Introduction du chapitre 1

Nous supposerons, sans le discuter, que l'exploitation du transport ferroviaire de voyageurs est un monopole naturel18, en raison principalement de l'importance des coûts fixes nécessaires à cette activité, des barrières à l'entrée et d'une zone non négligeable de rendement d'échelle. En France, pour l'instant encore, ce monopole naturel est couplé à un monopole légal, tant pour le trafic national de voyageurs que pour le trafic régional. Du fait de ce monopole légal, et des missions de service public qui en découlent, l'exploitation du transport ferroviaire de voyageurs se présente comme un monopole régulé et réglementé par les pouvoirs publics19.

En France, traditionnellement, la régulation des industries en réseaux en charge d'un service public, s'exerce surtout par un contrôle des prix ("price cap"), et secondairement par une contractualisation des autres paramètres de la production du monopole naturel, telles la qualité offerte et les quantités produites. C'est ainsi qu'unCahier des charges, approuvé par décret, fixe les droits et obligations de la SNCF. C’est en application de ce document, que sont notamment déterminés les différents concours financiers de l’Etat à l’entreprise, ainsi que les règles qui président à l’élaboration des tarifs voyageurs et fret. Actuellement seuls les tarifs voyageurs font l’objet d’une homologation du Ministre chargé des Transports, les tarifs marchandises lui étant simplement communiqués.

D'un point de vue institutionnel, le mode de régulation privilégié est de type administratif et hiérarchique20. La SNCF, en tant qu'EPIC, est ainsi soumise à un contrôle a priori de tutelle technique, assuré par un Commissaire du Gouvernement, ainsi qu'à un contrôle économique et financier a priori. En tant qu'entreprise publique, la SNCF est également soumise au contrôle a posteriori de la Cour des Comptes.

L'analyse économique nous suggère que tout marché de type monopolistique présente le risque d'un pouvoir de marché aux dépens des consommateurs, mais aussi de la Collectivité. Qu'en est-il avec la SNCF ? Le maintien d'une organisation monopolistique de l'exploitation ferroviaire est-elle effectivement source de rente au profit de l'opérateur historique ? La régulation effectuée par la puissance publique sur cette entreprise nationale est-elle suffisante pour contrebalancer et tenter de maîtriser ces risques de pouvoir de marché ?

Pour répondre à ces interrogations, nous mobiliserons trois éclairages théoriques relatifs aux monopoles. Le premier, issu de la microéconomie traditionnelle, nous permettra d'illustrer les risques de distorsion d'une situation de marché monopolistique en comparaison avec une situation concurrentielle. Le second, inscrit dans les théories des organisations nous amènera à discuter des notions de "slack organisationnel" et "d'X-efficiency" dans le cas de la SNCF. Enfin, nous débattrons des phénomènes de capture potentielle du régulateur par le monopole ferroviaire historique, à partir de la théorie de la régulation de l'école de Chicago. Pour chacune de ces trois approches, nous exposerons les effets théoriquement possibles du pouvoir de marché du monopole ferroviaire et chercherons à illustrer comment et dans quelle mesure, en pratique, la puissance publique est à même de s'y opposer.

Notes
18.

Pour une discussion de la taille optimale du monopole naturel de l'exploitation ferroviaire, voir notamment Cantos S., (2001) ; Caves D.W. & ali., (1984) ; Levêque J., (2005, 2006) et Preston J.M., (1994). Preston (1994) concluait sur l'idée que les économies de taille du réseau ferroviaire justifieraient en France l'existence de cinq entreprises régionales, mais non le monopole d'une seule sur l'ensemble du territoire. Levêque (2004), va dans le même sens et soutient que la zone de monopole naturel pour le transport de voyageurs se présente sur un échelon inférieur au territoire national, plutôt régional, voire sub-régional.

19.

Il serait également possible de s'intéresser à l'hypothèse selon laquelle le fournisseur d'infrastructure, RFF, constitue lui aussi un monopole naturel, qui bien que régulé, bénéficie d'un certain pouvoir de marché. Mais ce n'est pas l'objet de cette recherche que nous avons centrée sur l'exploitant ferroviaire.

20.

Nous reprenons ici l'analyse des modes de régulation du juriste, B. du Marais (2004), qui distingue quatre modalités institutionnelles de la régulation, une "régulation spontanée" (décentralisée), une "régulation par le marché" (auto-régulation), une "régulation avec le marché" (corégulation) et enfin une "régulation du marché" (hiérarchique), pp. 484-495.