8.2 La reconstruction et le réaménagement : entre questions économiques et esthétiques

La reconstruction, et donc un nouvel aménagement du territoire, ne peuvent s'envisager sans que la question du paysage ne soit prise en compte. La question de la reconstruction est un point primordial à propos duquel les réflexions s'engagent très vite dans la mesure où la catastrophe a complètement transformé les espaces touchés. Une semaine après le passage du tsunami, dès le 1er janvier 2005, les problèmes de relogement, de reconstruction et de réaménagement de l’espace sont abordés par les journalistes. Ces relogements et ces reconstructions seront longs pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le tsunami a littéralement tout balayé sur son passage. Rares sont les personnes dont le logement n'a pas été endommagé. Le nettoyage des zones touchées prend du temps : « ils sont des centaines de milliers ici et ils n'ont pas forcément tous été blessés mais ils n'ont plus de toit. Alors il faut des tentes, il faut aider à la constitution de camps de réfugiés. Beaucoup de gens par exemple dorment en ce moment dans des temples bouddhistes où dans des écoles, dans des collèges ». Si les pelleteuses s’affairent sous l’œil des caméras de TF1, les images montrent également des éléphants, réquisitionnés pour accéder à des lieux plus difficiles, comme ici (figure 66), le 2 janvier 2005. Ces images d’éléphants sont intéressantes à trois titres. Tout d’abord, elles rappellent l’éloignement des espaces touchés, car ces animaux, présents en Afrique et en Asie, représentent l’exotisme. D’autre part, leur taille imposante exprime le volume des espaces concernés par les destructions. Enfin, le caractère inattendu de leur présence signifie toute la singularité de cet événement.

Figure 66
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Ensuite, ces reconstructions nécessitent beaucoup d'argent et l'argent n'arrive pas forcément partout. De plus, ces reconstructions doivent observer des normes, ce qui ralentit le processus. «Il faudra les...les reloger évidemment avec toute la logistique que cela suppose. Et puis à plus long terme, le Sri Lanka, comme les autres pays de la région, euh demandent une...un soutien financier car la reconstruction évidemment est un chantier...euh...considérable pour les mois pour les années à venir, c'est une reconstruction qui prendra énormément de temps, il y a des dizaine de milliers de logements détruits...euh...dans ce pays ». Dans son propos, le correspondant Michel Scott souligne le fait que la plupart des rescapés sont aujourd'hui sans abri et doivent loger dans des refuges improvisés. Évidemment cette situation provisoire suppose un relogement définitif mais celui-ci n'est envisageable qu'après la reconstruction. Les reconstructions seront longues («chantier considérable, énormément de temps et d'argent ») et nécessiteront un réaménagement différent car plus personne ne semble décidé à se réinstaller à proximité de la plage. Le lendemain, 2 janvier 2005, la présentatrice Laurence Ferrari avance même, dans le sommaire du journal, l'horizon de la décennie, comme période nécessaire à la réhabilitation complète des pays touchés : « il faudra au moins dix ans pour tout reconstruire ». La chaîne envisage donc le temps long de l'événement pour les sociétés affectées et évoque des prévisions. Pour les ONG interrogées, les exemples du passé permettent de confirmer ces prévisions : « Prenons l'exemple du tremblement de terre à Kobe au Japon, ça a pris 5 ans, pour reconstruire des maisons, et c'est pas complètement fini. Sur l'ouragan Mitch…euh…ça a pris sept ans donc ça prend du temps, ça prend du temps pour que ce soit bien fait euh donc c'est quelques chose de complètement normal »382. Le recours à l’interévénementialité ici permet aux acteurs humanitaires de se projeter dans l’avenir. Six mois après la catastrophe, TF1 évoque cette projection dans le futur de la catastrophe : « Selon les Nations Unies, il faudra 10 ans pour effacer toutes traces du tsunami »383et c’est toujours le cas deux ansaprès : « Trois ou quatre ans seront nécessaires pour tout reconstruire »384.

Enfin, les gouvernements et une part importante des populations ne conçoivent plus d'installer des structures trop proches de l'océan :

‘« Les Sri Lankais...euh...qui ont été vous le comprenez traumatisés dans leur ensemble par la catastrophe et bien seront peut-être réticents à l'avenir à voir rebâtir leur ville sur le littoral»385.
« Le gouvernement sri lankais a en effet décidé d'interdire toute construction, à moins de 300 mètres de l'océan»386.’

Le13 janvier 2005, l'un des sujets montre à l'écran un expert venu sur une plage pour mesurer la distance minimale désormais instaurée par le gouvernement pour les constructions. Un premier plan rapproché le filme sur la plage avec ses instruments à la main, son regard est concentré et fixe l'horizon. La caméra se focalise en particulier sur ce personnage qui tient un mètre à la main et se dirige vers l’eau.

Figure 67
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Un second plan suit l'expert qui recule avec son mètre à la main. Il est en plein travail et fait un signe de la main en direction de l'océan pour montrer la zone qui ne doit plus être habitée.

Figure 68
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Un troisième plan (figure 69) général montre la plage et le mètre de couleur rouge posé sur le sable (et qui scinde le plan en deux) pour illustrer la mesure. Le mètre posé au sol semble se prolonger à destination des arbres en arrière-plan et qui marquent la coupure entre l’océan, la plage et les habitations.

Figure 69
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Ce qui est d’ailleurs intéressant dans ces plans, c’est l’absence d’habitants sur la plage au moment de la mesure, qui manifeste le recul des habitants plus loin dans les terres.

A la fin de l’année 2005, le 23 décembre, près d’un an après la catastrophe, TF1 propose un bilan de ces reconstructions en prenant pour exemple la ville de Trincomalee au Sri Lanka. Les problèmes liés à la reconstruction sont toujours les mêmes : « Une bande côtière de 200 mètres de large totalement inconstructible, c'était la règle fixée il y a quelques mois par le gouvernement sri lankais. Une règle, presque impossible à respecter pour les familles de pêcheurs. Aujourd'hui, beaucoup d'entre elles bravent l'interdiction et reviennent s'installer dans ces maisons fragilisées par le tsunami »387. Si les populations sont conscientes du risque, elles ne peuvent faire autrement que de se réinstaller près de l’océan, source de leurs revenus.« Les pêcheurs qui vivent de la mer, vont donc devoir habiter loin d'elle »388, « C'est pas pratique, comment j'vais faire pour transporter tout mon matériel ? Et puis...euh...j'ai besoin d'un abri pour mon bateau sur la plage, mais d'un autre côté, maintenant, c'est risqué d'habiter près de la mer ». Beaucoup de Sri Lankais bravent ainsi l’interdiction du gouvernement qui ne semble pas prendre de mesures. De fait, de nombreux facteurs, en particulier politiques, se cumulent : « Tensions communautaires, tracasseries administratives, pénurie de matériaux, au Sri Lanka la reconstruction s'est avérée beaucoup plus longue et compliquée que prévu. Un an après le tsunami plusieurs dizaines de milliers de personnes ne savent toujours pas où et quand ils pourront être relogés »389. Des propos du journaliste se dégagent les notions de difficultés (« longue, compliquée ») et d’incertitudes (« ne savent pas ») quant à l’avenir.

Dans le même sens, les actions des associations humanitaires en termes de reconstruction sont largement mises en avant dans notre corpus. Une part importante de leur intervention consiste à reconstruire les logements et les écoles, afin de relancer l’activité économique et de fournir un habitat aux sans-abri. La plupart du temps, des initiatives locales ou de particuliers français sont présentées. C’est le cas par exemple, d’un père sri lankais, Upul Devasurendra, et de son fils Thisara : le premier réside au Sri Lanka, le second en France.Ensemble, ils ont préparé un projet afin d’aider à la reconstruction :« Avec l'argent réuni en France par sa femme et ses amis. Upul organise déjà la reconstruction de maisons pour une centaine de familles. A Matara, les DEVASURENDRA père et fils, traduisent concrètement la force de nouveaux liens entre Lorient et l'Asie »390.

Le discours de TF1 autour des destructions et de la reconstruction s'inscrit dans les réflexions actuelles sur l’écologie et le développement durable, deux thématiques en pleine expansion ces dernières années. L’expression « développement durable » n'apparaît toutefois à aucun moment dans notre corpus. Peut-être est-ce dû à la difficulté que représente le développement, notamment économique, des sociétés tout en garantissant le respect de l'environnement. Ainsi, si la chaîne ne parle jamais précisément de développement durable, il n'en demeure pas moins que ses propos débouchent sur les mêmes logiques : les conséquences du tsunami demandent que soient repensées les politiques d’aménagement et d’urbanisme.

‘« La multiplication inconsidérée de l'espèce humaine constitue tout autant que son développement technologique, un facteur primordial de dégradation de la biosphère, avec pour conséquence d'accroître l'intensité, le nombre de victimes et les pertes économiques qui en découlent [...] De façon simultanée à cet accroissement de plus en plus rapide de l'humanité se manifeste une forte tendance à l'urbanisation, ce qui accroît la vulnérabilité des populations en cas de désastre naturel ou technologique»391.’

Les politiques d'aménagement et les normes de construction sont souvent insuffisantes, même dans les pays les plus développés. L'exemple de l'ouragan Katrina, survenu à La Nouvelle- Orléans (États-Unis) en 2005 est à ce titre frappant : «Depuis plus d'une vingtaine d'années de nombreux rapports prédisaient le scénario qui s'est réalisé, même avec un orage d'intensité assez faible […] En d’autres termes, la seule chose surprenante ici n’est pas le désastre mais l’incapacité manifeste à y faire face. Katrina dresse ainsi le constat de l’incapacité de tous les niveaux de gouvernement (local, d’état, fédéral) à mettre au point des plans efficaces d’évacuation et de secours »392.

Les reconstructions peuvent donc emprunter deux voies : se cantonner aux modèles d'avant le tsunami ou faire en sorte de tirer les leçons de l’événement et adopter une nouvelle vision : « des bâtiments qui soient conçus, pour résister, aux tremblements de terre, aux cyclones, aux inondations, ou alors tout simplement des mesures d'élévation de certaines constructions sur le littoral pour qu'elles soient…euh…aptes à accueillir des populations pendant un laps de temps, le temps que le phénomène naturel se passe »393. Une nouvelle vision implique une réflexion sur les reconstructions qui doivent être conçues en fonction des risques (« conçus pour »). L'occupation de l'espace doit se penser en termes de préservation de l'environnement et de risque pour les populations : «En prévision de ces risques, il faut déjà modifier la façon de bâtir »394. Il s'agit donc d'anticiper (« prévision ») en adoptant une nouvelle politique. Or cela prend du temps. En attendant, les populations ont la volonté de retrouver un foyer et n'acceptent pas forcément de se plier à une temporalité plus longue.

Notes
382.

Interview d’un membre d’une ONG, extrait du sujet n°8 de Mathieu BENOIST, diffusé le 23 décembre 2005.

383.

Lancement du sujet n°22 d’Olivier SANTICCHI, diffusé le 30 juin 2005.

384.

Sujet n°14 de Cyril AUFFRET, diffusé le 24 décembre 2006.

385.

Sujet de Michel SCOTT, diffusé le 1er janvier 2005.

386.

Sujet n°8 de Bénédicte DELFAUT, diffusé le 10 janvier 2005.

387.

Sujet n°8 de Mathieu BENOIST, diffusé le 23 décembre 2005.

388.

Sujet n°4 de Bénédicte DELFAUT, diffusé le 13 janvier 2005.

389.

Sujet n°8 de Mathieu BENOIST, op.cit.

390.

Sujet n°19 de Laurent GIRAUDINEAU, diffusé le 1 février 2005.

391.

RAMADE (2006), op.cit., p.12 et 16

392.

MANCEBO (François), « Katrina et la Nouvelle-Orléans : entre risque "naturel" et aménagement par l'absurde », Cybergeo, Aménagement, Urbanisme, article 353, mis en ligne le 12 octobre 2006, modifié le 22 janvier 2009. URL : http:// www.cybergeo.eu/index90.html. Consulté le 26 janvier 2009. (François MANCEBO est professeur des Universités à Grenoble I).

393.

Sujet n°13 de Marie-Claude SLICK, diffusé le 10 janvier 2005.

394.

Ibid.