le rôle de l’homme quelque peu minimisé. Les images du passage du tsunami, diffusées en boucle, renforcent d’ailleurs cette approche. Cela signifie également que le tsunami est représenté comme une situation de crise et que les questionnements liés à l’environnement ne sont pas « extraits » de cette crise pour y réfléchir de manière spécifique.

Notes
269.

DELEAGE (1991), p.62. Jean-Paul Deléage, maître de conférences en physique et histoire des sciences à l’Université Paris VII, explique que Edward J. Kormondy évoque le terme dans la préface de son ouvrage « Concepts of ecology ». L’écrivain Henry David Thoreau l’aurait employé dans un courrier datant du 1er janvier 1858.

270.

HAECKEL (1866), p.286. “Unter Ôkologie verstehen wir die gesamte Wissenschaft von den Beziehungen des Organismus zur umgebenden Aussenwelt, wohin wir im weitesten Sinne alle Existenzbedingungen rechnen können”.

271.

Parmi lesquels Génération écologie, fondé par Brice Lalonde

272.

LIPIETZ (1999), p.7

273.

Sujet n°13 de Marie-Claude SLICK, diffusé le 10 janvier 2005.

274.

Sujet n°7 diffusé le 12 janvier 2005.