Les victimes de la catastrophe sont donc nombreuses, l’importance accordée par TF1 aux chiffres nous le montre, mais elles recouvrent tous les âges. De nombreuses générations sont représentées. Dans notre corpus, nous n'avons relevé que très peu de témoignages d'enfants victimes du tsunami, mais beaucoup de discours parlant d'eux en revanche. En évoquant le sort des enfants dans le tsunami, TF1 explore la notion d'injustice car ce sont les plus jeunes, ceux qui par principe n'ont pas encore vécu leur existence, qui ont été les plus touchés. Plusieurs points sont à souligner dans cette notion d’injustice. Tout d’abord, elle contribue à exacerber les sentiments du spectateur et suscite son empathie. Ensuite, elle inscrit le discours dans une dimension non-politique des thèmes de la justice et de l’injustice. Enfin, on peut supposer que la chaîne se donne une rhétorique de justicier qui met en quelque sorte de côté les inégalités sociales, économiques et politiques entre le Nord et le Sud mises au jour par le tsunami et qui permettent de comprendre la catastrophe.
Les discours relayés par TF1 sont parfois ceux d'autres enfants, notamment de petits Français. La première victime française identifiée est d'ailleurs une enfant : «Juliette avait 4 ans, c'est la première victime française identifiée »690. Quelques jours plus tôt, le 26 décembre 2004, alors qu'elle était encore portée disparue, la chaîne faisait référence à elle en tant que « fillette » : «Une fillette française qui se trouvait avec son grand-père a été emportée ». Cette appellation revêt un caractère familier qui renforce la dimension dramatique des événements. TF1 emprunterait donc une stratégie de sensibilisation à travers la figure de l'enfant innocent. Le destin des enfants engendre une compassion qu'aucune autre tranche d'âge ne saurait susciter : «Tous ces enfants, je ne peux pas supporter. L'idée et les images que j'en ai vu, m'ont rendue malade »691. Leur inaptitude à se sauver provoque beaucoup donc d'émotion : «Parmi ces victimes, beaucoup d'enfants »692, « En majorité ce sont des enfants et des personnes âgées qui ont été surpris par la montée des eaux »693. Pour les adultes survivants, il est également difficile de penser au sort des enfants : «le pire c'est les enfants quoi. C'est, la Thaïlande est un pays très jeune, y a énormément d'enfants et...euh...aucun enfant...euh...peut courir aussi vite qu'un adulte»694. TF1 peut construire à travers eux la figure des victimes d'une catastrophe cruelle. Sur cette image diffusée (figure 125) par la chaîne, les victimes sont des enfants. Le premier plan est assez choquant puisqu’il montre des cadavres d’enfants alignés sur le sol et qui paraissent presque endormis. Ils sont recouverts par une seule et même couverture, comme s’ils étaient réunis par le même sort. Seules les têtes dépassent.
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Dans les deux plans suivants (figures 126 et 127), la caméra filme des hommes qui tiennent dans leurs bras un enfant mort. La situation est assez similaire. Les deux marchent dans l’eau sombre, l’un d’eux est même immergé jusqu’à la taille. Les expressions des visages sont graves, ils semblent désespérés. Ils tiennent à bout de bras ces enfants à moitié dénudés, dont les têtes sont renversées en arrière. Ces plans d’enfants morts associent adultes et enfants dans une émotion partagée.
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De nombreux récits sont ainsi présentés avec des enfants autochtones ou étrangers, bébés695 ou un peu plus âgés. L'un des termes qui leur est associé par TF1 tout au long de la couverture, lorsqu’ils ont survécu, est celui de « miracle » : « On le voit bien, c’est évidemment le désespoir qui étreint les survivants mais parfois parmi les témoignages, il y a petits miracles que nous relate...ils concernent le plus souvent des enfants ». C'est l'exemple de cet enfant suédois que l'on croyait mort et qui fut en réalité sauvé par des Américains. Les deux plans (figures 128 et 129) montrent ce petit blessé au visage. Sa tête est penchée sur celle de l’infirmière qui s’occupe de lui. On ne l’aperçoit pas très bien en raison du gros plan, mais il tient dans sa main une petite peluche marron. Son regard semble dirigé dans le vide, il semble triste et perdu à la fois.
Dans le second plan, l’enfant est allongé sur un lit. On voit le bras de l’infirmière qui lui caresse la tête. Le petit Hannes est en pleurs, expression de son traumatisme, que le spectateur regarde toujours en gros plan.
Cet enfant fait l'objet de deux reportages à un jour d'intervalle : «Et puis parfois comme toujours au milieu de ces catastrophes, un petit miracle individuel, comme celui vécu par ce petit suédois d' un an à peine, retrouvé seul dans la jungle vingt-quatre heures après le raz de marée. Récit...». Le journaliste insiste d'abord sur l'âge de l'enfant, «Il aurait pu mourir à un an et huit semaines mais le sort en avait décidé autrement », et sur la mésaventure vécue «Hannes BERGSTORM un petit suédois a été découvert dans la jungle, le visage couvert d'égratignures, vingt-quatre heures après la déferlante meurtrière. C'est ce couple d'américains qui a vu l'enfant emmailloté dans des couvertures, muet, assis au sommet d'une colline. [...] L'enfant respire avec difficulté, le couple l'emmène aussitôt aux urgences».
Hannes (c’est le prénom de l’enfant visible sur les deux plans) est donc blessé physiquement et psychiquement : « "Le premier jour il était choqué, il ne disait rien. Il restait allongé sur son lit, sans parler, sans rien vouloir, peut-être qu'il était trop fatigué. Mais dès le deuxième jour il a commencé à aller mieux"». Le journaliste poursuit son récit en provoquant un effet d'angoisse, par l'utilisation d'un verbe évoquant l'appréhension : «Les docteurs craignent alors que toute sa famille n'ait été tuée». Pourtant, comme le souligne le journaliste par deux fois, l'espoir autorise les « miracles » : «Ils diffusent tout de même la photo du petit sur internet, nouveau miracle, un oncle de Hannes la voit accourt à l'hôpital. Avec lui, la grand-mère qui serre dans ses bras fracturés le bébé qu'elle croyait mort [...] Hannes ne le sait pas encore, mais son père et son grand-père sont aussi miraculés, hospitalisés à quelques kilomètres, ils le rejoindront bientôt»696. L'émotion est ici suscitée chez le spectateur par la solidarité et la ténacité dont ont fait preuve les sauveteurs de Hannes, désigné, à plusieurs reprises, par l'adjectif affectif « petit ». Le lendemain, dans un autre reportage, le spectateur assiste aux retrouvailles de l'enfant et de son père, «Il pleure, exténué par l'émotion. Ce papa serre à nouveau dans ses bras son fils d'à peine deux ans»697.
Il est intéressant de voir que sur ces deux plans (figures 130 et 131), l’enfant a toujours ce même regard un peu désorienté. Son père, lui-même blessé au visage et à l’oreille, est ému et le serre très fort, mais l’enfant ne semble pas se rendre compte de ce qui lui arrive. Cette attitude renforce le caractère surprenant et inattendu de la catastrophe puisqu’il ne sait pas encore comment l’appréhender.
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Le discours de TF1 s'oriente ainsi largement vers les enfants. Les exemples de petits miraculés se succèdent dans notre corpus. Dans deux reportages différents, plusieurs histoires sont compilées pour mettre en avant les mésaventures d'enfants de tous horizons, filles ou garçons. Le procédé est le même : le journaliste rappelle leur jeune âge («Une belle histoire, comme celle de ce petit garçon thaïlandais de 4 ans »), la situation extrême dans laquelle ils se sont retrouvés (« le raz-de-marée l'a abandonné sur un arbre, il y est resté deux jours sans rien avaler »), le désespoir de leurs proches pensant qu'ils étaient morts («ses parents n'avaient plus aucun espoir. "J'étais désespéré. Je n'pensais vraiment pas qu'il avait des chances de survivre" »), le courage ou la chance qui les ont accompagnés («quand il sera rentré en Allemagne, Tom pourra aussi être fier de lui. Il était sur la plage quand l'eau l'a emporté, avec toute la force de ses 7 ans, il a nagé »). Ici, l'enfant prononce quelques mots au sujet de sa mésaventure et son propos permet au journaliste de renforcer l’innocence, la candeur de la victime : «Tom ne réalise pas vraiment. "J'ai perdu ma game boy" »698. Dans une telle situation, la réflexion de Tom (parler de la perte de son jeu vidéo) peut paraître un peu incongrue, mais c'est au contraire l'expression de la candeur, de la naïveté et du manque de conscience face à une réalité encore difficile à assimiler, dont font preuve la plupart des enfants.
D'autres « miracles », comme TF1 les qualifie, viennent alimenter le discours de la chaîne. A chaque fois, l'identité des enfants est révélée, voire répétée, comme pour les rendre plus familiers. Le 2 janvier 2005, la journaliste Corinne Lalo nous présente le cas de trois enfants. Tout d'abord «La petite Nimani », qu'elle désigne ainsi trois fois, l'une des rares survivantes de sa famille : « Dimanche dernier, elle était dans ce train avec ses parents et sa grande sœur lorsqu'ils ont été engloutis par le raz de marée. Sur les 1000 passagers du train, les secouristes ont dénombré 800 cadavres ». Son histoire est incroyable dans la mesure où «La petite Nimani est également comptée pour morte et ils vont même la déposer à la morgue. Et ce n'est que trois jours plus tard, qu'ils s'aperçoivent qu'elle est encore vivante. Autre sauvé des eaux, ce petit garçon de 18 mois retrouvé en Thaïlande, il flottait sur un matelas en face de la station balnéaire de Khao Lak. Les autorités thaïlandaises pensent qu'il s'agit d'un petit kazakh qui a perdu ses deux parents et son grand frère dans la catastrophe. Il a donc été remis à l'ambassadeur kazakh. La Malaisie, a elle aussi son petit miraculé. Soupia n'a que 20 jours. Il est tellement léger que son matelas s'est mis à flotter lorsque l'eau s'est engouffrée dans sa chambre. Ses parents qui ont également survécu n'en ont pas cru leurs yeux lorsqu'ils l'ont retrouvé souriant au dessus d'1 mètre 50 d'eau »699. Allemands, Thaïlandais, Kazakhs ou Malais, ces enfants rappellent toute la cruauté de la catastrophe et le drame vécu par de nombreux parents :
‘« Chacun cherche ses proches perdus pendant le raz de marée, beaucoup de parents affichent les photos de leurs enfants»700.Ces histoires constituent, selon le journaliste Anthony Dufour, des « lueurs d'espoir »704 qui suscitent l'émotion du spectateur, en mettant en scène des individus fragiles et innocents. Dans de nombreux récits populaires, on retrouve une représentation de l’esthétique classique de l’enfance. En effet, le sort des enfants dont les parents sont décédés est incertain dans la mesure où ils doivent faire face à de nombreuses menaces qui sont considérées comme habituelles vues les circonstances : «C'est un appel à la vigilance, que lancent les inspecteurs de l'UNICEF […] La précaution est classique après de telles catastrophes »705.
La première menace est la prostitution : « Les organisations humanitaires s'inquiètent justement de la situation de milliers d'enfants orphelins livrés à eux-mêmes et qui peuvent tomber dans les filets des réseaux de prostitution»706. « […] dans cette zone du monde le trafic d'enfants destinés à la prostitution existe depuis longtemps. Selon l'UNICEF, il n'y a aucune raison pour qu'il s'arrête alors que les mineurs livrés à eux même sont plus de 35 000 dans la région»707.
La seconde menace est une volonté d'adoption trop hâtive et le risque de trafic : «[...] tous les spécialistes de l'enfance appellent à la plus grande prudence. Il faut d'abord s'assurer que l'enfant, est bien seul au monde. En Asie, l'UNICEF, le HCR, la Croix Rouge cherchent déjà à réunir les familles. Et cela prendra du temps, parce qu'au Rwanda par exemple, il avait fallu 2 ans pour que 100 000 enfants égarés dans le désastre, puissent retrouver leurs proches»708. Le recours à l'infinitif (« s'assurer, réunir ») permet au journaliste d'avancer des faits importants mais qui n'ont pas de temporalité clairement définie, malgré l'utilisation de la préposition « déjà », indiquant que le processus est effectivement enclenché. C'est à dire que ces deux points devront à un moment ou à un autre être réalisés. L'utilisation du futur dans la troisième phrase exprime une opinion fondée sur des acquis : ceux de l'expérience passée.
La troisième menace est constituée par les risques d'épidémies : «L'aide internationale n'arrivera pas partout à temps, pour éviter les contagions de fièvre de diarrhées, les enfants seront les premiers touchés»709, « Des millions de personnes, principalement des enfants peuvent contracter des maladies»710. Certains autochtones semblent conscients de toutes ces menaces : «Soraya en est persuadée, sa nièce est aujourd'hui entre les mains d'une filière d'adoption clandestine». Ici l'utilisation du présent et du verbe passif « être persuadée » renforcent l'idée d'une certitude. Or cette certitude conduit le personnage à l'action exprimée par le futur. Mais l'utilisation du verbe « tenter » avant le verbe « retrouver» atténue le propos. Le personnage n'est pas certain de réussir. «Avec les survivants de la famille, elle va tenter de retrouver des photos des enfants. Le seul moyen d'empêcher leur sortie du pays»711. D'autres options sont alors avancées : «Bien plus que l'adoption, la défenseur des enfants préconise, elle, le parrainage de ces jeunes victimes du tsunami. [...] L'UNICEF parle d'un million et demi d'enfants en danger»712. Dans son approche, TF1 souligne l'engagement des acteurs humanitaires et, plus largement, des individus en faveur de l'avenir des enfants. Mais d'autres enfants, ou jeunes personnes, sont présentes dans la représentation de TF1. Il s'agit des jeunes occidentaux, frappés par la tragédie et dont les réactions ou les initiatives font l'objet d'un reportage. La plupart du temps, ils sont mis en scène dans le cadre scolaire, filmés assis à leur bureau et entourés de leurs camarades. Ces sujets illustrent la prise de conscience qu'engendrent la tragédie et le fait que ces jeunes sont amenés à découvrir des populations vivant de manières complètement opposées. Le 11 janvier 2005, par exemple, ce sont des jeunes élèves d'un lycée de Perpignan qui réagissent au drame en comparant les sociétés touchées à la leur. « Qu'est ce qu'on peut faire ? C'est en plein désarroi que ces élèves sont arrivés au lendemain de la tragédie, pressant leur professeur de questions. Comment agir face à un drame trop lourd, presque inconcevable pour eux ?». Ils mettent en parallèle ces sociétés pauvres et la société riche des pays occidentaux, obsédée par la consommation.
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À l'inverse des enfants, les personnes âgées, souvent désignées par les termes « grand-père » ou « grand- mère », sont peu présentes dans notre corpus. Cette catégorie est, peut-être, considérée comme moins « apte » que celle des enfants à susciter l’empathie du spectateur. La plupart des références à leur sujet concerne leur mort : «J'ai perdu deux membre de ma famille, on a retrouvé corps de mon oncle mais ma grand-mère doit encore être quelque part sous les décombres ». D'autres, sont interviewés parce qu'ils ont survécu ; c'est le cas d'un «couple de septuagénaires » Français713. Mais parfois, ils sont interviewés dans un but précis : montrer que le tsunami a tué beaucoup de parents, dont les enfants n'ont désormais pour seule famille que leurs aïeuls : «comme ce grand- père désormais seul, pour élever ses neuf petits-enfants », « comme ce petit garçon et sa sœur, qui n'ont plus que la grand-mère pour s'occuper d'eux». Ils soulignent les difficultés auxquelles vont être confrontées les populations locales, les personnes âgées n'étant pas capables de subvenir aux besoins des leurs. Enfin, une dernière catégorie de personnes âgées, généralement des occidentaux, est mise en lumière pour son action de solidarité envers les populations touchées.
Sujet n°17 de Claire WAMBERGUE du 2 janvier 2005.
Sujet n°24 de Pierre GRANGE, diffusé le 30 décembre 2004.
Sujet n° de Pierre-François LEMONNIER, diffusé le 26 décembre 2004.
Sujet n°3 de Cyril AUFFRET, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°15 de Carole VENUAT, diffusé le 30 décembre 2004.
Nous pensons particulièrement à l’histoire du petit Abylash, alias « bébé 81 » (il fut le 81ème patient de la journée lorsqu’il fut soigné à l’hôpital), un nourrisson retrouvé dans des décombres et pour qui 8 couples vont se battre devant la justice en prétendant être les parents. Il faudra attendre 52 jours et un test ADN pour que ses parents puissent enfin le récupérer. Cette histoire, relayée par TF1 le 26 juin 2005, et dont la mise en scène est digne d’une fiction, a fait l’objet d’une importante médiatisation à travers le monde.
Sujet n°5 de Benoît GALLEREY, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n°5 d'Anne-Claire COUDRAY, diffusé le 29 décembre 2004.
Ibid.
Sujet n°10 de Corinne LALO, diffusé le 2 janvier 2005.
Sujet n° 6 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°8 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°9 de Mathieu BENOIST, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°13 de Christophe PALLEE, diffusé le 28 décembre 2004.
Extrait du sujet n°1 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n°5 d'Anne-Claire COUDRAY diffusé le 5 janvier 2005.
Ouverture du JT le 4 janvier 2005.
Sujet n°5, op.cit.
Sujet n°21 d'Audrey CRESPO-MARA diffusé le 4 janvier 2005.
Sujet n°13 de Christophe PALLEE, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujet n°1 de diffusé le 29 décembre 2004.
Sujet n°4 de Nicolas ESCOULAN diffusé le 5 janvier 2005.
Sujet n°21 op.cit.
Sujet n°16 de Sylvie CENSI, diffusé le 30 décembre 2004.