Le discours de TF1 est caractérisé par la polyphonie, c'est à dire qu'une variété d'intervenants est mobilisée. Les victimes et les politiques le sont pour une part, nous l'avons vu, mais les scientifiques le sont également, dans la mesure où la télévision associe la dimension de phénomène naturel à sa dimension sociale, politique et culturelle. Nous pourrions parler d'intertextualité, en référence au concept de Julia Kristeva753. TF1 fait donc appel à ce que nous pourrions qualifier d'instance scientifique d'énonciation médiatée : le média prend pour référence un savoir, issu de la science, qu’il met en scène selon un dispositif et qui lui permet de légitimer son propre discours. La chaîne fait intervenir des acteurs de la communauté scientifique et de la recherche, dont la discipline peut apporter des informations et un éclairage sur la catastrophe. En l'occurrence, il s'agit d'un éclairage portant sur le phénomène du tsunami en lui-même car, sont avant tout convoqués, des sismologues, des géographes ou encore des climatologues ; autant de disciplines issues de ce que l'on appelle les sciences de la terre. En revanche, les experts du domaine des sciences humaines et sociales, par exemple, sont moins présents, alors que la sociologie, l'économie ou les sciences politiques auraient pu engager le discours du média dans de multiples voies.
On peut qualifier de scientifique le discours d’experts diffusé par TF1 dans la mesure où il émane de personnes reconnues comme étant scientifiques ou est rapporté par un journaliste. Penchons-nous sur ce discours technique et savant qui a trait au climat, à la géographie, à la santé, à la médecine ou à l'environnement. Bien souvent, les médias y ont recours dans les périodes de crise, ce qui pose réflexion quant à la place que nos sociétés accordent à la science.
Dans un article qui s'intéresse à la communication des connaissances scientifiques, Eliséo Veron754 distingue l'existence de quatre formes de communication scientifique. La première est dite « communication endogène intra-disciplinaire » : «l'énonciateur et le destinataire sont placés dans la situation à titre de scientifiques travaillant dans un même secteur d'une même discipline »755. La seconde, dite « communication endogène inter- disciplinaire » : «est caractéristique de la recherche qui met en contact différents champs disciplinaires à l'intérieur des institutions scientifiques»756. La troisième est dite « communication endogène trans-cientifique », elle trouve «son point d'origine à l'intérieur des institutions scientifiques »757 mais le destinataire y est extérieur. La quatrième est dite « communication exogène sur la science », c'est la communication entre un journaliste qui s'approprie des connaissances scientifiques et le public (qui peut être novice ou non).
Ce sont ces deux dernières catégories que nous observons dans l’information proposée par TF1, deux catégories caractérisées par un effort de simplification, que l'on appelle la vulgarisation scientifique. Il faut donc ici distinguer les notions de vulgarisation et de médiatisation, ou, comme l’a montré Patrick Charaudeau, le discours de vulgarisation et le discours de médiatisation. Le discours de vulgarisation est « un discours produit par l’organe médiatique en fonction de la finalité de son contrat de communication […] dans sa finalité, le discours de médiatisation partage la double visée d’information (faire savoir) et de captation (susciter l’intérêt) »758. La science apporte un discours basé sur un savoir et donne des éléments de réponse quant aux causes et aux conséquences du tsunami. Ce discours se distingue dans la mesure où il joue un rôle de dépolitisation en inscrivant l’expertise hors de la sphère politique. Dans cette logique, les acteurs politiques, les acteurs du pouvoir, sont mis à l'écart. Le discours se situe donc hors des considérations politiques, économiques ou encore sociales.
Dès le début de la couverture, TF1 s’engage dans un processus d’explication et «d’éducation», en donnant une place importante au discours scientifique. Le septième sujet du 26 décembre 2004 propose ainsi des explications sur le principe physique du tsunami. C'est un reportage assez court puisqu'il ne dure que 45 secondes. Par la suite, ce type de reportages se fait logiquement plus rare, une fois toutes les explications «techniques» apportées. Le discours est à la fois interne et externe puisque la chaîne fait autant appel aux connaissances de ses journalistes spécialisés (notamment Fabrice Collaro) qu’à celles d’experts issus de diverses branches. Dès le premier jour, l’instance scientifique est donc mise à contribution afin de mettre en scène les questionnements liés au tsunami. Nous observons une dissociation intéressante entre le discours scientifique, qui ne repose donc pas sur des croyances et les croyances individuelles, qui apportent une forme de confusion dans la vision du tsunami, mais sur la recherche d’une vérité scientifique.
Voir définition et références en chapitre 11 (note de bas de page. p.301).
VERON (1997), « Entre l'épistémologie et la communication », in Revue Hermès n°21, CNRS Editions, p.25
Ibid
Ibid., p. 30. Ces deux premières catégories sont réunies en une seule par Daniel Jacobi qui les caractérise de communication primaire. JACOBI (Daniel) (1999), La communication scientifique ; discours, figures, modèles, Presses Universitaires de Grenoble, 277 p. (coll. Médias & sociétés)
Ibid. p.31
CHARAUDEAU (2008), pp.18-19.