19.3 Le silence

La troisième forme de distanciation est le silence. Autant l’humour et l’ironie permettent de jouer sur les mots, le langage, autant le silence joue sur l’absence de mots, comme symbole de ce qui ne peut être dit. Car le silence, s’il se définit comme l’absence de bruit ou encore comme le fait de se taire, veut dire quelque chose. C’est une forme de prise de distance qui autorise l’élaboration d’une vision critique de l’événement. Le silence (presque poétique parfois) tient un rôle important dans l’intrigue, qu’il soit situé au sein des dialogues ou en dehors. Il ne signifie pas qu’il n’y a rien à dire, bien au contraire. Le silence apparaît comme un moyen de dire que parfois, les mots ne suffisent pas à exprimer une réalité violente ou des émotions. Le silence est une forme de violence symbolique. Il oblige à se concentrer sur d’autres moyens de communication qui s’inscrivent hors du langage : un geste ou un regard. En psychanalyse, le silence renvoie à un refoulement. La plupart des personnages vivent des instants tragiques, ils sont malheureux, désespérés. Par exemple, dans la séquence 5, quand Ian Carter est emporté par la vague et assommé par une pierre, il coule dans une eau sombre. Alors qu’il est sous l’eau, il n’y a aucune musique, seulement le silence et une forme de suspens892.

Le silence est toujours un élément pesant, il est la marque d’une réalité subie à laquelle les acteurs ne peuvent rien changer. Ce silence rappelle celui des œuvres portant sur le déluge et dont nous avons parlé dans le chapitre 2. Ce silence suit la catastrophe du déluge et s’inscrit en totale opposition avec le vacarme et le chaos précédents. Le silence renvoie également aux commémorations et aux « minutes de silence » observées lors de cérémonies, il symbolise alors le recueillement.

Le silence, c’est l’absence de signifiant et de communication, l’absence d’échange symbolique avec l’autre, l’absence de représentation du monde. C’est aussi la suspension des médiations symbolique, l’absence d’expression des institutions et des pouvoirs de médiations. Nous avons évoqué, à propos des images dans l’information sur le tsunami, le recours à la métonymie, son rôle dans l’esthétique de l’information. Le réel se définit alors par l’irreprésentable. Or, selon nous, dans l’esthétique de la fiction, il semble que le recours au silence aille dans le même sens. Le silence se définit comme une absence de représentation du monde, il souligne l’irreprésentable et l’indicible.

Notes
892.

On parle d’ailleurs souvent de l’océan comme du « monde du silence ».