La mort de masse est l’un des premiers aspects de la catastrophe : le média, comme le spectateur, s'attachent à lui au moment d'une catastrophe. La culture du chiffre, dont nous avons parlé précédemment, en atteste. D'ailleurs, ces chiffres sont souvent présents à l'écran, mis en forme par des infographies. Les victimes, acteurs de l'événement, sont donc logiquement mises au premier plan. Ce sont d'ailleurs les toutes premières images diffusées par TF1 dans le journal du 26 décembre 2004 : celles d'individus emportés par les flots. Il y a plusieurs catégories de victimes : les autochtones et les étrangers, les morts et les survivants.
Nous avons noté une superposition permanente, dans la construction esthétique de TF1, entre la vie et la mort ; entre une temporalité relative au passé et un présent immédiat caractérisé par le quotidien. Dans la mise en scène iconique, nous avons ainsi relevé, à plusieurs reprises, des images caractérisant bien cette dualité entre la vie et la mort. D'abord, en ce geste particulier où une main parcourt les listes de victimes. Affichées le plus souvent dans les hôpitaux ou sur des tableaux, elles symbolisent la possibilité de retrouver quelqu'un ou de découvrir qu'un proche est décédé. Le geste est souvent similaire : il s'agit d'un mouvement de la main, de haut en bas ou de gauche à droite. La main peut être filmée en gros plan788, de sorte qu'elle représente un individu sans que la personne ne soit visible pour autant (figure 159).
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On est alors dans un processus de dépersonnalisation car nombreux sont ceux qui effectueront ce geste après la catastrophe. Dans d'autres cas, le plan est américain ou large789 et l'on observe une ou plusieurs personnes en pleine recherche. Dans les deux cas de figure, la scène traduit une forte angoisse, liée à la disparition et à un deuil qui n'est pas véritablement possible.
Ensuite, les mises en scène des nombreuses menaces qui planent sur les survivants participent d'un effet de dramatisation. C’est l’exemple d’un reportage diffusé le 29 décembre 2004 où l’on observe des gens paniqués qui courent ou qui roulent rapidement (voiture, moto) à cause d’une rumeur. On voit d’abord une femme courir, puis c’est un homme qui s’enfuit tout en agitant les bras. Ses mouvements indiquent qu’il faut monter : « la panique et la peur continuent de régner car les rumeurs de nouvelles répliques se font de plus en plus pressantes »790.La scène montre la panique ambiante. La peur est alimentée par les nombreuses menaces. C'est la menace d'une réplique du tsunami, celle d'une mort proche par la gravité des blessures, celle d'une mort par les conséquences du tsunami (manque de nourriture, risque d'épidémies). En montrant l'insalubrité généralisée, TF1 fait appel à l'imaginaire des spectateurs, qui sont censés comprendre la nature des dangers inhérents.
Il y a aussi une esthétique de la vie luttant avec la mort. Elle se montre à travers les images d'ambulances qui circulent, d'hôpitaux où l'on tente de sauver des vies791.
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La caméra ne filme que le bâtiment extérieur ou se promène à travers les lits792. La bataille pour la vie s'illustre dans solidarité entre personnes qui s’entraident : elles transportent des civières de fortune793, elles se tiennent par le bras ou la main pour échapper aux flots, elles se prennent dans les bras pour se soutenir. Le reportage numéro 10, de Michèle Finès, diffusé le 28 décembre 2004, propose une image d'un père nourrissant son enfant de la main avec le peu de riz qu'il possède. Il faut dire que cette esthétique de la vie ne passe pas seulement par des personnes, elle passe aussi par des unités de lieux qui reviennent dans notre corpus. Il s’agit de lieux symboliques tels que les cellules psychologiques, dites cellules de crise, censées aider les survivants à revenir à la vie. Elles sont filmées dans les aéroports ou les ambassades794, en France et sur place. Ce sont encore les écoles et les églises où les individus se réfugient en masse, les aéroports qui permettent aux occidentaux de rentrer chez eux et qui s'apparentent à un sas, un passage entre l'enfer ici et chez eux.
Parmi les images du passage du tsunami se trouvent des plans où l’on peut voir des individus se débattant pour survivre. Beaucoup s’accrochent à ce qu’ils trouvent, un arbre par exemple. Ces images mettent en scène l’antagonisme humanité/nature. Cette nature qui se déchaîne contre l’homme est finalement l’élément auquel il se raccroche pour survivre. Ces plans rappellent la culture esthétique de la peinture que nous avons évoquée en chapitre 2 : les éléments semblent se déchaîner violemment contre l’homme qui tente de survivre. Sur les deux plans, l’homme s’accroche par un bras à un tronc et par l’autre à une branche. Sur le second plan, l’homme est de profil par rapport à la caméra et l’on remarque qu’il est à contre-courant (le sens des flots allant de la gauche vers la droite). Dans les deux cas, on n’aperçoit que le haut de son buste, le reste du corps étant immergé dans l’eau. L’eau boueuse défile très rapidement et, surtout, envahit l’écran.
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Les survivants, souvent blessés sont montrés dans un état de dénuement et de désespoir extrêmes. Les vivants sont filmés marchant au milieu des morts ou tenant un mort dans leurs bras. Dans notre analyse, nous avons constaté que ces personnes sont souvent présentées dans le même type de situations, comme pour mieux construire la violence du tsunami. Elles sont en quête de nourriture, comme dans le reportage de Cyril Auffret diffusé le 28 décembre 2004 où elles se bousculent, le reportage de Viviane Jungfer diffusé le 30 décembre 2004, où elles font la queue pour manger, car la catastrophe pousse aux limites de la survie. Des personnes sont montrées en train de fouiller les débris, en quête d'une personne ou d'un objet. Perdues dans ce paysage de chaos, elles témoignent d'un désespoir ou d'un courage communs. Elles sont statiques ou en fuite et symbolisent le choc, la panique générale. Étrangement calmes ou hystériques, elles crient et pleurent.
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Sur ce plan diffusé le 31 décembre 2004 (figure 164), une foule importante s’est massée à l’arrière d’un camion pour recevoir des vivres. Un homme en particulier attire l’attention, celui du premier plan, habillé en blanc. Ses mains sont tendues vers des paquets qu’une personne lui tend. La caméra filme la scène en plongée, ce qui renforce la sensation de faiblesse et de besoin d’aide des victimes. L’image est conçue du point de vue de l’aide donc du pouvoir, de l’autorité, de l’institution.
Sujet n°3 de Christophe PALLEE, diffusé le 29 décembre 2004.
Sujet n°6 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°9 de Nicolas ESCOULAN, diffusé le 29 décembre 2004.
Sujet n°8 de Guillaume HENNETTE, diffusé le 27 décembre 2004.
Sujet n°1 d'Anthony DUFOUR, diffusé le 28 décembre 2004.
Sujets n°1 de Nicolas ESCOULAN ou n°3 de Florence LEENKNEGT, diffusés le 26 décembre 2004.
Sujet n°5 de Rabah AIT-HAMADOUCHE, diffusé le 26 décembre 2004.