L’espace construit dans cette fiction participe à une sémiotique de la crise puisqu’il exprime confusion, violence et urgence. Mais cette crise n’est pas uniquement liée à l’espace, elle renvoie également aux personnages. Eux aussi sont en crise dans cet espace : ils sont perdus et en deviennent parfois même violents. L’espace détruit du tsunami symbolise les vies arrachées par la catastrophe. Les personnages y sont plus ou moins mobiles et leurs personnalités s’y révèlent. Les mouvements incessants créent par ailleurs une tension dramatique dans la mesure où la vie et la mort se côtoient. Tous les personnages se livrent à une quête du sens des événements et, de fait, ils se croisent souvent dans cet espace, s’aident d’une manière ou d’une autre. Nous avons remarqué qu’à un moment ou un autre, quasiment tous les personnages se rencontrent ou se trouvent, sans le savoir, dans un même lieu. C’est un peu comme si les destins étaient liés par la catastrophe. Paradoxalement, il y a une forte notion de solitude aussi. A un moment ou un autre, chaque personnage se retrouve seul, en proie au doute et à la réflexion. La séquence finale873 est constituée de plusieurs plans successifs montrant les personnages un à un : Ian et Susie Carter sont sur la plage où ils ont posé une bougie et la photo de leur fille Martha (figures 194 et 195). Pour eux, cette plage symbolise la perte, la souffrance et c’est ici qu’ils finissent par s’unir pour surmonter le drame. C’est dans cet espace qu’ils se déchirent pendant la recherche de leur fille disparue, qu’ils se renvoient la faute l’un sur l’autre car la culpabilité est trop forte. La violence de la catastrophe s’est transposée dans leur relation, pour révéler leur propre violence : celle dont les hommes peuvent faire preuve les uns envers les autres.
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Un autre plan de la séquence finale présente la bénévole Kathy Graham (figure 196). Elle est seule dans sa maison détruite. Il pleut et pour elle, cet espace ne lui apporte que des doutes concernant son avenir. Elle s’interroge sur les fondements de ses choix personnels : est-ce que tout cela (son investissement auprès des autres) est utile, cela a-t-il un sens ? D’une certaine manière, son travail lui permet de croire en un monde meilleur mais la catastrophe lui a brutalement rappelé les côtés les plus sombres de la réalité qu’elle vit.
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Dans un troisième plan (figure 197), le serveur Than est dans les cuisines d’un restaurant. Derrière lui on aperçoit d’autres personnes qui s’affairent, pourtant il semble être seul au monde. Il se trouve derrière une fenêtre, son regard est légèrement dirigé vers le bas. Cette fenêtre représente une forme de barrière entre sa condition et l’espace extérieur. Dans la catastrophe, il a perdu non seulement sa famille mais également ses terres. L’espace représente pour lui une forme de poids puisqu’il subit un destin tragique. Dans ce plan où l’on aperçoit Than pour la dernière fois, on ne sait pas ce que l’avenir lui réserve, s’il va se résigner ou se battre.
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La fin du film ne sonne pas la fin de la crise, bien au contraire, le spectateur ne sait absolument pas ce qu’il va advenir des personnages. Le message final est donc en demi-teinte, en particulier si on le compare à ceux émis dans d’autres films-catastrophe où la fin est souvent heureuse. Il y a pourtant quelques aspects positifs dans cette fiction, mais beaucoup de questions restent en suspens et, de plus, tous les personnages ne survivent pas.
Cet espace clos de la Thaïlande dans lequel se déroule le film donne le sentiment qu’il n’y a pas d’ailleurs. Seule la Grande Bretagne est évoquée mais l’action ne se situe jamais hors des frontières thaïlandaises, d’où la distance fictionnelle avec l’événement réel. C’est comme si le reste du monde n’avait pas été touché, nous sommes donc ici face à une géographie imaginaire, comme nous en avions révélé des expressions dans l’information de TF1 (certains pays étaient assimilés au paradis puis à l’enfer, il y avait également l’expression imaginaire d’un clivage du monde en Nord et Sud). Le confinement dans la Thaïlande, et le fait que les personnages y soient perdus, semble signifier qu’ils n’ont de place ni ici, ni ailleurs car peu importe le lieu où l’on se trouve, on peut être confronté au réel d’un monde violent.
Ce sentiment d’enfermement est encore plus évident lorsque le personnage du serveur, Than, se retrouve emprisonné durant les séquences 20 et 28, jusqu’à la séquence 34. Il est arrêté pour pillage, alors qu’il tente de trouver un peu de lait, et cet espace de la prison l’empêche d’agir. Cet enfermement isole le personnage dans un espace qui se situe hors de la sociabilité, ce qui implique une perte d’identité (c’est ce personnage d’ailleurs qui perd tous les membres de sa famille ainsi que ses terres). Le personnage de Susie Carter, lui, éprouve l’oppression d’un espace qu’elle ne supporte plus et passe de nombreux moments enfermée dans sa chambre : elle s’enferme en fait dans sa douleur en se repliant sur elle-même. La mort, quasi certaine, de sa fille (qui renvoie à sa propre mort) signifie qu’elle doit se préparer à faire son deuil et à reconstruire son identité. Son mari quant à lui, le personnage de Ian Carter, est touché dans son identité. Dans ce pays où il était venu en vacances, il se découvre, après la catastrophe, complètement perdu, presque contraint à errer à la recherche de sa fille. Ainsi, il se muni d’une carte de la Thaïlande, dans la séquence 43, pour pouvoir se repérer dans un espace (et face à une langue) qu’il ne connaît pas. Cette carte lui donne des repères, un sens à suivre, pour lui qui ne trouve pas de sens à la disparition de sa fille car il ne sait pas où elle se trouve. Il se pose d’ailleurs la question dans la séquence 11 : « où elle est ?... ». Cette interrogation annonce sa douloureuse quête, son errance presque, qui durera tout au long du téléfilm.
Chaque personnage entame sa propre quête et obtient des réponses à la fin, qu’elles soient négatives ou non. Pour le groupe de touristes, l’espace est symbolique de la crise puisqu’ils s’y sentent perdus, voire bloqués, volontairement ou non. Cet espace leur rappelle finalement qu’en tant qu’êtres humains, ils ont des limites que la nature leur renvoie à travers les catastrophes. Ils ne maîtrisent plus rien et se sentent vulnérables. Dans la séquence 13, le journaliste Nick Fraser interroge des touristes sur ce qu’ils ont vu et la caméra filme, dans un aéroport, un panneau signalant les vols de départ. Pour tous ces étrangers, il s’agit bien de partir, de fuir la crise le plus rapidement possible pour rejoindre un espace où ils se sentiront en sécurité. Du côté des autochtones, c’est un autre problème puisqu’il s’agit pour eux de se réapproprier un espace de vie et de travail détruit. Le personnage de Than est en ce sens emblématique puisqu’il décide de se battre pour reconstruire sa maison et pour empêcher le rachat de ses terres par des promoteurs. L’espace est donc synonyme de violence avec le passage du tsunami, cela est d’autant plus vrai dans la séquence 12 où des personnes sont en exode sur la route de Khao Lak. Le premier plan (figure 198) montre des individus dont le visage est dirigé vers le sol comme s’ils étaient las. Les tenus sont sombres, comme salies, elles montrent que ces personnes ont été touchées par la catastrophe. Cela rappelle les images diffusées par TF1 et qui montrent des personnes dont les vêtements sont déchirés ou des touristes à moitié dénudés(souvent en maillot de bain) car ils ont été pris de court. La luminosité, les couleurs sont déjà bien différentes de celles diffusées au début du film, lorsque les personnages profitent, insouciants, du cadre magnifique. Le second plan (figure 199), en revanche, offre une profondeur de champ qui donne le sentiment que la foule est immense. Au centre de cette foule l’on aperçoit d’ailleurs Ian Carter.
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Malgré tout, pour les personnages principaux, les mouvements dans l’espace ne se résument pas à une simple errance. Ils sont motivés par un but précis et les mouvements leur permettent d’avancer dans leur quête. Les lieux de refuges, comme ceux organisés par les instances internationales et les ONG, sont les rares espaces où les populations peuvent trouver un peu de repos et de réconfort. Ils représentent un espace international qui paraît hors d’atteint, puisqu’on ne le voit pas, et auquel les personnages font peu référence. Certains des personnages, notamment les touristes, comme les familles Carter ou Peabody, passent un peu de temps dans ces petits espaces mis en place dans l’urgence et censés les réconforter, les aider, les sécuriser, les mettre à l’abri de la violence et de la confusion ambiantes. Le fait que les personnages y passent peu de temps montre combien ils ne peuvent échapper à la violence : ils ne pourront pas être apaisés tant qu’ils n’auront pas entrepris leur quête personnelle. La quête est, par ailleurs, aussi celle des médias, locaux et internationaux, qui s’acharnent à trouver des informations.
Pour le journaliste Nick Fraser, la quête d’informations implique un déplacement dans l’espace. Or celui-ci n’est pas toujours facile car les autorités bloquent certaines routes. Dans la séquence 16, il quitte l’hôpital de Phuket et emprunte la route de Khao Lak pour rejoindre l’Oasis hotel. Il se heurte, sur cette voie de communication, à un barrage de police. Nous voyons bien sur le second plan (figure 201) que le policier tend la main vers le journaliste tandis que sa voiture est garée en travers du chemin. Le journaliste est de dos et le policier de face, il y a cette opposition des positions de chacun qui montre bien que le policier veut empêcher le journaliste de passer. Le personnage, dans sa quête d’informations, se heurte donc à des limites dans l’espace. Ces limites lui sont imposées par un représentant de l’autorité. Sa liberté en tant qu’homme et en tant que journalistes est mise à l’épreuve.
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Pour Ian Carter qui recherche sa petite fille Martha, la quête passe notamment par les listes de noms affichées un peu partout. Il s’agit d’ailleurs d’une image que nous avons souvent vue dans les reportages de TF1, celle d’une main parcourant les longues listes. Ici, les mains d’Ian Carter descendent le long de la liste, en observant les noms inscrits. Chaque liste qu’il lit lui rappelle l’urgence qui s’impose à lui. Plus le temps passe et plus les chances de retrouver sa fille vivante s’amoindrissent.
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Tous ces déplacements des personnages ont en fait un sens politique puisqu’il s’agit d’agir face à la catastrophe, de se mobiliser et de se mouvoir dans l’espace pour fuir des zones dangereuses, pour lutter contre des conditions sociales inacceptables, révélées par la catastrophe. Ainsi, comme dans les reportages de TF1, la représentation de l’espace permet de voir un paysage dévasté. La séquence 8, par exemple, illustre les répercussions du tsunami avec des destructions immenses et des paysages méconnaissables. Ian Carter est coincé sous des décombres et c’est le serveur Than qui le libère de cette oppression. Il découvre alors le désastre avec effroi.
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Ce plan (figure 203) présente un lieu où l’on ne distingue plus rien, il n’y a que des débris et pas âme qui vive. La profondeur de champ donne le sentiment que les dégâts couvrent des kilomètres. Puis un gros plan (figure 204) se focalise sur une vision d’horreur : celle d’une femme morte, suspendue par une jambe à un arbre.
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C’est une image particulièrement violente qui suggère la soudaineté et la force du tsunami. Elle suggère également que le personnage d’Ian est perdu dans les décombres. Violence et espace sont ici indissociables. Le tsunami a détruit les lieux, tué de nombreuses personnes et enlevé tous leurs repères aux personnages de la fiction.
La représentation de l'espace dans cette fiction met les personnages en prise avec leur environnement. Au même titre que dans la représentation par TF1 de l'espace du tsunami, le film propose une représentation d'espaces en crise. Il y a donc un effet de dramatisation en commun. Cet espace est celui d'une lutte entre la vie et la mort, d'une lutte avec soi-même ou pour les autres. Le rapport entre les personnages et l'espace est un rapport difficile puisque ce dernier est souvent une source de malheur et un frein à la recherche. Cet espace semble perdre ses frontières naturelles puisque les personnages y sont perdus et y errent sans trouver leur place. Le mouvement dans cet espace peut permettre d'arranger la situation ou au contraire de stagner. L'espace est symbolique de la crise vécue dont les éléments sont la confusion, la violence et l'urgence. Deux catégories de populations y coexistent, ceux qui peuvent s'enfuir et ceux qui sont contraints d'y rester. Dans cet espace, c’est le fonctionnement des sociétés qui est remis en question, ainsi que le clivage Nord-Sud et donc la notion d’identité. Dans « Tsunami : les conséquences » la violence est omniprésente puisqu’il s’agit en fait de penser une catastrophe et de lui donner un sens, comme c’est le cas dans la représentation de TF1.
Le premier et le dernier plan du téléfilm montrent tous les deux l’océan. Le premier est filmé de jour alors que le second est filmé de nuit. C’est un peu comme si on en revenait toujours au même point. Il n’y a pas de véritable fin ici mais plutôt une série de questions concernant la condition humaine et l’avenir.