11.4 Inde : lutte pour l’unité et pour l’identité

Souvent envahie par les européens, la République de l'Inde ou Union Indienne appartient à l'Empire Britannique depuis la moitié du XIXème siècle et ce, jusqu'à son accession à l'indépendance, proclamée le 15 août 1947. L'indépendance est liée à la montée d'un mouvement nationaliste mené par Mohandas Gandhi et Jawaharlal Nehru. La péninsule connaît alors une partition basée sur des questions identitaires, à la fois culturelles et religieuses, sous le principe d'une « théorie des deux nations » qui donne naissance à deux États : l'Union indienne et le Pakistan (lui même divisé en deux zones, l'une occidentale et l'autre orientale). Si ce dernier se veut un État religieux regroupant tous les musulmans, l'Union indienne, elle, se dit laïque et pluriethnique bien que majoritairement peuplée d'Hindous. Depuis de nombreuses années, en effet, les communautés musulmane et hindoue cherchent à se séparer et à renforcer leurs identités respectives. La séparation provoque l'exode de part et d'autre de la frontière. Trois guerres voient s'affronter les deux voisins, au sujet du contrôle d'un territoire nommé Cachemire et intégré à l'Inde dès le mois d'octobre 1947. Bien que le chef de cet état princier, le maharadjah, soit hindou, le territoire est principalement peuplé de musulmans. Le Cachemire est alors divisé en deux selon une ligne de cessez-le-feu, instaurée sous l'égide de l'ONU. D'un côté se trouve l'état indien du Jammu et Cachemire et, de l'autre, l'Azad Cachemire sous contrôle pakistanais. La seconde guerre indo-pakistanaise a lieu en 1965, toujours à propos du territoire convoité du Cachemire. Il faut noter que sur cette question, les deux parties ne sont pas d'accord quant à la dimension spatiale du conflit. Le Pakistan estime que celui-ci doit être soumis à une médiation internationale alors que l'Inde souhaite le confiner et trouver une solution de manière bilatérale. Un troisième conflit éclate en 1971, alors que le Pakistan oriental devient indépendant et prend le nom de Bangladesh. Cette partition est soutenue par l'Inde. Depuis, la spirale du terrorisme n'a cessé de faire des victimes. De plus, « Dans le champ politique, le gouvernement fédéral a connu des décennies de pratique autoritaire et centralisé du pouvoir d'abord sous Jawaharlal Nehru (1947-1964), puis sous Indira Gandhi, Premier Ministre de 1966 à 1977 et de nouveau de 1980 à 1984 »580.

Figure 108
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Source : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/inde-pakistan/carte-inde.shtml

L'Inde compte plus d'un milliard d'habitants répartis sur 3,2 millions de km2, soit 28 états et sept territoires, ce qui en fait le second pays du monde par la population après la Chine. Les principales religions sont l'hindouisme (80%), l'islam (12%) suivies notamment de sikhs, de chrétiens ou encore de bouddhistes. De nombreux tamouls sont également présents dans la région du Tamil Nadu, située face au Sri Lanka. Les tensions interreligieuses sont assez vives dans le pays. Le défi de l'État indien moderne était de réunir les 554 états princiers qui le constituaient en respectant la diversité ethnique et linguistique. En 1956, le « States Reorganization Act » décrète la formation de quatorze états linguistiques et six territoires, comme le montre la carte (figure 108). Le pays compte sept religions principales et plus d'une centaine de langues. La notion decaste581 joue un rôle important dans la société et définit son identité (deux sujets portent sur cette question). Emile Benveniste propose une analyse du vocabulaire des grandes institutions et il explique que : « Les castes de l’Inde sont la systématisation très durcie d’une division qui remonte en tout cas au passé indo-iranien, peut-être même déjà à la société indo-européenne »582. Il existe quatre catégories, par ordre d'importance : Shudra (serviteurs), Vaishya (« homme du peuple », agriculteurs et commerçants), Kshatriya (fonctions politiques et guerrières), Brahmanes (les enseignants, les lettrés et les religieux). Au plus bas de l'échelle se trouvent les intouchables, ou dalits, qui, comme leur nom l'indique, sont déclarés impurs et non dignes d'être touchés. Représentant environ un cinquième de la population, ils peuvent, selon les croyances, souiller un individu par un simple contact physique ou visuel et sont donc complètement exclus de la société. Ils sont mis à l'écart et ne peuvent porter que les vêtements pris sur les cadavres. On leur réserve donc les tâches les plus ingrates comme le rôle de fossoyeur par exemple. La répartition sociale du pays entre ces castes n’échappe d’ailleurs pas à TF1. Le 3 janvier 2005, le présentateur Patrick Poivre d'Arvor introduit un sujet sur les intouchables : « Là-bas, c’est la caste des intouchables qui est la seule autorisée à toucher, justement, les cadavres ». Il joue ici sur l’opposition entre le nom qualifiant l’identité de cette catégorie d’individus et le fait qu’ils touchent les morts alors qu’eux-mêmes ne sont jamais touchés. Dans ce reportage, la journaliste Marine Jacquemin présente le sort des intouchables qui, dans la catastrophe, trouvent une fonction à laquelle d'autres ne souhaitent pas s'atteler :

‘« Les maladies, l'odeur de la mort, plus aucun habitant ne se risque, à fouiller les décombres. La dure corvée est désormais aux mains des intouchables, autrement dit, les pauvres parmi les pauvres, les opprimés, les brisés. Ils font toujours l'objet de mauvais traitements, et assument dans la société bien les pires travaux [...] Pourtant, depuis les premières heures qui ont suivi le raz de marée, les intouchables, pour cinquante centimes d'euros par jour et un repas, ont dégagé des milliers de corps, puis ils ont préparé des cercueils, des bûchers pour incinérer des enfants, des femmes des hommes, souvent sans nom»583. ’

Ce sont donc les plus pauvres et les plus rejetés qui sont ici payés et nourris pour incinérer les cadavres. Cet exemple montre ce que les divisions dans une société (« opprimés, brisés ») et ce que la misère (« pauvres parmi les pauvres ») peuvent engendrer. Sur le premier plan (figure 109), un intouchable explique ce qu'il fait. Il porte un masque qu’il a abaissé pour discuter avec le journaliste. La caméra le filme en plan rapproché. D'autres hommes sont visibles en arrière-plan mais on ne sait pas s'il s'agit également d'intouchables. Le plan montre une incinération de cadavres collectés par des intouchables. Une foule de gens se trouve autour du bûcher installé sur une plage. On aperçoit un léger nuage de fumée noire s’envoler (surtout à droite de l’écran). Un second plan (figure 110) montre également une incinération. Le bûcher est ici encore plus grand, le feu est encore visible avec des flammes et une épaisse fumée blanche qui recouvre toute la partie supérieure de l’image. Cette fumée blanche qui s’élève dans les airs contraste avec le reste de l’image un peu plus sombre : comme si ces cadavres incinérés étaient éloignés des personnes encore vivantes. D’ailleurs la présence de cette foule tournée vers le bûcher (de dos par rapport à la caméra) donne le sentiment qu’elle assiste à ce rituel pour se purifier. Les plans suivants ont une double signification : ils montrent que l’incinération rituelle des morts sert à faire disparaître les cadavres et à purifier. Or il est étonnant de voir que ce sont justement les personnes considérées comme les plus impures dans la société indienne qui travaillent pour purifier après le passage du tsunami. Mais comme nous l’avons dit plus tôt, le rôle de fossoyeur leur est souvent dévolu et le risqued’épidémies effraie les populations. Quoi qu’il en soit, cela renforce le caractère « hors norme » de cette catastrophe.

Figure 109
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Figure 110
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Dans le discours de TF1, la dureté dont fait preuve le pouvoir en Inde semble rendre encore plus difficile la situation de catastrophe : « Parce que l'Inde, nous dit-on est un pays très bureaucratique et que pour recevoir une aide et bien il faut remplir des formulaires, il faut…euh…correspondre à certains critères. Tout ça prend du temps et tout ça prend du retard »584. D’autre part, l’Inde est présentée comme un état qui entend se passer de toute aide extérieure. Toutefois, le journaliste souligne les limites de cette attitude : «New Delhi a refusé l'aide de nombreux pays à l'exception de la France […] Alors effectivement, l'Inde refuse, depuis le début, et systématiquement, toute aide internationale en disant qu'elle n'en a pas besoin et qu'elle a même les moyens d'offrir son aide au pays voisin qui est le Sri Lanka, qui a été beaucoup plus durement touché. Ceci dit, si l'aide, si l'Inde refuse l'aide internationale, en même temps et c'est un peu paradoxal, fait appel aux dons privés. Et c'est ainsi que depuis quelques jours, on peut voir à la télévision… euh…en Inde, des spots de publicité du gouvernement…euh…qui demande aux habitants de bien vouloir…euh…ouvrir leur portefeuille et faire des dons, le plus de dons possibles, pour aider les sinistrés»585. Dans ce refus de recevoir de l’aide, l’Inde semble vouloir affirmer son identité politique mais les propos de la journaliste soulignent les incohérences de cette attitude politique et diplomatique puisque le gouvernement demande aux habitants de faire preuve de générosité, tandis qu’il aide un pays voisin (le Sri Lanka).

Nous le voyons, ces exemples montrent comment le discours de TF1 sur le tsunami s’appuie sur la situation politique et surtout sociale de l’Inde pour expliquer l’évolution des conséquences de la catastrophe. Ces exemples tendent à mettre un peu plus en lumière les différences entre pays du Nord et du Sud. Concernant la Thaïlande, le discours s’oriente sur des questions économiques. C’est donc de manière très brève que nous allons présenter ce pays.

Notes
580.

CARROUE et COLLET (2007), p.175

581.

Elles sont appelées varnas (couleurs) et sont sous-divisées en groupes appelés jatis.

582.

BENVENISTE (1969), p.280

583.

Sujet n°13 de Marine JACQUEMIN diffusé le 3 janvier 2005.

584.

Duplex de Michèle FINES en direct de Madras le 28 décembre 2004.

585.

Duplex de Michèle FINES, en direct d’Inde, diffusé le 29 décembre 2004.