8.1.2 L’empreinte du tsunami sur le paysage

Le paysage est un «agencement matériel d'espace naturel et social en tant qu'il est appréhendé visuellement, de manière horizontale ou oblique, par un observateur»377. Il désigne également une médiation esthétique de l'espace dont la perception est liée au psychisme, à la culture, à la position sociale d'un individu. L'expression la plus fréquente dans notre corpus pour décrire les paysages est celle de « champ de ruines»,qui renvoie immédiatement au domaine de la guerre. Les paysages sont donc liés, dans notre corpus, à cette expression. L'un des journalistes parle même de « désert lunaire » pour signifier l'absence complète d'infrastructures, la relative nudité du paysage. Les termes «champ » et «désert » renvoient à l'idée de vastes étendues complètement vides. Mais le point commun entre le désert et la surface de la lune consiste en l’hostilité de l’environnement. Le désert constituant un exemple de lieu où se joue la perte d’identité car c’est dans l’espace et dans la rencontre avec l’autre que s’articulent les dimensions singulière et collective de l’identité. C'est donc cela que le tsunami a provoqué : il a détruit tout un environnement social. D'autres propos résonnent avec la description d'une étendue : « Sur des kilomètres de côtes, les paysages se ressemblent»378. Les « kilomètres » suggèrent une longue distance à laquelle on ne donne pas de mesure précise comme pour insister sur son importance et s'affranchir de limites. Quant au verbe « ressembler », il confirme le fait que tout a été balayé avec la même violence et réduit à une uniformité sans signification. D'ailleurs, que l'on se situe en Indonésie, en Inde ou au Sri Lanka, les paysages, même s'ils constituent des fragments de l'espace du tsunami, forment un ensemble.

Beaucoup de vues aériennes sont employées par TF1 pour présenter les paysages de désolation, comme c’est le cas dans ces plans diffusés le 1er janvier 2005. Dans le premier (figure 62), les tons sont assez sombres, verdâtres. L’eau, qui a recouvert une étendue, est visiblement polluée. Dans le second plan (figure 63), filmé à Hambantota (Sri Lanka), l’on observe une image « chargée ». Les objets détruits se sont accumulés sur une plage au point d’occuper tout l’espace. Où que l’on regarde, on ne voit que ces destructions entassées.

Figure 62
Figure 62

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Figure 63
Figure 63

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Dans ce troisième plan diffusé le lendemain, 2 janvier 2005, l’eau est absente. Elle s’est retirée depuis longtemps de ce bord de plage où l’on observe le sable, les arbres et des amas de détritus. La profondeur de champ offre la vision impressionnante d’un paysage de désolation où rien n’a échappé au tsunami.

Figure 64
Figure 64

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Ces trois images, comme toutes celles qui sont diffusées par TF1, provoquent un choc en montrant la différence brutale entre le calme de la mer et la terre dévastée. Les longues bandes de sable sont souillées par des débris et des arbres. L’effet de plongée, donne au spectateur le sentiment de l’immensité des conséquences du tsunami sur le paysage, mais lui donne également une forme de distanciation, de recul lui rappelant qu'il est extérieur à cela, qu'il ne s'agit pas de son environnement proche. D'autre part, dans ces vues aériennes, il est presque impossible de distinguer les êtres humains au sol, ce qui peut signifier que l'homme n'a plus sa place, au moins pour un temps, dans ce paysage dévasté. Il a été poussé ailleurs, en l'occurrence dans les hauteurs.

Voici une autre image, diffusée le 26 décembre 2004 lors d'un duplex effectué par téléphone avec la journaliste Hélène Devynck depuis le Sri Lanka. À gauche de l'écran, on distingue un paysage de bord de mer. La prise de vue est faite en plongée, probablement à bord d'un hélicoptère. Tout semble avoir été détruit. La côte est absolument méconnaissable. La lumière est plutôt sombre, ce qui renforce l'idée de destruction, de souillure. La distance permet de voir sans vraiment voir, puisque l’on ne distingue pas clairement ce qui compose le paysage. Dans les premiers jours de la catastrophe, ce flou exprime l’absence de sens : peut-être ne sert-il à rien d’essayer de comprendre.

Figure 65
Figure 65

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La représentation des destructions matérielles, des paysages dévastés, des conséquences topographiques de la catastrophe passe par l'image mais aussi par les mots. Les termes qui reviennent sont lourds de sens :

‘« En Thaïlande, l'île de Phuket, offre désormais des paysages méconnaissables»379.
« La ville de Banda Aceh dans le nord de l'île de Sumatra a été défigurée en quelques secondes»380.’

Les termes « méconnaissable » et « défigurée » expriment la perte d’identité qui caractérise le paysage.

‘« Sur l'île de Phuket, les dégâts aperçus du ciel permettent d'envisager avec quelle violence le raz de marée est entré dans les terres...»381.’

Notes
377.

LEVY (2003), op. cit., p.697

378.

Sujet n°11 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 30 décembre 2004.

379.

Sujet n°21 de Pierre-François LEMMONIER, diffusé le 26 décembre 2004.

380.

Sujet n°1 d'Anne-Claire COUDRAY, diffusé le 31 décembre 2004.

381.

Sujet n°3 de Florence LEEKNEGT, diffusé le 26 décembre 2004.