C'est en partie grâce aux vidéos d’amateurs ou à celles des télévisions locales que la catastrophe est véritablement illustrée par des sons d’ambiance, que l'on peut entendre ou qui sont évoqués par les journalistes, les témoins ou les experts. Les voix des témoins et des journalistes sont, par ailleurs, deux autres formes de sons. Ces différents sons ont la capacité d’attirer l’attention du spectateur, qui sera à même de différencier les voix, les bruits et les musiques. Le bruit est perçu en permanence par le spectateur car le bruit est constamment présent.
Les voix des présentateurs et des journalistes participent de l’information sur le tsunami et de la tentative de le rendre intelligible. La voix des journalistes, entendue dans le cadre des reportages ou des duplex, est à même de susciter l’émotion du spectateur en variant les tons au moment de la narration, en marquant des pauses, en insistant sur des mots ou même en ayant de petites hésitations (nous aurons noté dans notre thèse, les apparitions répétées de la marque « euh »dans les discours). Celle des présentateurs, qui s’adresse directement aux spectateurs, permet de mettre en avant la fonction de médiation de la chaîne. Mais la fonction de médiation est également mise en avant dans le cadre des interviews effectuées en plateau, entre le présentateur et l’invité. La voix des témoins, elle, participe aussi d’une construction pathémique puisqu’elle est spontanée, pleine d’émotion, parfois confuse. Lorsque ces témoins sont d’origine étrangère, la traduction est soit complète (c'est-à-dire que l’on n’entend que la voix du traducteur, la fonction de médiation est alors soulignée) soit partielle (et dans ce cas, il arrive que l’on entende en fond la voix du témoin). Il arrive même parfois que la voix ne soit pas traduite du tout, dans le cas de phrases assez courtes. Nous avions cité l’exemple, en chapitre 3, d’un touriste anglais surpris : « « Oh my god ! It is a good 15-20 feet tall. Easy ! Get in, get in, get in ! »). L’absence de traduction ici renforce alors le caractère dramatique de la scène.
Les sons d’ambiance sont une troisième forme. Au moment du passage du tsunami, la peur et la panique s'entendent à travers différents sons : les cris de détresse, les pleurs, le grondement des vagues, les éléments qui se disloquent et se brisent. Tous ces sons sont, a priori, familiers au spectateur : chacun connaît le bruit que fait un cri par exemple. Les entendre dans les reportages renvoie donc à des sons que le spectateur peut connaître, or ces sons donnent une consistance réelle à l’événement. D’autre part, ces sons ont un sens qui donne une dimension symbolique à l’événement. Dans la description qui en est faite, c'est le bruit de l'océan qui marque les esprits : « bruit effroyable »823. Le son est comparé à un «grondement ». Après le passage de la vague, c'est le silence qui prime, parfois perturbé par des sirènes d'ambulances ou le klaxon des voitures, symbolique de l’urgence et de la confusion. À ce moment là, nous avons plus souvent affaire aux images de la chaîne. Les journalistes décrivent ces sons et parlent de : « cris, sirènes, pleurs, silence, klaxon », en particulier durant la première semaine de couverture : « Des cris, des appels, des craquements, les sirènes des secours »824. Une semaine après, l'un des reportages fait référence au retour à la vie en disant que : «À commencer par ce moment…euh…assez extraordinaire que nous avons vécu tout à l'heure…euh…dans la rue. Nous avons entendu pour la première fois de la musique. Alors cela peut paraître dérisoire, anecdotique mais cela…cela nous a tous marqués, les gens qui étaient autour de nous, l'équipe parce que c'est la première fois que nous sentons de la musique que cela tranche avec ce silence étourdissant qui règne dans toute la région…euh…depuis…depuis une semaine »825. Ici, le journaliste Nicolas Escoulan évoque son expérience personnelle d’identification d’un son (le spectateur n’entend pas cette mélodie), en l’occurrence de la musique qu’il a écoutée et reconnue comme telle, et d’une forme d’émotion qu’a procuré la rupture entre le « silence étourdissant » des dernières semaines et l’écoute de cette musique. C’est intéressant car dans les premières semaines, la difficulté d’exprimer la catastrophe à travers le langage souligne le choc et la violence de l’événement mais aujourd’hui, par cette musique, c’est une forme de langage qui s’exprime, une forme de communication entre plusieurs personnes (« les gens autour de nous, l’équipe »). Cette musique s’inscrit comme une forme de médiation dans la mesure où s’articulent la perception singulière et la dimension collective liée à la culture.Nous n'avons pas noté de présence de musique de fond dans notre corpus, ce serait plutôt le cas dans des reportages destinés aux magazines d'information. Il serait légitime de se demander comment on peut représenter une catastrophe en musique. Le son suffit-il à lui même ou doit-il être accompagné d'autres éléments pour transmettre une atmosphère ? Si l'on retourne à l'esthétique classique en musique, certains compositeurs sont parvenus à transposer ce thème, comme nous l’évoquons en chapitre 2. Aujourd’hui, on peut facilement représenter les sons naturels, il n’est pas besoin d’en ajouter. L’illustration sonore contemporaine de l’événement par TF1 se limite aux sons d’ambiance captés par l’image. Les sons brouillés par les images amateurs s'opposent d’ailleurs complètement à celles de TF1, dont les images sont tournées après le passage de la catastrophe.
Sujet n°16 diffusé le 3 janvier 2005.
Sujet n°2 d'Isabelle MARIE, diffusé le 26 décembre 2004.
Duplex n°2 depuis Sumatra (Indonésie) avec Nicolas ESCOULAN, diffusé le 2 janvier 2005.