« Les métaphores jouent un rôle essentiel dans la construction de la réalité sociale, culturelle, intellectuelle […] Les métaphores sont très fréquentes dans la langue usuelle, et il arrive que la métaphore soit plus fréquemment rencontrée que l’usage d’origine»893. Il est intéressant de s’interroger sur le recours à la métaphorisation dans le cadre de notre analyse du discours de TF1 sur le tsunami du 26 décembre 2004. Il faut souligner que si la métaphore fait l’objet de nombreuses études en psychologie, en anthropologie, en philosophie, en sciences cognitives ou encore en linguistique, elle est très peu présente dans les recherches en sciences de l’information et de la communication. Pourtant, le terme « tsunami » apparaît de plus en plus hors de son contexte initial lorsque l’on se penche sur la sphère médiatique. Notre objectif n’est pas de déterminer quand la métaphore est apparue dans les journaux télévisés ou dans les médias en général, même si cette question nous paraît tout à fait pertinente. En effet, hormis le mot « tsunami », d’autres termes permettent de rendre compte, peut-être même avec plus de précision, d’une réalité donnée. Alors pourquoi l’employer ? La métaphorisation révèle l’intégration du terme dans l’espace public et dans la culture contemporaine. Aujourd’hui d’ailleurs, il n’est pas étonnant de voir le terme utilisé dans des contextes autres que celui de l’environnement. Or c'est aussi là que s'exprime toute la dimension symbolique du tsunami, puisqu'il se transpose dans d'autres champs par le procédé discursif de la métaphorisation. Il est particulièrement repris dans les discours médiatiques liés à la politique ou à l’économie en l’occurrence. Ce transfert linguistique, fort habituel en journalisme, confère un sens métaphorique au tsunami. Il signifie également que dans le discours des médias, le champ de la science et de l’environnement pénètre le champ de la politique, voire de l'économie. Cela peut vouloir dire que le lexique habituel utilisé dans le champ politique ne suffit plus à exprimer des idées ou des concepts suffisamment forts. De plus, on peut penser que le domaine de la science, qui représente à la fois la connaissance, le progrès, le futur, larecherche de vérités universellement partagées et de certitudes par l'emploi de méthodes claires correspond à ce vers quoi la politique veut tendre. La politique cherche à apporter une forme d'organisation pour améliorer les conditions de vie. Le point commun entre politique et science réside dans la notion de pouvoir et dans la légitimation de ce pouvoir par le souci d’améliorer les formes sociales de l’existence.
La métaphore permet de décrire, d'exprimer une idée, d'expliquer une situation en mettant en relation des mots appartenant à des domaines différents. Elle compare et amplifie par le recours à l'imaginaire du lecteur ou du spectateur. Avec le tsunami, c'est la science (et plus précisément la connaissance du climat) qui est mise en parallèle, tour à tour, avec la politique ou l'économie. Tout ce qui caractérise le tsunami – la violence, la soudaineté, le bouleversement et surtout l'impossibilité de le maîtriser complètement - est donc lié à d'autres termes. Ce phénomène physique est à la fois prévisible (dans une certaine mesure) et incontrôlable. Mais le « tsunami » a aussi une forme de dimension temporelle (la soudaineté) que l’on peut rattacher à deux notions importantes et liées : le risque et la prévention. Le tsunami dramatise. Dans un reportage diffusé le 26 janvier 2005, les propos du président Jacques Chirac sont repris par le présentateur Patrick Poivre d'Arvor. Dans un discours prononcé lors du forum de Davos le mercredi 26 janvier 2005, le chef d'Etat a récupéré le terme « tsunami » pour l'employer dans un contexte différent, mais somme toute assez proche : « De son côté Jacques Chirac a prôné la solidarité, face au tsunami silencieux, c'est ainsi qu'il a qualifié la famine et les maladies infectieuses »894. Par «silencieux », Jacques Chirac évoque les autres grandes problématiques liées à la pauvreté et qui ne bénéficient pas d'une telle attention de la part de la communauté internationale, comme si on n'entendait pas le violent appel au secours.
Si, fin 2004, le terme « tsunami » constitue une découverte pour nombre d'occidentaux, force est de constater son appropriation quelques années plus tard. Un simple tour d’horizon de la presse écrite suffit à confirmer cette tendance : Le 10 avril 2008, « Le Monde » titre : «L’Afrique risque un tsunami économique selon l’U.E. ». Un mois plus tôt, Libération publie « Dans la presse, pas de tsunami rose, mais un avertissement pour la droite ». Le 25 avril 2008, Le Monde parle d’un « tsunami silencieux de la faim » avant d’évoquer, le 24 octobre 2008, un « tsunami financier ». L’édition du 19 juin 2007 de l’Humanité parle d’un «Tsunami électoral à Bordeaux ». Ce basculement langagier pose la question de savoir si l’événement survenu en Asie du Sud-Est n’a pas profondément marqué les pensées et inscrit le terme « tsunami » parmi les expressions courantes du jargon journalistique. Dans notre chapitre 1, nous évoquions la quasi-assimilation du xénisme « tsunami » à un nom propre. Toutefois, dans les usages métaphoriques, le terme se cantonne à son identité en tant que nom commun, et cela se traduit par la juxtaposition avec un adjectif. Toutes les représentations liées au tsunami permettent de nouvelles associations. Parler de tsunami économique, c'est lier la violence du phénomène physique à un domaine qui n'a rien à voir. Seulement, les images liées au tsunami sont suffisamment évocatrices pour permettre au lecteur de comprendre immédiatement la portée du propos.
Cet engouement pour le terme dans l’espace public dépasse largement les frontières françaises puisqu’aux États-Unis par exemple, lors des présidentielles de 2008, on a volontiers remplacé la fameuse expression « Super Tuesday »895 par celle de « Tsunami Tuesday» :
‘« Will California turn the tide on ‘Tsunami Tuesday’ ? »896(LA Times, 7 janvier 2008)Cette expression est une manière de mettre en avant un potentiel changement dans le paysage politique américain : le tsunami représentant parfaitement l’idée d’une vague balayant tout sur son passage.
Notons également que le terme « raz-de-marée » si souvent employé à la place du terme « tsunami » dans les médias, est également employé comme métaphore et certainement depuis beaucoup plus longtemps, notamment dans les domaines politique et économique.Ainsi, l’édition du Monde datée du 23 juin 2009 titrait : « Italie : pas de raz-de-marée pour le centre droit aux élections locales », tandis qu’un article de Libération évoquait : « Chômage : le raz-de-marée », le 3 août 2009.
MORICEAU et SAINT-DIZIER, « Métaphore », in : GODARD, ROUSSARIE et CORBLIN, Sémanticlopédie : dictionnaire de sémantique, GDR Sémantique & Modélisation, CNRS. Consulté en septembre 2009. http://www.semantique-gdr.net/dico/index.php/M%C3%A9taphore
Sujet diffusé le 26 janvier 2005. Voici un extrait du passage où Jacques Chirac cite une métaphore qui n’est pas de lui : « Cette catastrophe doit provoquer un éveil des consciences. Car le monde souffre de façon chronique de ce que l'on a appelé, d'une formule saisissante, les " tsunamis silencieux ". Famines. Maladies infectieuses qui déciment les forces vives de continents entiers. Violences et révoltes. Régions livrées à l'anarchie. Mouvements migratoires non maîtrisés. Dérives extrémistes, terreau fertile au terrorisme ». Discours, par visioconférence, de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Forum économique mondial de Davos. Palais de l'Elysée - Paris le mercredi I 26 janvier 2005.
Cette expression, adoptée lors des primaires du 8 mars 1988, désigne le premier mardi du mois de mars ou février où le plus grand nombre d’états votent simultanément pour choisir leur candidat. L’expression « tsunami Tuesday », elle, est apparue le 3 juin 2007 lors d’une conférence de presse entre stratèges de la campagne présidentielle pour l’élection de 2008.
« La Californie va-t-elle changer le cours des événements lors du ‘Tsunami Tuesday’ ? ».
« Analyse du Tsunami Tuesday ».