17.2 Les mythes

Le discours de TF1 s’articule entre l’information (la dimension symbolique de l’événement) et le mythe (dimensions symbolique et imaginaire)842. Selon Bernard Lamizet, l’identité se constitue avec l’instance imaginaire en se fondant sur les croyances et l’idéologie. « Etre porteur d’une identité, c’est aussi reconnaître les mêmes ouvertures imaginaires que ceux avec qui on échange les signes de cette appartenance. C’est pourquoi il n’y a pas de société sans mythes qui lui fournissent la consistance imaginaire de sa représentation  »843. L’aspect mythique s'oppose en quelque sorte au discours scientifique de la télévision. En effet, si la science explique pourquoi un événement a eu lieu, il ne donne pas les raisons auxquelles les populations aspirent et veulent se raccrocher. Les gens ne veulent pas se dire que leur enfant est mort parce que la terre a tremblé, ils ne veulent pas se dire que des facteurs mécaniques ont présidé à ce désastre. L’imaginaire personnel explique cette difficile acceptation. Cela est probablement le résultat d’un mélange entre un héritage culturel mythologique encore très présent (l’homme et la puissance supérieure) et le refus moderne d’accepter la vulnérabilité des sociétés.

Ainsi, dans le discours de TF1, il y a d’abord une articulation de l’imaginaire et de la mythologie liée aux tsunamis et aux catastrophes naturelles. Un exemple apparaît le 30 décembre 2004, lorsque la journaliste Marie-Claude Slick fait référence à l’un des mythes les plus connus, celui de l’Atlantide : «Il y eu aussi ce tsunami, qui est peut-être à l'origine du mystère de l'Atlantide engloutie »844. Elle ne parle d'ailleurs pas de mythe mais de «mystère», conférant à cette légende un degré de véracité supérieur. Il y a, dans la représentation du tsunami, l’expression d’un imaginaire climatique qui s’est construit dans le temps long. Le mythe de l’Atlantide a fait l’objet de toutes sortes d’études et de représentations dans les textes anciens, dans les arts ou dans la fiction.

Il y a par ailleurs, dans le discours de TF1, une forme de mythification de l’information en rapport avec l’imaginaire social et culturel de la catastrophe. La couverture médiatique évoque des faits, plus ou moins anecdotiques, parmi lesquels nous pourrions citer un thème développé par la chaîne, une semaine après la catastrophe, le 1er janvier 2005. L'un des reportages est consacré au destin des animaux pendant la tragédie. Dans la mesure où peu de cadavres avaient été retrouvés, les rumeurs n'ont pas tardé à circuler. La journaliste Corinne Lalo rapporte qu'au parc naturel de Yala au Sri Lanka, les responsables n'ont pas trouvé de cadavres animaux alors que des corps humains étaient présents : «Ici, les flots ont pénétré plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres mais curieusement, aucun cadavre animal n'a été retrouvé après la catastrophe alors que des touristes japonais qui faisaient un safari photo ont péri dans leur voiture ». Toutefois la journaliste conserve une certaine distance dans son commentaire en insérant des questions et des hypothèses : « Les animaux ont-ils été sauvés par un sixième sens ? Les spécialistes du comportement animal préfèrent parler de différents modes de communication […] Les éléphants que l'on voit ici sur des images d'archives se sont-ils réfugiés en altitude ? C'est possible », avant d'ajouter que «L'instinct de survie, est plus développé chez les animaux ».

Il faut noter la relative rareté des informations concernant ce fameux parc : où se trouve t-il précisément ? A t-il été complètement fouillé ? Que sait-on précisément des études sur ce phénomène ? La journaliste ne nous éclaire pas vraiment sur les recherches dont elle parle rapidement en fin de sujet : «Des chercheurs japonais se sont par exemple aperçus lors d'un précédent tremblement de terre, que des souris, avaient changé de comportement 24h avant le séisme ». Qui sont ces chercheurs japonais et ces résultats ont-ils été validés ? Ces observations ont-elles été validées par la suite ? Si certaines capacités sensorielles citées dans le reportage («les éléphants vont émettre des sons qui sont des sons émis sur des fréquences extrêmement basses qui leur permettent de communiquer sur de très grandes distances mais que nous, l'espèce humaine, nous ne percevons pas. Donc vous avez d'autres animaux qui sont également sensibles à tout ce qui est modification du champ électromagnétique, ça sert notamment …euh… à certains pigeons dans… dans le contexte de la migration. Et puis vous avez des animaux qui sont sensibles à des modifications de pression atmosphérique ») sont une certitude scientifique, il faut dire que les termes employés laissent planer une certaine forme de fantasme et de superstition. Les informations de la journaliste esquissent ainsi la possibilité de l’existence d’un « sixième sens » (expression qu’elle emploie) chez les animaux pourrait avoir des répercussions tellement importantes en matière de prévention des catastrophes.

Un troisième point, que nous avons abordé en première partie, concerne les risques épidémiques. Pendant les premiers temps, une psychose se répand dans les zones touchées, et dans les médias, concernant l’urgence de brûler les cadavres. Cette urgence s’explique alors, par la nécessité de protéger l’eau d’une contamination par les corps des victimes. Rapidement pourtant, TF1 démentira cette rumeur qu’elle avait contribué à véhiculer. Il s’avère que les cadavres ne représentent en réalité aucune menace puisqu’elles ne peuvent pas transmettre les épidémies.

Le dernier point que nous aborderons ici concerne la construction de la figure du héros et la rhétorique de l’héroïsation845 dans le discours de TF1. Nous avons parlé, dans notre thèse des bénévoles, membres d’ONG et des « héros ordinaires » mis en lumière par la télévision. Nous avions cité l’exemple d’une petite fille appelée Tilly et baptisée, après la catastrophe, d’« ange de la plage » parce qu’elle avait sauvé des centaines de vies grâce à un cours de géographie sur les tsunamis : « A 10 ans, Tilly est devenue une héroïne »846. Le mythe du héros ordinaire se dessine donc dans la représentation.

Dans l’articulation des mythes et de l’imaginaire, TF1 mobilise également des références littéraires et fictionnelles.

Notes
842.

L’anthropologie fait partie des sciences qui se sont particulièrement penchées sur la question des mythes. Nous pensons particulièrement à l’ouvrage de Claude Lévi-Strauss, « L’Anthropologie structurale ». Mais la philosophie et la psychanalyse ont fait de même, ainsi que la sémiologie (Barthes, Eco).

843.

LAMIZET (2002), p.170

844.

Sujet n°29 du 30 décembre 2004 de Marie-Claude SLICK.

845.

Patrick Charaudeau parle de « discours d’héroïsation », stratégie de dramatisation.

846.

Sujet diffusé le 9 septembre 2005.