19.1 L’humour

Une part importante d’humour est utilisée dans cette fiction. Elle est surtout l’apanage de certains personnages en particulier. Elle permet de dédramatiser la tragédie et traduit la détresse psychologique des personnages perdus dans la confusion, traumatisés par la violence du phénomène et soumis à une urgence permanente. Dans une étude sur le mot d’esprit, Freud expliquait ceci : « l’essence de l’humour réside en ce fait qu’on s’épargne les affects auxquels la situation devrait donner lieu et qu’on se met au-dessus de telles manifestations affectives grâce à une plaisanterie »886. Avant tout, l’humour est un moyen d’expression, un « mécanisme de défense  »887, qui vient remplacer un discours sérieux peut-être trop difficile à utiliser. L’humour est une manière « de dire que les choses vont mal », de montrer qu’il y a rupture, mais il minimise la réalité. Il autorise le personnage à agir d’une certaine manière sur une forme de fatalité et donc à combattre la détresse. Il s’agit d’une rupture contre des thèmes tabous tels que la mort.

Dans la séquence numéro 6, une foule de personnes est réunie devant l’ambassade britannique à Bangkok. L’ambassadeur Tony Whittaker s’exprime devant ses convives : « Je me suis demandé comment j’avais fait pour me retrouver coincé ici avec vous pour les fêtes de Noël. C’est vrai, je crois qu’en fin de compte on est une bande d’enfants abandonnés. Mais je suis sûr qu’on nous retrouvera un jour ». Cette plaisanterie est également assez ironique car d’une certaine manière, la catastrophe va réellement isoler (« abandonnés ») les protagonistes par rapport au reste du monde et les personnages seront sous l’emprise d’un espace à maîtriser (« coincé ») et d’une urgence qui perturbe la temporalité sociale (« un jour »).

Souvent présente aux côtés de l’ambassadeur, Kathy Graham, la bénévole, fait preuve de foi et d’optimisme dans la catastrophe mais ces sentiments sont distanciés par des pointes d’humour, surtout employées lorsqu’elle discute avec l’ambassadeur Tony Whittaker, qui lui, se veut sérieux et soucieux du protocole. Dans la séquence numéro 25, elle n’hésite pas à plaisanter en lui disant : « Le chaos est mon ami. C’est de Bob Dylan ». Plus tard888, alors qu’elle prend des vivres pour aider les nécessiteux, elle croise l’ambassadeur en train de prier : « J’aurais jamais cru que vous étiez méthodiste ! ». Il sourit en rétorquant qu’avec une mère baptiste et un père catholique, il doit se situer quelque part entre les deux. Puis, remarquant des paquets dans ses bras, Tony lui demande : « Vous l’avez volé ?  ». Elle lui répond qu’il s’agit plutôt d’une « réaffectation de ressources ». Les échanges verbaux entre ces deux personnages dérivent souvent vers l’humour. D’une certaine manière, l’humour met en lumière, ou contrebalance, l’irrationalité de l’événement. Il serait difficile d’intégrer, en revanche, un tel moyen d’expression dans un journal télévisé et il en est de même pour le second procédé repéré dans la fiction : l’ironie tragique.

Notes
886.

FREUD (1905), p.208

887.

Ibid. p.209

888.

Séquence 61, voir annexe 5.