La notion d’exil, très présente dans les premières semaines suivant la catastrophe, renvoie à l’idée d'une sanction, d'un châtiment, d'une épreuve, d'une forme de perte d’identité456. Elle a donc une connotation fortement négative qui symbolise bien la situation de crise, à la fois singulière et collective. Dans l’errance, les individus ne peuvent plus exprimer l’identité dont ils sont porteurs. L’espace devient donc l’espace de la perte d’identité. La crise vécue par les victimes est à mettre à l'échelle d'une société toute entière : « De nombreuses familles se retrouvent également jetées sur les routes »457. Le lexique employé suggère l'idée de mouvement involontaire, forcé (« déplacés, évacués, fuite, exode ») et qui pourrait durerdans le temps (« l’exode ne fait que commencer »)458. L’errance a donc une spatialité et une temporalité propres. C'est une forme négative de déplacement géographique qui est souvent associée dans les médias aux conflits, aux catastrophes et aux persécutions. L'espace de l'errance est un lieu d'incertitudes, de peur et de quête. Le but est de retrouver un proche ou de trouver un refuge, un lieu de substitution à sa maison. On part d'un point A, souvent familier, touché par la catastrophe, pour rejoindre un point B qui n'est pas forcément identifié. De plus, un retour n'est pas forcément garanti car pour beaucoup de survivants, leur lieu de vie est devenu inhabitable ou a été déclaré comme tel. Le plus souvent, l'exil se traduit par un lieu emblématique que sont les routes, éléments de liaison entre les villes. De longues files de population, désormais sans attaches, y errent avec quelques biens qu'ils transportent avec eux dans leur fuite. Ce dénuement est par ailleurs un signe de misère : « […] les mêmes files de survivants qui fuient les zones sinistrées »459. Ces personnes partagent la même impuissance face à un destin commun bien qu'ils ne se connaissent pas. Les routes ont une dimension infinie qui procure la sensation que l'espace de la catastrophe n'a pas de limites, or l’errance par définition n’a pas de limites, pas d’objectifs. C'est aussi politiquement fort puisque ces individus semblent contraints de se débrouiller par eux-mêmes, sans aide de la part des autorités. Le temps de l'errance est lui aussi indéterminé car les survivants ne savent pas quand celle-ci s'arrêtera, cela instaure une instabilité dans leur vie.
Sur cette image (figure 72) qui est un plan d'ensemble, on distingue trois personnes qui font partie d'une file marchant sur une route. La caméra ne se focalise pas sur l’une d’entre elles en particulier ce qui renforce la dimension collective et indistincte de cet exil. Ils sont sur une route et l'on ne sait pas d'où ils viennent ni où ils vont, il y a une forme de confusion et d'incertitude symboliques du tsunami. En hors-champ, on devine que d'autres personnes les suivent. Mais il y a aussi urgence, le mouvement des corps est celui d'une marche qui semble aller d'un pas décidé. Parce qu'ils sont filmés de profil, les regards ne se dirigent pas vers la caméra. Ils sont fixés droits devant eux, vers l'horizon. La caméra capte un moment sur le vif et cela semble traduire l'urgence de la situation. On ne sait pas ce qu'ils ressentent, certainement un mélange de peur et d'insécurité.
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Or cette errance ne peut être dissociée d'un autre phénomène présent dans la représentation du tsunami par TF1 et qui est le thème de l'isolement. Cet isolement se traduit par une rupture avec la structure sociale environnante. L'un des sujets évoque par exemple une famille de réfugiés vivant au milieu d'une communauté qui, elle, a repris le cours de sa vie. «L'isolement, c'est d'ailleurs le problème récurrent dans plusieurs régions »460.
Mais l’isolement est également à envisager dans le temps long. L’île de Nicobar par exemple, souvent évoquée par TF1 pendant la couverture du tsunami, était très peu présente dans les médias auparavant. L’isolement de Nicobar est d’ailleurs présenté par TF1, à travers des images d’archives. Il s’agit d’un reportage diffusé dans l’émission Thalassa sur France 2. On y aperçoit un peuple quasiment inconnu qui vit en retrait du monde. Le plan suivant (figure 73) est particulièrement exotique avec la plage de sable blanc, les arbres et l’eau turquoise. Elle rappelle la distance géographique qui existe entre les pays frappés et les reste du monde. D’autre part, la présence de ces peuples peu ou pas connus, renforce la singularité de la catastrophe du tsunami.
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Errance et isolement sont deux paradigmes opposés à la communication et à la médiation car ils rendent impossible la mise en œuvre dans l’espace de la dialectique entre le singulier et le collectif.
L’on peut évoquer ici le mythe du juif errant par exemple.
Sujet n°4 de Christophe PALLEE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°9 de Nicolas ESCOULAN, diffusé le 29 décembre 2004.
Sujet n°1 de Pierre GRANGE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°9 de Thibaut MALANDRIN, diffusé le 2 janvier 2005.