La question se pose immédiatement de savoir si les conséquences du tsunami auraient été aussi dramatiques si la structure de l'habitat avait été différente de celle qui se présente dans les pays touchés. Il est évident que non. Un tsunami survenu dans une zone inhabitée n’aurait certainement pas suscité le même intérêt des médias, puisque seul l'espace naturel aurait été affecté. C'est de ce point de vue que TF1 aborde, sans la nommer, la notion de vulnérabilité358 des espaces du sud-est asiatique. D'autre part, certaines images diffusées sous-tendent bien ces problématiques de fond. La vision d'habitations détruites ou submergées est présente dans chaque reportage, les caméras filment ces maisons alignées, ou ce qu’il en reste, par travelling latéral. Ce mouvement de déplacement dans l’espace donne la sensation que toutes les habitations ont été touchées et que les dégâts s'étendent sur des kilomètres. En outre, ces images sont diffusées en boucle et la répétition contribue à élargir les frontières de l’espace touché. Le spectateur ne peut imaginer l’étendue véritable des dégâts. Ces habitations voient leur toit troué, elles sont recouvertes de boue. Les morceaux d'habitations sont également visibles dans les images de la vague traversant les villes.
L'image suivante (figure 55) a été diffusée le 26 décembre 2004 dans le sujet numéro 2. Elle représente un paysage dévasté, observable depuis le ciel. La vue en plongée permet d'avoir un aperçu d'ensemble des dommages causés par la catastrophe. Seul un bâtiment, excentré à droite, semble avoir résisté mais d'autres maisons ou fondations ont pu être détruites. Le tsunami a littéralement tout balayé, tout rasé. À cette distance, il est difficile de distinguer les éléments mais le spectateur peut imaginer qu'il s'agit d'un ensemble d'objets : du bois, de la tôle, des tuiles par exemple. C'est un sentiment de chaos qui se dégage de ces ruines, témoins de la violence du tsunami et de la confusion qui règne après son passage. Ces éléments que l'on devine un peu partout à l'image participent d'une forme de rhétorique de la confusion, du flou. Ils soulignent l'incompréhension liée à un événement qui n'a pas de sens. Il semble par ailleurs qu'il n'y ait aucun individu sur cette image, ou alors ils sont trop petits pour être vus. Cette absence renforce l'idée que le tsunami a semé la mort, la désolation et qu'il a poussé la population à fuir. L'espace est vide et l'atmosphère est pesante. La lumière de ce plan est, à ce titre, particulière : les tons sont marrons et sombres. Le marron rappelle la couleur de la terre ou de la boue : la couleur exprime l'aspect tragique du moment et la saleté ambiante.
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D'autres images mettent en scène les destructions liées au tsunami. Elles incluent un élément important : l'eau. Cette eau est très sombre, boueuse, elle s'est mélangée à la terre et aux détritus. Elle est donc souillée et symbolise les destructions autant que la mort. Encore une fois, la prise de vue est effectuée en plongée. On y aperçoit un flot qui emporte avec lui un tas d'objets que l'on ne saurait identifier. Ils sont dispersés sur tout l'écran ce qui renforce le sentiment de confusion. Ce plan laisse deviner la violence du phénomène qui a tout brisé sur son passage. Sur ce plan, ce sont toujours des éléments matériels que l'on montre, et non des individus. TF1 insiste ici sur les destructions matérielles.
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Mais la représentation passe également par les individus désormais sans-abris, « sans toit ». Pour les autochtones, la perte des biens matériels devient rapidement un élément important de leur discours. Le verbe utilisé par les témoins est récurrent : « Moi j'ai perdu ma maison »359, « nous avons aussi perdu nos maisons »360. Cette perte de l'espace personnel de vie a une dimension sociale et affective importante. Les images de groupes réunis, dormant à même le sol, dans des conditions précaires, sont légion. En voici un exemple diffusé le 1er janvier 2005 :
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Sur ce plan (figure 57), on distingue un groupe d’individus allongés sur le sol, contraints de partager les mêmes conditions de vie difficiles dans un lieu pris pour refuge, loin des habitations détruites. Il a une sorte d’opposition entre l’élément présent au premier plan, qui dessine un axe vertical et les corps allongés horizontalement sur le sol. L’image, assez sombre, et la concentration des personnes couchées dans tous les sens au second plan expriment la confusion ambiante.
Les populations d’Asie ont une tradition de pêche extrêmement importante et un rapport étroit à l’océan. Les habitations sont très souvent situées sur les côtes et construites dans des matériaux à la mesure des moyens financiers locaux : « Et sur l'ensemble de l'archipel, on estime que 80% des habitations sont détruites »361. Les maisons sont fragiles car elles sont, la plupart du temps, bâties sur pilotis. Le lexique et les références spatiales expriment la proximité de ces habitations précaires et de l'océan ainsi que la fragilité qu’elle implique devant le tsunami :
‘« Les structures d'accueil se situant en bord de mer ont été dévastées... »362.La localisation des habitations permet de mesurer la distance parcourue par l'océan au moment de la catastrophe tout en expliquant l'importance des dommages causés. Par ailleurs, l'utilisation du passé (« ont été, n’étaient ») exprime le résultat de la rencontre entre ces habitations fragiles et un tsunami puissant : les habitations ne sont plus. Les journalistes reprennent rapidement ce sujet pour en souligner les tenants et aboutissants : des maisons plus éloignées de la plage, plus solides, auraient-elles pu sauver des vies ? Si l’on se rappelle que des villages entiers ont souvent été rasés du fait de leur proximité avec l'océan, il semble que oui. Mais la proximité n'est pas seule en cause car les matériaux de construction se sont également révélés dangereux, voire meurtriers, sous la force de l’eau.
Le lexique en rapport avec la destruction des habitations ou les bâtiments est d’ailleurs éloquent :
‘« On ne compte plus le nombre d'habitations détruites et de villages submergés par les eaux»367.Témoins comme journalistes ont recours à des termes très forts exprimant la dévastation mais surtout la violence. Des désignations multiples donnent la mesure des effets du tsunami : il ne reste plus rien car tout a été réduit à néant. Les images de TF1 renforcent le caractère dramatique de la situation en montrant des individus désormais privés de leur maison. Beaucoup reviennent sur les ruines après le passage du tsunami, pour récupérer quelques biens, et la plupart du temps, ils se retrouvent face à des monticules de débris. Nous pensons en particulier à un reportage diffusé le 4 janvier 2005, où deux frères marchent dans les décombres de la maison de leur sœur disparue. Tout en marchant ils se mettent à décrire la disposition de la maison disparue : le salon, la cuisine, etc. Il y a une opposition entre le propos du journaliste et des personnages («Aujourd'hui, ils retrouvent sa maison, et reconnaissent chaque pièce, à la couleur du carrelage »376) et le fait que cette maison ne soit plus visible pour le spectateur puisqu'elle est détruite. Ici, l'évocation d'une habitation absente à l'image permet de mesurer le pouvoir destructeur du tsunami tout en soulignant le fait qu'elle ne reste réelle que dans la mémoire (« reconnaissent ») des deux hommes. Le premier plan présente un paysage de bord de mer dévasté, méconnaissable. Le second plan est un plan d'ensemble où un homme se trouve dans les débris en bord de plage. Il se tient debout et observe les dégâts. Ce qu'il regarde se trouve hors-champ, c'est à dire que le spectateur ne le voit pas. Ces éléments encore invisibles donnent le sentiment qu'il n'y a justement plus rien à voir et que cet homme cherche peut-être en vain car tout a été détruit.
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Sur un troisième plan, l'homme est rejoint par son frère. Tous deux ont le regard tourné vers la gauche de l'écran. Ils font des signes de la main dans cette direction et tentent de se repérer dans un espace qui leur est désormais devenu étranger. Ils semblent tous les deux perdus dans cette atmosphère de confusion et de chaos.
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Ce quatrième plan (figure 61) montre ce que les deux frères regardaient : les vestiges de la maison de leur sœur. Il ne reste pas grand chose, les murs se sont visiblement effondrés et le carrelage est difficilement décelable.
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De manière générale, les habitations ont été partiellement ou totalement détruites, de sorte que leurs habitants eux-mêmes ont parfois du mal à les reconnaître. Les maisons ou les hôtels perdent totalement leur fonction d'habitat puisque pendant longtemps, ils sont les lieux où l'on recherche les cadavres ou éventuellement des objets.
Voir chapitre 4.
Témoignage d'un thaïlandais, extrait du sujet n°8 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 3 janvier 2005.
Témoignage d'un pêcheur, extrait du sujet n°6 de Cyril AUFFRET, diffusé le 10 janvier 2005.
Sujet n°11 d'Emmanuel OSTIAN, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n°9 de Sylvain ROLAND, diffusé le 26 décembre 2004.
Sujet n°12 d'Eric BOURBOTTE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°11 d’Emmanuel OSTIAN, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n° 5 de Michel SCOTT, diffusé le 30 décembre 2004.
Sujet n°1 d'Anne-Claire COUDRAY, diffusé le 31 décembre 2004.
Sujet n°3 de diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°9 de Sylvain ROLAND, diffusé le 26 décembre 2004.
Sujet n°12 de Pierre-François LEMONNIER, diffusé le 26 décembre 2004.
Sujet n°3 de Cyril AUFFRET, diffusé le 27 décembre 2004.
Citation d'une jeune femme française. Extrait du sujet n°8 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 27 décembre 2004.
Citation d'une touriste finlandaise. Extrait du sujet n°9 de Mathieu BENOIST, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°12 d'Eric BOURBOTTE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°4 de Mathilde PASINETTI, diffusé le 28 décembre 2004.
Citation de Vella, femme indienne. Extrait du sujet n°13 de Christophe PALLEE, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n°1 de Nicolas ESCOULAN, diffusé le 4 janvier 2005.