13.4 Tsunami et identification des victimes

L’information proposée par TF1 s'inscrit dans une construction esthétique de la violence symbolique, liée à l’identité. Cette problématique de l’identité se retrouve sur le plan personnel. En effet, les victimes, qu’elles soient décédées ou non, sont touchées dans leur être, dans leur identité, dans tous les éléments de leur construction personnelle. Les morts ne sont parfois pas identifiables et il n’est d'ailleurs pas toujours possible de les retrouver ou de les enterrer dignement. Les (sur)vivants, eux, ont perdu leurs biens ou leur famille : «Ceux-ci ne sont pas toujours identifiés et d’ailleurs pas toujours identifiables »741. Nombre de reportages suggèrent l’importance des détails physiques, « renseignements, éléments, données », dans la recherche des morts ou des disparus. La corpulence, la couleur des yeux ou des cheveux, la présence de tatouages ou de cicatrices : «On trie des corps selon la couleur de leur peau, la couleur de leurs yeux, de leurs cheveux. Nous prenons leur empreinte dentaire puis on regarde s'ils ont des cicatrices ou des tatouages, c'est tout ce qu'on peut faire »742. Le sexe ou l’âge, tout signe distinctif, peut avoir son importance dans le processus d'identification : «identité, âge du disparu, corpulence, cicatrices, habits. La description doit être précise »743. Au milieu de ce drame, les corps sont souvent très abîmés et les différences sont simplement gommées.

‘« La principale difficulté c'est que les corps sont dans un tel état de décomposition qu'il est devenu impossible de procéder à une, reconnaissance visuelle […] ils commencent ici à se dire qu'il faudra peut-être s'habituer à l'idée qu'on ne saura jamais et qu'on ne pourra peut-être jamais mettre un nom sur chacun des 2400 corps de cadavres...euh...de corps de touristes occidentaux euh déjà identifiés ici»744.’

De nombreux experts, médecins et légistes « spécialisés dans l'identification des victimes»745 sont dépêchés depuis tous les pays du globe : « C'est une coalition mondiale de plus de trente pays qui gère tout le processus d'identification»746 vers les lieux de la catastrophe pour installer le «plus grand centre d'identification jamais mis en place, sous l'égide d'INTERPOL»747. Le but est d'entamer le processus d'identification mais le travail est long, difficile et soumis à une forte pression du temps : «Les équipes spécialisées dans l'identification des victimes, travaillent donc dans l'urgence»748, « Une identification que la chaleur compromet chaque jour un peu plus»749. La pression vient également des autorités : «L'identification des victimes reste bien sûr la... priorité des autorités»750 et des familles, pour des raisons personnelles ou administratives. Les opérations sont d'autant plus complexes que les équipes locales ne sont pas toujours efficaces car : «en raison de la confusion du début, de nombreuses autopsies sont caducs»751, « Un cafouillage, qu’ [un] médecin français spécialiste de l'ADN explique, par l'ampleur de la tâche, et la complexité de la technique […] une technologie de pointe que tous les pays ne maîtrisent pas forcément »752. Ici encore, c'est l'expertise occidentale qui est mise en avant dans le sens où elle doit permettre de faciliter l'identification des victimes. Dans les images suivantes, diffusées le 11 janvier 2005, la caméra se focalise sur ces experts identifiables par leur tenue (les masques, la combinaison où est inscrit le nom de leur équipe, les gants). Ils sont en plein travail, sous une tente. Un gros plan filme l’un d’entre eux en train de travailler à partir d’empreintes dentaires pour identifier une victime. Un dossier, représentant une ou plusieurs victimes, est posé sur ses genoux. Ces images expriment l’importance de l’apport de la science en situation de catastrophe. Or cette équipe est originaire de pays occidentaux dont l’aide pourrait être précieuse, ce qui renforce l’expression de la supériorité occidentale.

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Figure 139
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Dans la question de l’identification, un autre élément est intéressant. La représentation des corps alignés, l’exposition des photos collées aux murs, les données recueillies en masse traduisent ce passage à un état commun pour tous : celui de victime et non plus de Français, d'Allemand ou de Sri Lankais. L’identification est donc un processus qui devrait permettre de rendre aux victimes leur identité (leur nom et leur nationalité)

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La tendance à une massification se traduit aussi dans l’usage quasi permanent des pronoms impersonnels « un, une, des ». Car même si les témoignages, de Français notamment, sont nombreux et destinés à renvoyer une image proche au spectateur, ce ne sont que des exemples parmi d’autres. Dans les images de TF1 il y a une opposition entre ces corps d'inconnus alignés et ces photos de personnes disparues accrochées aux murs. Car ces photos représentent des personnes réelles, appartenant à une famille, ayant des amis et dont l'identité est connue.

Notes
741.

Extrait du sujet n° 14 de Marie-Claude SLICK du 28 décembre 2004.

742.

Sakthai PRAPANIT (médecin - hôpital Patong). Extrait du sujet n°4 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 29 décembre 2004.

743.

Sujet n°20 de Ludovic ROMANENS, diffusé le 30 décembre 2004.

744.

Duplex n°11 avec Patrick FANDIO depuis Phuket en Thaïlande.

745.

Sujet n°20 de Ludovic ROMANENS, op.cit.

746.

Sujet n°7 de Patrick FANDIO, diffusé le 6 janvier 2005.

747.

Sujet n°3 de Patrick FANDIO, diffusé le 11 janvier 2005.

748.

Sujet n°8 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 31 décembre 2004.

749.

Sujet n°2 de Christophe PALLEE, diffusé le 29 décembre 2004.

750.

Sujet n°4 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 29 décembre 2004.

751.

Sujet n°16 de Stéphanie LEBRUN, diffusé le 26 janvier 2005.

752.

Sujet n°7 de Patrick NININE, diffusé le 19 mars 2005.