9.6 Les infographies : cartes et animations de l’espace

La géographie du tsunami s'illustre dans les mots, les images mais également dans les nombreuses cartes présentées à l'écran. Pour TF1, celles-ci sont indispensables : « Tout au long de ce journal nous multiplierons les cartes...pour que vous puissiez mieux comprendre ce drame. ..»467. Ici, le présentateur Patrick Poivre d’Arvor se projette en avant en parlant au futur et légitime le rôle de TF1 (« pour que ») en mettant en scène le traitement médiatique du tsunami que la chaîne (« nous ») entend offrir au spectateur (« vous »). Souvent, les cartes n’occupent qu’un espace réduit de l’écran. Elles permettent de localiser le lieu de l’action, le lieu de présence des journalistes. D'autres cartes, animées celles-ci, permettent de comprendre le mouvement du tsunami et la diffusion des vagues dans l'océan Indien. Cette visibilité de l’espace de la catastrophe, cette spatialisation des acteurs, permettent d’envisager les mouvements des acteurs au sein de cet espace. Cette représentation de l’espace permet d’imaginer l’ampleur de l’événement. Lorsqu'elles apparaissent à l'écran, ces infographies opèrent une sorte de zoom sur les lieux concernés. C'est comme si l'on se rapprochait du lieu en question, comme si ce lieu obtenait une existence et une consistance.

L’espace géographique de la catastrophe représente autant celle-ci que la destruction, la mort, la reconstruction. À propos du Sri Lanka par exemple, la carte montre bien grâce à un code de couleurs que le pays connaît une désorganisation politique. Le pays est divisé (autant sur le plan institutionnel qu’avec l’opposition entre le pouvoir et les Tamouls), la carte indiquant notamment, une zone contrôlée par les rebelles Tamouls au nord-est. L'idée de séparation s'exprime aussi dans une dualité entre les villes côtières et celles plus retranchées à l’intérieur des terres, qui représentent le plus souvent, le lieu de la sécurité autant que le lieu de l’exil. Les groupes différents se retrouvent parfois mélangés et la représentation de la situation se fait à la fois par les cartes et par les mots. En mettant en avant l’identité des acteurs, TF1 souligne aussi leur rôle dans la catastrophe.

Dans les infographies représentant le tsunami au sens physique du terme, les espaces touchés sont souvent animés, c'est-à-dire que certains éléments bougent. Cela permet de rendre intelligible le phénomène physique et de renforcer l’expression du mouvement et du déplacement. Les cartes géographiques permettent avant tout au spectateur de situer avec précision le lieu qui est au centre de l’actualité. L’espace, à travers les lieux et les acteurs qui s’y meuvent, prend une dimension nouvelle avec la catastrophe, et les médias sont là pour rendre ce mouvement visible et interprétable. « La carte est la représentation d’un espace. C’est la transcription dans une image de phénomènes localisés et des relations qui se développent entre ces phénomènes […] Elle se conçoit en référence aux règles de la perception visuelle »468.

Les infographies ont une fonction de représentation et de communication. Elles ont une visée informative : elles donnent des indications spatiales, temporelles au spectateur, elles organisent des données et cette organisation s’oppose à la situation de chaos décrite. Travaillées, esthétisées, elles rationalisent l'événement. Ces infographies représentent les actions de solidarité des ONG, ou des pays, elles proposent des bilans humains. Grâce à ces infographies, la représentation du tsunami se construit autour d'une géographie (cartes de l'espace), de son interévénementialité, et d'énumérations de bilans (qui sont une indication de l'évolution temporelle de la catastrophe). Trois couleurs y sont majoritaires : le bleu, le blanc et le rouge.

Ces illustrations viennent tour à tour introduire le discours du journaliste ou appuyer celui-ci dans une visée d'information et de crédibilité. Elles ont une véritable fonction de localisation, d'analyse et de synthèse mais participent également, du fait de leur réutilisation dans plusieurs sujets, d'une familiarisation avec la catastrophe.

Les cartes se concentrent sur les pays les plus touchés. Dans ces pays, la représentation spatiale se focalise sur certaines villes. Souvent, on situe les lieux par rapport à la capitale ou une autre ville connue comme pour mieux impliquer le spectateur en faisant appel à des références qu'il pourrait avoir. L’unité spatiale de la ville (et du pays à plus grande échelle) donne la mesure symbolique de la gravité de la situation. Quand le journaliste explique qu’une ville est entièrement détruite ou rayée de la carte, cela permet d'imaginer l'ampleur du phénomène puisque l’espace n’est plus le même, la catastrophe ayant eu une incidence sur l’espace.

La cartographie de l'espace de la catastrophe permet de situer les lieux touchés et de se représenter le mouvement du tsunami. Chaque pays devient un point particulier inclus dans un ensemble permettant de représenter l'espace du tsunami. Les cartes permettent en effet de voir et de lire cet espace. Or les infographies de TF1 sont constituées de cartes et d'animations en mouvement (donc plus dynamiques puisqu'elles supposent une action et des effets implicites) qui symbolisent d'autant mieux la notion d'évolution. En complément des commentaires du journaliste, ces illustrations donnent un rythme propice à la représentation de l'action d'un événement. Elles permettent à TF1 de proposer un mode d'interprétation supplémentaire, puisqu'elles proposent un ensemble particulier d'informations.

Dans notre corpus, les infographies (cartes et animations) sont, pour la plupart, assez similaires les unes aux autres. Nous nous proposons donc d'identifier les différentes catégories recensées et d'analyser la signification de certaines cartes, pour comprendre le sens donné par TF1 au tsunami, à travers l'étude des espaces représentés, des légendes, des codes couleurs utilisés, mais également de la dimension de ces graphiques. Les légendes, aussi succinctes soient-elles, apportent un complément censé orienter le spectateur dans sa compréhension. Nous émettons l'hypothèse selon laquelle la catastrophe trouve un sens dans l’espace, sens qui se traduit dans les cartes.

La première carte relevée dans notre corpus accompagne le premier sujet diffusé le 26 décembre 2004, celui qui propose une présentation générale de l'événement. Il s'agit d'une carte de l'Asie centrée sur l'Inde, l'un des trois pays les plus touchés, l'île de Sumatra qui est le lieu le plus proche de l'épicentre du séisme, et les Maldives. Le point de départ de la catastrophe est indiqué en rouge : une couleur vive, dynamique dont la symbolique évoque la chaleur, la destruction, une certaine forme d'agressivité. Sans vouloir évoquer de théorie hasardeuse concernant le symbolisme des couleurs469, nous souhaiterions simplement remarquer un point : le langage des couleurs varie selon les cultures et les époques ce qui implique qu’elles symbolisent des valeurs. TF1 elle-même le fait remarquer dans son discours en précisant, par exemple, que le deuil est symbolisé par le noir en occident alors qu’en Asie du Sud-Est, il est symbolisé par le blanc. Ce que nous constatons à propos des infographies et des cartes proposées par la chaîne dans sa représentation du tsunami, c’est que les couleurs utilisées renvoient, dans la culture occidentale, à des thèmes que nous retrouvons dans la description de la catastrophe. Le mouvement du tsunami formé par le séisme, l'onde de propagation, est lui indiqué en bleu, une couleur froide que l'on identifie à celle de l'eau. Lorsque les journalistes évoquent la mer, ils parlent parfois de sa couleur : « Les eaux turquoise »470. L'onde est représentée selon un mouvement concentrique bleu (en forme de demi-lune) qui se diffuse au nord, au sud, à l'est et à l'ouest.

Figure 78
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Figure 79
Figure 79

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Le lendemain, 27 décembre 2004, le journal propose un premier sujet du journaliste Pierre Grange, qui inclut une carte où sont représentés sept pays frappés, dont l'Inde, le Sri Lanka et l'Indonésie (figure 80). Pour délimiter cette zone de catastrophe, un liséré rouge borde les côtes de chacune de ces nations. Elles sont alors immédiatement distinguées de celles qui n’ont pas été touchées. Une fois encore, cette couleur rouge est présente pour signifier le drame survenu. Une seconde carte de même nature présente ensuite les côtes d'Asie accompagnées de celles d'Afrique, également touchées. Plus tard dans le journal, le quatorzième sujet, de Fabrice Collaro, propose une carte où sont inclues les distances parcourues par l'eau depuis l'épicentre. Cette infographie donne la mesure de la force du séisme puisque l’on voit les kilomètres d’océan traversés par les vagues ; elle permet en parallèle à TF1 de montrer qu’elle se base sur un savoir précis.

Figure 80
Figure 80

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D'autres cartes géographiques sont consacrées au(x) pays touché(s) sur le(s)quel(s) le reportage se focalise, de manière à ce que le spectateur situe parfaitement le lieu de l'événement. Ce sont donc des cartes présentes tout au long de la couverture médiatique de la chaîne. La plupart des cartes représentent donc les zones les plus touchées et, de fait, les plus médiatisées. Celles-ci n'apportent pas d'information particulière, si ce n'est la localisation d'une ou plusieurs villes, en particulier les capitales. Elles sont ainsi « séparées » du reste du monde, on les extrait, ce qui renforce le sentiment de focalisation ou à l'inverse de mise à distance entre l'Occident et les pays touchés. De plus, la plupart du temps, même si elles occupent tout l'écran, ces cartes ne sont présentes que quelques secondes. Cela est probablement liée au fait qu’il s’agit avant tout de cartes référentielles, présentant au spectateur une situation existant avant le passage du tsunami. Il s’agit seulement de localiser un pays dans l’espace mondial.

Parmi elles, se trouvent des cartes qui concernent la France, comme c'est le cas dans le sujet numéro quatorze du 29 décembre 2004 et qui propose une carte où l'on voit uniquement la moitié du globe avec d'un côté la France et de l'autre les Maldives (figure 81). Les Maldives sont par ailleurs entourées d'un cercle car ces îles sont minuscules sur la carte. D'autres cartes encore, se concentrent exclusivement sur la France, ce qui concorde avec nos analyses : dans la représentation de l’événement, on constate une forme d’ethnocentrisme qui consiste à réduire symboliquement la distance entre la France et les pays touchés.

Figure 81
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D'autres cartes sont consacrées à la puissance du tsunami. Ainsi, le quatorzième sujet du 27 décembre 2004 consacré à l'explication géophysique du phénomène propose une carte de l'Asie avec les zones de diffusion de l'onde et le chiffre 9 de la magnitude inscrit en gros (l'œil est immédiatement attiré), pour signaler l'exceptionnelle intensité du phénomène (figure 82). La présence des pays en blanc rappelle quels états ont été touchés. Le rôle de ce type de cartes est de présenter le déroulement de l’événement et de lui donner une dimension spatiale. Si les ondes et le chiffre 9 sont tous deux distingués en rouge, c’est à la fois pour attirer le regard mais surtout pour dire qu’ils sont liés. Les ondes accompagnées du chiffre de la magnitude donnent un sens à la carte et permettent au spectateur de comprendre ce qui a eu lieu et où. Une autre série de cartes permet de présenter les répliques qui ont suivi le premier séisme dans les jours suivants. Une flèche rouge dirigée vers le sud-ouest représente la distance de 350 kilomètres à laquelle s'est produite l'une des répliques du séisme.

Figure 82
Figure 82

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La cartographie permet également de se représenter la configuration de la planète et de comprendre finalement pourquoi les séismes ont lieu et comment certains d’entre eux provoquent des tsunamis (figures 83 à 85). Ce type de carte est intéressant puisqu’il semble illustrer la volonté de TF1 de situer, avant tout, la catastrophe comme un phénomène naturel qui s’explique par la science. Le septième sujet du 26 décembre 2004, d'Anne-Marie Blanchet présente une succession d'images de synthèse où l'on peut voir la terre dans son ensemble et les plaques qui la constituent. Ces images illustrent le savoir scientifique que la chaîne entend diffuser, c’est une façon de montrer le pouvoir du média.

Figure 83
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Figure 84
Figure 84

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Figure 85
Figure 85

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Une seconde animation se focalise sur la plaque proche de l'île de Sumatra (figures 86 à 89). Les plaques sont indiquées en rouge, avec toujours cette notion de dynamisme propre aux mouvements de l'écorce terrestre. Des flèches rouges et orange orientées vers le nord ou le sud indiquent par ailleurs les mouvements de celles-ci. L'orange qui résulte du mélange entre le jaune et le rouge, est une couleur quasiment aussi chaude qui reflèterait un équilibre fragile, une certaine forme de violence qui, nous l’avons vu, caractérise le tsunami tout au long de notre corpus. Elle évoque le soleil, le feu, une tonalité très vive. Cette couleur est évoquée dans l’un des sujets évoquant les risques sismiques en France. Le journaliste explique que des cartes ont été établies par les scientifiques pour délimiter les zones à risque en fonction de l’importance de ce risque : « Pastille noire, les maisons ont été détruites. Violette, rouge : dégâts considérables. Orange et jaune : secousses fortes mais dommages minimes. Vert : ça a été léger »471. Ici, l’orange est donc assimilé à une instabilité importante de l’écorce terrestre. Par ailleurs, le rouge est également présent. On remarque qu’il représente un degré supérieur de risque par rapport à l’orange.

Figure 86
Figure 86

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Figure 87
Figure 87

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Figure 88
Figure 88

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Figure 89
Figure 89

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A la fin du même reportage, une dernière animation (figures 90 et 91) explique le mouvement des vagues à l'approche des côtes et des habitations, de sorte que le spectateur peut observer le principe de formation de vagues gigantesques. C’est une forme d’esthétique iconique de la tempête qui se forme et se rapproche des villes. Dans notre corpus d’ailleurs, certains reportages prennent le tsunami comme point de départ pour évoquer plus largement les problèmes climatiques comme les tempêtes : « Exceptionnelle aussi, les deux tempêtes qui se sont suivies en Europe du Nord. Aussi violentes, que celle de 99 »472. Une explication que l'on retrouve dans d'autres animations, comme le quatorzième reportage diffusé le 27 décembre 2004 où l'on observe les fonds marins. Dans un sujet du 31 décembre, nous pouvons voir des flèches jaunes représentant le mouvement des plaques.

Figure 90
Figure 90

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Figure 91
Figure 91

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Une autre catégorie de cartes est consacrée aux centres de sismologie dans le monde (figure 92). Ces infographies nous expliquent le fonctionnement de ces centres et la manière dont un capteur envoie un message à un centre d'alerte, via un satellite. Ces cartes sont une instance de méta-langage dans la mesure où TF1 nous informe sur l'information disponible dans le monde concernant les tsunamis. La chaîne explique comment cette information s'élabore, ce qui lui permet de l'évaluer mais également de montrer que ce type d'événement est plus ou moins maîtrisé par des institutions. C'est à nouveau une forme de rationalisation de la part du média.

Figure 92
Figure 92

20:18:44:14

Une cinquième catégorie de cartes se veut plus politique. Dans le sujet numéro 7 du 28 décembre 2004, une carte représente l'espace du Sri Lanka et la crise politique liée à la rébellion tamoule et au contrôle tamoul d'une partie du territoire (figure 93). C'est une scission à la fois politique, géographique, identitaire et idéologique, longue de plusieurs années. Or la bipartition prend une nouvelle signification avec le tsunami puisque celle-ci va contribuer à enliser la crise consécutive à la catastrophe. La zone contrôlée par les rebelles est signifiée par la couleur verte et la légende « zone rebelle contrôlée par les Tigres tamouls ». Associée à l'eau ou à la nature, le vert renvoie autant à la régénération qu'à la vengeance ou au désespoir. C'est aussil'une des couleurs phares de l'armée : les uniformes des soldats sont souvent verts.

Figure 93
Figure 93

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Dans un autre sujet, le numéro 17 du 29 décembre 2004, la zone contrôlée par les Tamouls est représentée en gris (figure 94). Cette tonalité est à mi-chemin entre le noir et le blanc et renvoie à la tristesse, à la mort, au repli autant de thèmes qui peuvent renvoyer à la guerre civile qui touche le pays. Le gris renvoie également à un espace finalement peu connu, mal maîtrisé et à propos duquel on a peu d'informations. «Mais on appelle parfois aussi « zones grises » ces régions du monde qui, confrontées à des crises sans fin ou à des conflits gelés, s’enfoncent dans des espaces de « non-droit » (Rufin, 1992). Drames souvent internes pour lesquels n’apparaît aucune solution, ces conflits interminables ne font recette ni auprès des médias ni auprès des pouvoirs publics, et finissent par tomber dans l’oubli »473. Le Sri Lanka est donc caractérisé par une zone grise, rebelle : «Les zones - et des populations - exclues du réseau mondial de l'autorité politique, de l'économie d'échange, de l'information et qui se structurent selon leurs propres lois, atteignant un haut degré d'autonomie et d'opacité " 474.

Figure 94
Figure 94

20:29:18:24

Ces cartes peuvent-elles représenter les conséquences du tsunami sur l'espace géographique ? Comment représenter les destructions et l'ampleur des dégâts ? Si l'on peut symboliser la puissance de la catastrophe, représenter ses effets est plus difficile. Les cartes s'accompagnent donc de légendes : noms de villes et de pays, chiffres, phrases plus longues. Certaines cartes ne sont ainsi que des cartes prétextes pour donner des informations telles que des bilans (figures 95 et 96). Le sujet numéro 17 du 30 décembre 2004 comporte ainsi une carte du Sri Lanka où apparaissent les chiffres de 29 000 morts et 5 000 disparus. Le premier en rouge et le second en noir. Nous avons déjà évoqué le symbolisme assez violent de ces deux tons liés au sang et à la mort. Cette culture du chiffre dans les cartes fait redondance avec les chiffres évoqués oralement dans le commentaire des journalistes.

Figure 95
Figure 95

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Figure 96
Figure 96

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Notes
467.

Lancement du sujet n°1 de Pierre GRANGE, diffusé le 27 décembre 2004.

468.

LE FUR (2007), pp.6-7

469.

PASTOUREAU (1992), Dictionnaire des couleurs de notre temps, Paris, Bonneton, 191p.

470.

Sujet n°3 de Florence LEENKNEGT, diffusé le 26 décembre 2004.

471.

Sujet n°10 diffusé le 19 janvier 2005.

472.

Sujet diffusé le 13 janvier 2005.

473.

GRUNEWALD, TESSIER (2001), p.324

474.

BONIFACE (2003), pp.60-61