Des scientifiques de tous horizons sont régulièrement mis à contribution dans les reportages consacrés au tsunami. Dans la mesure où de nombreux thèmes sont abordés, il peut s'agir de géophysiciens, de médecins, de géographes, de sismologues. Tous, sont censés apporter une valeur ajoutée au sujet, fondée sur leurs connaissances et leur sérieux. Ils valident et légitiment les propos des journalistes à travers leurs explications. Il s’agit à la fois d'une forme d'enseignement, puisque l'on reçoit des connaissances, et d’une validation, puisque les scientifiques confirment ou précisent le discours des journalistes. Le plus souvent, ces experts sont interviewés dans leur bureau, sur leur lieu de travail, entourés d’ouvrages, de cartes ou d'instruments de recherche. Ils sont alors libres de s’aider de documents pour appuyer leurs affirmations ou de simplement laisser le « décor » ambiant renchérir leur qualité de témoin (ce que nous allons démontrer par deux exemples cités un peu plus loin). TF1 procède donc à une véritable mise en scène du discours scientifique. Nous sommes dans une logique où les intervenants viennent étoffer et développer le propos des journalistes. Claude Jaupart (professeur de géophysique à Paris 7), Hormoz Modaressi (du Bureau des Recherches Géologiques et Minières), Philippe Lognonne (géophysicien Institut de Physique du Globe de Paris) font partie de la liste des experts mis à contribution, dans la seule semaine suivant la catastrophe760.
Sur l'image suivante extraite d'un sujet diffusé le 26 décembre, le professeur de géophysique Claude Jaupart est interviewé. Le plan est rapproché de sorte que le spectateur se focalise sur son visage. Le décor en arrière-plan est celui d'une pièce que l'on ne peut pas situer. Il ne s'agit probablement pas de son bureau car on aperçoit en arrière plan un cadre, une commode et des lampes qui donnent à cet espace l’aspect d’une chambre d’hôtel ou d’une salle de réunion. Au cours de ce sujet, des animations montrent les mouvements des plaques, ce qui explique certainement l’absence de mouvements de la part du chercheur pour expliquer ce qu’il dit. Les cartes viennent aussi illustrer son explication. Ici, la caméra se concentre sur son regard et sur ses propos à propos du mécanisme à l’origine du séisme puis du tsunami :
‘« Ici dans le cas particulier y'a 1000 km qui a joué de plusieurs mètres donc vous imaginez un pan de 1000 km de long qui commence à se déplacer en quelques secondes, de plusieurs mètres donc c'est un déplacement considérable avec une énergie mobilisée qui est énorme »761.’20:15:43:68
On constate que son propos ne comporte pas de terme scientifique, ce qui lui évite d’avoir à les définir. Cette phrase pourrait être divisée en trois parties, chacune séparées par la conjonction « donc » qui marque un enchaînement dans son raisonnement. Il commence par énoncer la cause (« Ici… »), puis il propose une explication (« un pan… ») et enfin il en décrit les conséquences (« énergie mobilisée »). Le recours à des adjectifs hyperboliques (« considérable, énorme ») permet au spécialiste de qualifier le mécanisme à l’œuvre, en l’intégrant dans le champ de la force et de la violence. Le terme « déplacer », par ailleurs répété, pour expliquer le mouvement, fait partie d’un vocabulaire quotidien, aisément accessible pour le spectateur. Ce qui offre notamment au spécialiste la possibilité d’exprimer sa fonction en tant qu’expert, c’est l’utilisation du pronom « vous » qui le distingue du public, et qui met fin à une situation de spécularité.
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas entrevoir ici, dans cet échange entre journalistes et scientifiques, une confrontation à un problème qui est souligné (de manière éparse) dans certains reportages de la chaîne (nous avons évoqué le cas de scientifiques américains basés à Hawaï qui n’ont pas pu prévenir leurs homologues asiatiques), à savoir le manque de communication entre scientifiques de pays différents alors que cette communication aurait pu, semble t-il, sauver des vies. Toutefois, un discours sur la prévention et l’idée de progrès se dessine rapidement. L’image d’une science « active » est élaborée.
Respectivement les 26 et 27 décembre 2004.
Extrait du sujet n°7 d’Anne-Marie BLANCHET, diffusé le 26 décembre 2004.