Conclusion

Nous voici arrivée au terme de notre réflexion sur ce que l’on peut appeler la logique d’identification médiatée, c'est-à-dire la manière dont le média traite d’un événement, ici la représentation du tsunami du 26 décembre 2004 dans l’information de la chaîne de télévision TF1. C’est à partir d’un corpus de 443 sujets diffusés dans 85 journaux télévisés de 20h, entre le 26 décembre 2004 et la fin de l’année 2009, que nous avons abordé notre étude. L’analyse de ce corpus, de sa composition (notamment des dix-huit Unes) et l’analyse quantitative nous ont permis de structurer les thèmes abordés par la chaîne et d’observer leur évolution : la dimension esthétique et la mise en scène de la représentation, la dimension politique de la solidarité, la dimension opérationnelle de l’action, la dimension institutionnelle et les rituels, l’expression de l’empathie et la dimension singulière, la dimension scientifique de l’information, l’interévénementialité. En représentant l’événement, TF1 a construit une médiation symbolique de celui-ci selon trois instances : le réel, le symbolique et l’imaginaire. C’est la médiation qui donne une consistance politique à l’événement en l’inscrivant dans la culture et la mémoire. D’autre part, la représentation du tsunami construit une autre forme de médiation qui articule la dimension singulière et la dimension collective. De fait, rendre l’événement intelligible, c’est lui donner un poids politique dans l’espace public tout en permettant la construction de l’identité du spectateur.

En analysant les choix de la chaîne, nous pouvons définir l’identité politique que le média met en scène dans l’information et propose au spectateur, car en parlant d’un événement, la chaîne parle aussi d’elle-même. Nous avons articulé notre étude en fonction de cinq instances de représentation : l’instance de l’événement, l’instance politique, l’instance scientifique, l’instance esthétique et enfin l’instance de la mémoire. L’instance de l’événement consiste en l’élaboration d’une sémiotique propre à l’événement, comportant son histoire (sémiotique du récit), ses acteurs (sémiotique des identités) et son interévénementialité, à savoir les autres événements avec lesquels le tsunami est mis en relation par le média. L’instance politique consiste en la représentation des pouvoirs auxquels le média fait référence. D’autre part, TF1 fait appel au discours de la science, à une instance scientifique. L’instance esthétique, quant à elle, est la représentation de l’événement à travers le style, l’image, les photos, la mise en scène, les victimes et les sentiments qu’elles éprouvent. Enfin, nous avons étudié la mobilisation de l’archive et de la mémoire dans la représentation de l’histoire des pays concernés ou d’événements comparables au tsunami. La représentation esthétique passe notamment par les images, qui ont une importance particulière, mise en lumière par l’utilisation d’images amateurs mais également par des discours sur ces images. Ces images abordent des thématiques multiples (la vie, la mort, l’horreur, la fragilité, la peur, la religion) qui ont une dimension anxiogène, permettant la dramatisation. Par ailleurs, la représentation des personnes singulières favorise l’identification du spectateur et la structuration de l’empathie.

Notre étude a d’abord montré que, dans les premiers temps, il fut difficile pour TF1 de nommer la catastrophe (et de recourir au terme japonais, donc étranger, « tsunami »). La difficulté à donner du sens à l’événement s’exprimait dans les premiers temps par l’idée que le tsunami avait provoqué une crise, un moment de rupture qui demandait à repenser les identités, donc les sociabilités. La catastrophe est un terme dont l’étymologie montre qu’il a d’abord une origine esthétique liée au théâtre, puis un emploi différent pour désigner des événements dramatiques pour les personnes et les institutions. La catastrophe s’inscrit donc dans la représentation, esthétique et politique, et dans la médiation. D’ailleurs, les médias et l’espace public définissent un type particulier d’événement climatique en évoquant le tsunami et ses multiples conséquences ; politiques, économiques, sociales, culturelles et géographiques. L’approche des sciences de l’information et de la communication nous a permis, par l’analyse et l’interprétation du discours des médias, de contribuer à l’élaboration d’une analyse de la place de la météorologie et de l’information sur les climats et les événements comme le tsunami, dans la construction et l’analyse des identités politiques et de la géopolitique. La chaîne articule le concept de catastrophe naturelle à la problématique de l’environnement. L’écologie politique naît des préoccupations sur les risques et sur leur prévention. De fait, TF1 élabore un discours, souvent anxiogène, sur l’écologie politique. D’autre part, les réflexions sur l’écologie politique s’articulent à deux représentations de l’espace dans les médias : d’abord le logement et l’habitat et, ensuite, la géographie et le paysage, dans une lecture à la fois esthétique et économique de ce dernier. Mais le discours sur la catastrophe permet également d’aborder des thèmes relatifs aux rapports Nord-Sud, aux conflits de pouvoirs et aux acteurs politiques des pays touchés, comme l’Indonésie ou le Sri Lanka. Plus largement, le discours de TF1 s’appuie sur les différences et les conflits entre les pays du Nord et les pays du Sud pour éclairer l’événement et le rendre intelligible. Les identités du Nord et du Sud sont mises au jour dans cette représentation, de sorte que le climat devient une forme de critère de définition de l’identité du Sud. Nous avons vu que s’élabore une signification géopolitique du tsunami, fondée sur quatre instances : dans l’implication des grandes puissances pour aider les zones affectées et qui leur permet d’exprimer leur présence et leurs intérêts géopolitiques dans cette région du monde, sorte d’espace public géopolitique. Dans les faiblesses des pays (pauvreté ou conflits politiques) évoquées par TF1 et qui accentuent la différence entre les pays riches et les pays pauvres. Ainsi par exemple, la représentation géographique des acteurs des conflits locaux passe par les lieux auxquels ils sont identifiés (Nord et Est du Sri Lanka pour les Tamouls) et les lieux où s’opèrent les confrontations entre chaque partie. D’autre part, l’évocation des religions, des cultures, des pratiques sociales et des identités locales, éloignées du modèle occidental, donnent un sens géopolitique à la catastrophe. Enfin, la réflexion de la chaîne sur les pouvoirs politiques locaux, les orientations économiques, politiques et diplomatiques donnent une signification géopolitique de la médiatisation du tsunami. TF1 focalise son attention sur quatre pays particulièrement affectés par le tsunami : le Sri Lanka, l’Indonésie, l’Inde et la Thaïlande. L’information sur le tsunami est l’occasion pour TF1 de repenser le discours sur les quatre pays présentés, selon le concept d’interévénementialité. Le discours sur la Thaïlande, en particulier, permet d’aborder la question du tourisme. Un secteur qui, par définition, inscrit un pays dans une économie de dépendance et non de développement.

Ainsi, l’étude de la mise en scène et de la représentation de l’événement nous permet d’appréhender la proximité, l’empathie, mise en scène par la chaîne au sujet du tsunami. Cette rhétorique de l’empathie fait partie de son identité politique. Cette représentation est à la fois politique et esthétique. En envisageant les conséquences économiques, politiques, scientifiques et culturelles d’une catastrophe, les médias font de la catastrophe un événement car ils le rendent intelligible, lui donnent un sens en articulant sa triple dimension réelle, symbolique et imaginaire. Le média participe à une élaboration d’une sémiotique de la crise fondée sur la confusion, la violence et l’urgence, qui permet une représentation spatio-temporelle de la catastrophe. Dans la représentation, TF1 construit des figures : celle des victimes civiles, celle des humanitaires et des membres des armées, celle des acteurs politiques, celle des scientifiques. Les victimes ont une place particulière qui s’observe par une rhétorique du chiffre (nombre de morts, sommes récoltées) qui évolue au quotidien. Cette place s’observe également dans la place dévolue aux enfants, figures de l’innocence, dans la représentation. Enfin, cette place s’observe dans un discours sur la vie et la mort, sur la survie (à ce titre, il se dessine une esthétique de la transgression avec les réactions parfois violentes des survivants).

Le traitement du tsunami par TF1 s’articule entre dramatisation, esthétique et politique. La temporalité se définit par la dramatisation, la spatialité se définit par la dimension politique, enfin l’esthétique repose sur la sublimation de l’événement. Nous avons tenté de montrer que le discours et les images de TF1 mettent en scène la catastrophe et lui permettent de devenir familière aux spectateurs car celle-ci devient ordinaire à leur psychisme. Pour ce faire, le discours de la chaîne se fait discours polyphonique, il associe des énonciations différentes : celle du média, celle du journaliste, celle du politique, celle du savant.

En soi, le tsunami en tant que catastrophe naturelle n’a aucune consistance politique. Pourtant, en étant traité par les médias et en devenant un événement, elle va donner lieu à des questionnements et des interventions politiques, idéologiques et institutionnels. L’événement met au jour l’identité de ses acteurs qui transmettent un savoir et en donnent sa portée. Les identités politiques se mettent en scène à travers un discours et à travers leur visibilité. Ce que nous avons tenté de dégager dans toute notre réflexion, c’est qu’auparavant, le réel consistait dans le fait de l’éloignement physique des pays mais de leur proximité symbolique et imaginaire. Aujourd’hui, ce mouvement, cette opposition, cette dialectique de la distanciation entre éloignement et proximité, se joue aussi dans le réel. Les médias nous montrent que par le jeu des pouvoirs, un objet comme le tsunami entre dans notre réel politique puisqu’il nous pousse à prendre des décisions et à nous engager. L’information produite par TF1 à propos du tsunami a crée un espace symbolique fait des savoirs transmis par la chaîne. C’est dans cet espace symbolique que se joue une familiarité, une proximité des événements, tout aussi symbolique. La notion de proximité ici, c’est l’empathie qui est une forme de proximité affective. La proximité passe également par la familiarisation qui s’opère à travers l’itération d’images et de discours similaires. Nous avons d’ailleurs montré que le terme « tsunami » s’est largement intégré dans le vocabulaire commun au point de faire l’objet récurrent d’une métaphorisation dans toutes sortes de domaines, notamment politique. D’autre part, la place de cet événement dans l’imaginaire s’est traduite par un réveil des peurs et des fantasmes, puis par une transposition dans le domaine de la fiction. Notre analyse d’un téléfilm portant sur la catastrophe a permis de constater que fiction et information s’articulent en permanence. L’esthétique de l’information prépare l’esthétique de la fiction qui se nourrit de termes, d’images, de valeurs morales et de représentations similaires. Inversement, la fiction se retrouve dans l’information dans la mesure où elle permet au média de rendre l’événement intelligible, de lui donner un sens tout en le rendant plus spectaculaire. Ce parallèle montre bien finalement que toute mise en scène a une signification politique et que la rhétorique de l’information télévisuelle confond le réel et l’imaginaire de sa mise en scène en spectacle.

Ainsi, en interprétant le discours de TF1 et, des médias en général, nous pouvons voir combien le climat a pris aujourd’hui une importance majeure, une dimension politique évidente. Notre étude prend fin, à quelques jours de l’ouverture de la Conférence de Copenhague qui doit se tenir du 7 au 18 décembre 2009 et où doit être débattu un accord sur le réchauffement climatique pour engager les pays dans la voie d’un après-Kyoto. Or ce n’est certainement pas un hasard si la nécessité d’un engagement paraît aussi urgente alors que les catastrophes climatiques se multiplient, voyant leurs conséquences s’amplifier. Des décisions politiques en matière de climat sont ici en jeu. Notre thèse sur la représentation du tsunami à la télévision s’inscrit ainsi, dans un triple processus intellectuel et scientifique.

D’abord, il s’agit de la reconnaissance par les acteurs politiques et par les pouvoirs, de l’importance politique du climat et de la signification politique des événements climatiques et les projets mis en œuvre par les états et les pouvoirs. La Conférence de Copenhague et, de manière générale, les débats sur le réchauffement climatique, sont des preuves de l’importance politique grandissante du climat.

Ensuite, la place prépondérante des événements climatiques dans les médias, que l’on peut lier à l’évolution de la dimension politique du climat, s’inscrit dans une recomposition de l’espace public. Celui-ci tend à reconnaître l’importance particulière des problèmes liés au climat, ce que montrent l’information sur le tsunami, les débats sur le climat ainsi que les confrontations et les divergences des acteurs politiques sur ces questions.

Enfin, l’analyse de la représentation médiatée du tsunami s’inscrit dans le processus par lequel les sciences de l’information et de la communication repensent, aujourd’hui, l’articulation entre l’information et la fiction. Cette nouvelle place accordée à a fiction dans la relation à l’information est certainement à mettre en lien avec la recomposition du débat public. C’est la place des hommes dans l’espace, la dimension politique de la spatialité, exprimée, notamment, par la place des engagements écologistes qui montre, par ailleurs, la recomposition des identités politiques illustrée par l’information et le débat sur le tsunami.