15.6 Esthétique de la fragilité et de la peur

Le discours de TF1 est parfois anxiogène, il s’appuie sur des peurs, parfois sur des mythes qui lui permettent ensuite de rassurer le spectateur. Les images diffusées en boucle font accéder la catastrophe à un certain degré de familiarité dans l'espace public des spectateurs, celles-ci devenant un élément ordinaire de leur culture. Le média souhaite plonger l'audience au cœur de l’événement, en construisant une temporalité propre de la catastrophe. La répétition d'images significatives ancre le tsunami dans la mémoire. La catastrophe implique de manière évidente les notions de souffrance, de douleur, la tristesse et la peur. Des milliers de gens sont morts en masse, de manière violente et beaucoup d’autres risquent de mourir au cours des semaines qui suivront. La mort plane donc d’une double manière. Les regards, les larmes, les corps, les vêtements déchirés sont des éléments clefs de la construction esthétique de TF1 : ils rappellent la faiblesse de l'homme face à la nature, une forme d'égalité de tous (en l’occurrence ici touristes et autochtones) face à la mort. Mais cette idée d’égalité est en fait une illusion idéologique qui pousse à mettre de côté les inégalités socio-économiques devant la mort. Toutes les victimes n’ont pas été exposées à la mort de la même manière. L’approche de TF1 est d’autant plus intéressante que la rupture engendrée par le tsunami ébranle, aussi, des sociétés technologiquement avancées où l’on se targue de tout maîtriser. Le tsunami propose donc une vision de leur fragilité.

La construction esthétique de la temporalité du tsunami repose en partie sur cette dialectique de la vie et de la mort car l'urgence et l'attente sont représentées par les scènes de panique, lesscènes où les individus s'affairent. Une sorte de confusion ambiante se dégage de cette couverture qui a tendance à faire tourner en boucle le même type d'images, d'une part (le spectateur prend conscience de l'impact que le tsunami a dans la durée) et à alterner entre les images pré et post-tsunami, d'autre part (le spectateur se figure alors la rapidité avec laquelle le phénomène est survenu). Cette confusion empêche de se retrouver dans l’espace et dans le temps. L’urgence est un refoulement politique de l’espace et du temps. Tout d’abord, il y a confusion de l’espace et du temps. Cette situation exceptionnelle échappe au temps et à l’espace dans le politique ; les pouvoirs et les médiations sont suspendus. Il est difficile d’observer le déroulement et la progression de l’événement dans des moments précis.

Il y a, par ailleurs, une mise en parallèle de la limite de l’action des gouvernements dans l’urgence avec l’action des survivants (entraide, recherche, reconstruction). En même temps, on a le sentiment que le défilé incessant des images sert d’anesthésiant, comme si on n’avait pas le temps de s’arrêter sur une image choc en particulier. Quel est le point commun à toutes ces images ? La violence. L'esthétique de la violence représentée sous divers aspects : celle du tsunami, donc une double violence, physique sur l'homme et le paysage d'une part, psychique et morale d'autre part, les violences politiques, la violence d’insurrection des civiles. Cette représentation circule dans l’espace public et transmet un message qui façonne le positionnement politique de chacun. Montrer la fragilité potentielle d’un ou de plusieurs états revient forcément à lancer un signal d’alerte.