Partie III. Tsunami et identités : Les acteurs représentés par TF1

Il existe plusieurs types d’identités. Le concept d’identité n’a rien à voir ici avec la notion de personne singulière mais avec la notion d’identité politique puisqu’il s’agit des médias, d’espace public et de faits environnementaux. L’identité se fonde sur la communication et sur la place occupée au sein de l’espace public. Il s’agit en fait d’un ensemble d’éléments : la place que l’on occupe dans un événement, les thèmes que l’on aborde. Comme toute identité, elle se fonde sur le regard de l’autre. Le média propose une représentation et une expression des identités politiques, culturelles et sociales. L’événement fonde l’identité des acteurs qui y sont impliqués et dont les pratiques sociales sont bouleversées. Ce sont par ailleurs ces acteurs qui, par la mise en œuvre de leurs pratiques sociales, donnent une consistance réelle à l’événement.

En dehors du discours des présentateurs et des journalistes de la chaîne, les reportages diffusés par TF1 sont en grande partie constitués d'interventions de tiers. Le discours de la chaîne est donc un discours polyphonique⁵⁸⁹. Nous avons comptabilisé 595 intervenants au total⁵⁹⁰. Ces interviews proviennent la plupart du temps de personnes identifiées (soit oralement par le journaliste, soit par un synthé). Plusieurs catégories ont pu être créées à partir de notre corpus. Avec le tableau suivant, nous pouvons observer la répartition des interventions. Certains groupes sous divisés en sous-catégories, en fonction de la nationalité des intervenants.

27 personnalités politiques apparaissent dans notre corpus. Elles représentent 4,54% des interventions. Les autorités politiques occidentales sont deux fois plus nombreuses que les autres.
25 scientifiques ont été interviewés pour apporter leur éclairage au phénomène. C'est un peu plus de 4% du total. La plupart sont Français (23), mais deux sont Japonais, leur connaissance du phénomène étant particulièrement développée.
25 membres des armées occidentales ou asiatiques, de la sécurité civile ou des autorités policières ont été comptabilisés. Cela représente un peu plus de 4% du total.
11,93% des intervenants sont des membres ou des représentants d'ONG ou d'associations. 71 personnes ont été recensées. Elles sont donc beaucoup plus nombreuses que les catégories précédentes.
Les membres d’associations sont talonnés par les personnels médicaux. 45 personnes sont parues, soit plus de 7,56%.
- Toutefois, les catégories les plus importantes sont celles des témoins, identifiés ou non. Une majorité est anonyme, qu'ils soient occidentaux ou asiatiques. Ils représentent 39% des interventions. Les autochtones sont légèrement moins nombreux.
- Juste derrière, avec 27,56%, figurent les témoins identifiés. Ici encore, ce sont les occidentaux qui sont les plus nombreux. Sur 164 personnes, 114 sont occidentales. Il y a donc un écart de onze points avec les autochtones. Il y a, par ailleurs, plus d'autochtones non identifiés que d'autochtones identifiés. Par contre, il y a quasiment autant d'occidentaux identifiés que d'occidentaux non-identifiés. Ces chiffres montrent que dans la couverture de l’événement, TF1 fait preuve d’un certain ethnocentrisme⁵⁹¹. Appliqué au discours de TF1, le terme « ethnocentrisme » signifie que la chaîne apporte une attention toute particulière aux acteurs de même nationalité, donc français. Cette attention porte sur les images de touristes et les mots employés à leur sujet qui, réunis, participent à la donner un sens à l’événement. Cet ethnocentrisme est intéressant à relever puisqu’il contribue à favoriser une proximité symbolique avec l’événement.

Enfin, 1% des interventions proviennent de journalistes qui ne font évidemment pas partie de l'équipe de TF1. ils sont occidentaux (3) ou asiatiques (3) à parts égales. Ces acteurs sont peu nombreux, mais intéressants car en les évoquant, TF1 prend une forme de distance avec le tsunami et construit une forme de méta-événement.

Tableau 6 Origines des interventions dans les reportages de TF1 sur le tsunami

Source : auteur

Graphique 9 Origines des interventions dans les reportages de TF1 sur le tsunami

Source : auteur

À l'évidence, TF1 accorde une grande importance à la parole des individus ordinaires (témoins), ainsi qu'aux personnes venues aider sur le terrain (armée, personnel médical, ONG...). Le tsunami se vit à travers l'intrusion dans la sphère intime, dans la sphère privée des individus. Il est beaucoup moins institutionnalisé qu'on ne pourrait l'imaginer et surtout, mois abordé sous le prisme d'un discours expert, et ce, malgré la rareté du phénomène et son caractère éminemment scientifique. Ce sont les conséquences sur les hommes qui sont privilégiées ici. La forte (et brutale) mortalité de masse semble avoir marqué. De plus, le discours des témoins laisse une place prépondérante à l'émotion et permet à la chaîne de renforcer le caractère dramatique de la catastrophe. Nous nous intéresserons dans les trois chapitres suivants au contenu des différents discours produits par la chaîne. Cela nous permettra de mieux observer l'orientation prise par TF1 à propos du phénomène.

Notes

589.

Dans le discours des médias s’insèrent d’autres discours issus d’intervenants variés, ici, en l’occurrence les victimes, les politiques ou les scientifiques, par exemple.

590.

Ce chiffre ne correspond pas au nombre d'interventions puisqu'un intervenant peut avoir été interviewé plus d'une fois dans notre corpus.

591.

LEVI-STRAUSS (Claude) (2007), Race et histoire, Paris, Gallimard, 162p. Le Trésor de la langue française définit l’ethnocentrisme comme un « comportement social et [une] attitude inconsciemment motivée qui conduisent à privilégier et à surestimer le groupe racial, géographique ou national auquel on appartient, aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les autres peuples ».