13.3 Tsunami et identités culturelles

Dans la représentation que TF1 donne du tsunami, on observe la confrontation de pratiques culturelles différentes. La représentation du tsunami est donc l'occasion de mettre au jour et de confronter les identités culturelles exprimées. Trois axes se dégagent dans cette représentation : d'abord dans la mise en avant des pratiques culturelles asiatiques, ensuite dans l'expression des cultures occidentales et enfin dans la réflexion sur les différences culturelles entre l’Asie et l’Occident et les appartenances sociales. La représentation d’identités culturelles est elle aussi dominée par la notion d’émotion qui contribue à la simplification du discours.

En effet, le tsunami est à l’origine de pratiques qui sont montrées et analysées par TF1. Le rapport à la mort est un premier point important. D'une part, avec l'image du linceul dans lesquels sont enveloppés les morts : «On récupère désormais les draps de leurs chambres pour en faire des linceuls »721. Une autre observation transcrit bien les différences entre les identités culturelles, elle concerne la symbolique des couleurs, évoquée dans certains sujets. En signe de solidarité et de deuil, la ville de Paris a érigé des voiles noirs sur les Champs Élysées, le soir du 31 décembre 2004 (figure 136).

Figure 136
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Les 4 et 5 janvier 2005, deux autres reportages nous apprennent qu'en Asie, le deuil est exprimé par la couleur blanche : «Par ailleurs le Secours Catholique invite demain les parisiens à déposer une fleur blanche, couleur du deuil en Asie, devant l'église Saint Sulpice»722, « Blanche, comme la couleur du deuil en Asie»723. Le temps du deuil, les occidentaux adoptent donc les pratiques culturelles asiatiques pour mieux se rapprocher des pays touchés. Les croyances ne sont pas les mêmes mais en cette période difficile, il semble que les frontières soient, au moins pour un temps, effacées. Enfin, la troisième pratique dont les occidentaux s'imprègnent à l'occasion du tsunami est celle des bougies mises dans l'océan ou envoyées dans les airs, « signe d'une souffrance planétaire»724.

D'autre part, la différence entre les pratiques culturelles s'exprime dans la question de l'incinération. Ce n'est pas tant le principe en lui-même qui sépare les autochtones et les touristes (car ce procédé est de plus en plus utilisé de par le monde), mais plutôt le fait que ces crémations aient lieu trop tôt. Beaucoup espèrent retrouver le corps d'un proche et savent que ces incinérations risquent de réduire à néant leurs espoirs. Les crémations ne sont effectivement pas des traditions partout dans le monde. Elles le sont en Asie du Sud-Est car ce sont des coutumes du bouddhisme ou de l'hindouisme : «on a vu des images de crémation parce que bien sûr c'est la coutume là-bas »725. Certaines images, comme celle-ci diffusée le 3 janvier 2005, montrent des sortes de bûchers montés dans les rues. Les foules sont massées autour du feu qui brûle les cadavres. Il semble que les individus soient tous des autochtones. Cette image met en scène un procédé qui n’a pas lieu dans les sociétés occidentales. Ce plan renvoie presque aux scènes de « bûchers » que l’on retrouvait à l’époque médiévale par exemple.

Figure 137
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Les différences entre « communautés » s’observent notamment dans la polémique qu’impose la nécessité sanitaire d'enterrer ou de brûler les corps et le souhait des familles de pouvoir retrouver leurs proches afin de faire leur deuil. Selon les cultures, la manière de procéder diffère, tout simplement parce que le rapport à la vie et à la mort n'est pas le même : «Mais pour les hindous la mort n'est pas la fin, l'âme se réincarne indéfiniment jusqu'à la délivrance »726, « après leur mort, ma femme et ma fille vont renaître. Je vais faire des offrandes, pour que leur nouvelle vie soit meilleure que celle- ci»727.

‘« Pour les autorités thaïlandaises cela ne pose pas de problème car l'incinération fait partie de leur religion mais il y a beaucoup d'étrangers qui eux, s'inquiètent, car ils voudraient récupérer les corps, pour pouvoir faire leur deuil»728.’

Dans plusieurs sujets, les réactions des autochtones sont observées et traduites comme particulières par les occidentaux :

Patrick Poivre d’Arvor :«Et ce qui frappe apparemment Anthony, c'est que dans ce pays à majorité bouddhiste, la population fait preuve de beaucoup de calme dans l'adversité ».
Anthony Dufour : « Oui effectivement, les secours...euh...s'organisent dans le calme, les Thaïs vous l'avez dit, sont bouddhistes. On dit souvent qu'ils ont un sens un peu particulier de la fatalité. Alors, les esprits sont déjà largement tournés vers l'avenir, vers la reconstruction de ce littoral totalement dévasté […]»729.’

Les propos des journalistes suggèrent un lien entre le bouddhisme et une philosophie permettant d'être « calme » malgré les circonstances (« adversité, fatalité »). Les autochtones ont un instinct de survie (« tournés vers l'avenir ») et une capacité à surmonter des catastrophes répétitives qui semblent susciter l'admiration des occidentaux. De même, leur solidarité envers les étrangers est très souvent saluée : «Nous avons appris, ici, dit cet homme, une leçon. Comment nous comporter en tant qu'être humain. Car, ils n'ont pas compté, ils nous ont TOUT donné, ils nous auraient donné leur dernier morceau de pain et nous devrions faire de même »730. Dans de telles circonstances, alors que les autochtones vivent des instants difficiles parce qu'ils ont souvent tout perdu, leur altruisme amène à réfléchir sur les relations humaines.

Dans le vocabulaire employé par TF1, nous avons observé le retour de deux termes importants, celui d' « enfer », et celui d' « apocalypse » : « Dans les montagnes du centre de Sumatra, ces rescapés retrouvent à présent, un semblant de vie, sous des tentes, loin, de l'enfer de Banda Aceh » 731. À l'origine, ils ont une connotation religieuse, et apparaissent notamment dans la Bible. Aujourd'hui, ils sont laïcisés et expriment une situation tragique selon le mode culturel des journalistes de la chaîne. La dialectique paradis / enfer est développée dans l'ensemble de notre corpus. Les espaces identifiés comme paradisiaques à l'origine (« En Thaïlande toujours, les îles de Kho Phi Phi, véritables paradis terrestres ont été ravagés  »732, « Autre petit paradis de l'océan indien également touché, les Maldives […]»733), basculent dans l'horreur (« Ces touristes australiens, eux, ne savent plus très bien s'ils reviennent de Thaïlande ou d'un enfer […] Ceux là ont vu l’enfer […] Trois jours d’enfer »734, « Ces gens là étaient en vacances dans un paradis touristique et en cinq minutes avec cette vague ils sont passés du paradis à l'enfer. Mais l'enfer le plus total...» 735). L'Apocalypse est synonyme de fin du monde : «[…] les mêmes images apocalyptiques»736. Cette vision eschatologique se retrouve dans le discours des témoins: « On se dit mais c'est pas possible c'est plus que la fin du monde »737. Le terme « Apocalypse » apparaît dans le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse de Jean. Et l'on sait combien ce thème ne cesse d'inspirer la fiction, tant l'Apocalypse tient une place importante dans l'imaginaire collectif. Dans ce passage apparaissent les quatre cavaliers de l'apocalypse, personnages censés annoncer la fin du monde et dont les noms sont : Mort, Guerre, Famine et Pestilence738. La couverture du tsunami semble empreinte de ces peurs ancestrales à travers l'évocation permanente de trois, voire quatre, de ces thèmes, avec les famines, les épidémies et les cadavres, sources de potentielles épidémies. Ce 26 décembre 2004, dans la représentation qui en est faite, est presque dépeint comme une sorte de fin du monde : «Le récit d'une journée d'apocalypse »739.

Enfin, dans le champ des pratiques culturelles, on peut remarquer que le discours sur le tsunami est l'occasion de découvrir des populations inconnues et dont les modes de vie sont différents. Sur les îles d'Andaman et de Nicobar par exemple : «il est parfois même interdit dans certaines zones, notamment de Nicobar pour protéger des peuples pygmées, comme cette tribu des Jarawa, dont la langue reste inconnue, et qui se laissent rarement approcher»740.

Notes
721.

Sujet n°1 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 28 décembre 2004.

722.

Sujet n°1 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 28 décembre 2004.

723.

Brève diffusée après le sujet n°16 de Claire WAMBERGUE, le 4 janvier 2005.

724.

Sujet n°15 de Claire WAMBERGUE diffusé le 5 janvier 2005.

725.

Duplex n°13 de Michèle FINES en direct de Madras en Inde, diffusé le 29 décembre 2004.

726.

Sujet n°13 de Marine JACQUEMIN, diffusé le 3 janvier 2005.

727.

Témoignage de Ranjan, rescapé du tsunami. Sujet n°6 de Patrick FANDIO, diffusé le 26 mars 2005.

728.

Extrait du sujet n° 8 de Guillaume HENNETTE diffusé le 31 décembre 2004.

729.

Duplex entre Patrick Poivre D’Arvor et Anthony DUFOUR le 29 décembre 2007.

730.

Témoignage d'un Suédois. Sujet n°2 de Michel IZARD, diffusé le 30 décembre 2004.

731.

Sujet n°3 de Nicolas ESCOULAN, diffusé le 3 janvier 2005.

732.

Sujet n°10 d’Emmanuel REITZ, diffusé le 1er janvier 2005.

733.

Sujet n°12 d’Eric BOURBOTTE, diffusé le 27 décembre 2004.

734.

Extrait du sujet n°2 de Michel IZARD diffusé le 30 décembre 2004, du sujet n°9 de Michèle FINES diffusé le 30 décembre 2004 et du sujet n°14 de Lillan PURDOM diffusé le 31 décembre 2004.

735.

Extrait du sujet n°13 de Mathieu LODS diffusé le 1er janvier 2005.

736.

Sujet n°1 de Pierre GRANGE, diffusé le 27 décembre 2004.

737.

Témoignage de Frédéric GARCIA et Rodolphe DUONG. Extrait du sujet n°13 de Sylvain ROLAND, diffusé le 31 décembre 2004.

738.

Livre de l’Apocalypse, chapitre 6.

739.

Lancement par Thomas HUGUES du sujet n°3, diffusé le 26 décembre 2005.

740.

Sujet n°11 d'Emmanuel OSTIAN, diffusé le 28 décembre 2004.