12.4 Des discours où se mêlent politique et émotion

La grande majorité des discours politiques cités par TF1 consiste donc dans des discours prononcés par des personnalités françaises ou asiatiques. La particularité de ces discours tient au fait que les acteurs engagent leur identité et celle de leur pays. Les propos tenus tendent à donner une vision individuelle de l'événement. Au-delà de la représentation d'une institution, les personnalités politiques font part de leur solidarité dans une situation où tous sont impliqués. C'est la voie empruntée dans les propos des journalistes d'abord, qui illustre cela : « rassurer, conseille[r], réconforte[r] ». Ces verbes sont généralement peu associés à des acteurs politiques.

Les mots permettent aux autorités gouvernementales d’exprimer leur identité politique, de poser leur rôle dans la catastrophe, leurs actions, leur statut. L’identité des pays est profondément touchée, ces pays « pleurent, paient ». En réponse, les politiques insistent sur l’émotion, la compassion, la solidarité à la fois économique et matérielle. C'est aussi la voie empruntée par le discours du président de la République Jacques Chirac lors de ses vœux aux Français le soir du 31 décembre 2004628. Il commence son allocution en abordant les événements tragiques des derniers jours.

‘« Mes chers compatriotes, de Métropole, d'Outre-mer et de l'étranger,
nous sommes tous bouleversés par la terrible catastrophe qui a semé la mort, l'horreur et la dévastation dans l'océan indien.
Ce soir, mes pensées vont à toutes les victimes. Elles vont aux familles et aux proches de nos compatriotes dont la vie s'est brisée ce 26 décembre. Elles vont aux blessés, à toutes celles et à tous ceux qui sont sans nouvelle d'une personne aimée. Je veux leur dire, au nom de la Nation tout entière, mon émotion et ma profonde solidarité.
Le Gouvernement s'est immédiatement mobilisé pour apporter aux victimes assistance et soutien. Et je salue le magnifique élan de générosité des Françaises et des Français qui s'engagent et qui répondent en masse à l'appel des associations humanitaires pour venir en aide aux populations frappées par cette tragédie, une tragédie qui est aussi la nôtre.
Car chacun ressent aujourd'hui à quel point, par-delà les distances, nous formons une seule et même humanité dont le destin ne se distingue pas de celui de notre planète.
L'action doit se poursuivre face à l'urgence : retrouver nos compatriotes et aider leurs familles, renforcer les secours et l'aide humanitaire, lutter contre les risques d'épidémies.
Au-delà, la France et l'Europe mettent en place des moyens exceptionnels, et notamment un moratoire sur la dette, pour permettre la reconstruction des régions dévastées et la reprise de l'activité de populations qui ont tout perdu.
Si nous ne pouvons évidemment pas empêcher de tels séismes, il dépend de nous d'en prévenir les conséquences les plus dramatiques.
La France s'impliquera pour que l'Europe et les Nations Unies mettent rapidement en place des dispositifs d'alerte efficaces et organisent une véritable force humanitaire de réaction rapide, comme nous avons su le faire, pour la paix, avec les casques bleus ». [...]’

La catastrophe humanitaire constitue le premier thème abordé par le président, avant le référendum sur le traité de Constitution Européenne et la situation en France. Le discours du président est un discours d’émotion, empreint de formules compassionnelles (« bouleversés, émotion, pensées »). Le président utilise les pronoms « je » et « nous » qui marquent une implication à la fois personnelle et collective. Il parle également de « laFrance » et de « la nation », dans la perspective d'un lien établi entre les zones dévastées et la France. Mais il n'oublie pas également de mettre en avant l'Europe, au sein de laquelle la France entend jouer un rôle primordial. Il semble accorder une grande importance à la réalisation d'un projet international aussi efficace que d'autres auparavant (« comme nous avons su le faire, pour la paix, avec les casques bleus »). Cet objectif serait une nouvelle étape dans la concrétisation d'une politique d'intégration européenne, permettant d'asseoir son autorité à l'échelle locale et internationale. Il est donc bien question de l'identité européenne ici, mais également du rôle que tient la France dans cette Union : « La France s'impliquera». Face aux difficultés (« catastrophe, mort, horreur, dévastation, tragédie »), ce que le président souligne en priorité, ce sont des valeurs, celles qu’il entend associer à l’image de la France : «solidarité, générosité, assistance, soutien ». Il évoque, par ailleurs, la possibilité d'un moratoire. L'action proposée s'inscrit, comme le discours, dans le présent. Aucune allusion n'est faite à des projets futurs concernant, par exemple, le développement de moyens de prévention. Ce discours reste avant tout un discours d'autorité (« le gouvernement ») qui promet des actions : « mobilisé, retrouver, aider, lutter, organiser, mettre en place ». Il parle d'une universalité (« nous formons une seule et même humanité ») propice à susciter de la solidarité.

Figure 112
Figure 112

20:00:10:71

Nous avons signalé un peu plus haut que la catastrophe constitue une épreuve pour le politique, mais c’est également une épreuve pour les populations qui réagissent plus ou moins bien, non seulement à la catastrophe mais également à sa gestion par les autorités. De fait, nous avons remarqué dans l’analyse de notre corpus que TF1 développe un thème concernant la solidarité dont ont fait preuve les victimes entre elles. Cette solidarité est également l’occasion d’émettre des critiques quant aux manquements ou aux faiblesses de la gestion mise en place, voilà pourquoi nous parlons ici d’une forme de rupture entre la société civile et les autorités locales.

Notes
628.

Allocution télévisée du président Jacques Chirac le 31 décembre 2004 à 20h / Durée de l'intervention : 11 minutes.