2.1. Un premier essai de mesure par la théorie du relâchement organisationnel

Ainsi, pour R. Cyert et J. March (1963), la firme, n'est plus ni une "boite noire", dans laquelle des inputs sont transformés en outputs, ni une simple fonction de production qui ne chercherait que la maximisation du profit, comme le revendique la théorie néo-classique. Au contraire, la firme est avant tout un groupe social, un sous-système du système social global, une centre autonome de décisions, mais aussi une coalition d'individus et une organisation complexe.

Pour ces auteurs, la firme est surtout une coalition de groupes (tels les actionnaires, les managers, les fournisseurs, les clients et les salariés) dont le destin est commun, mais dont les intérêts sont multiples et souvent contradictoires. Il en résulte que le processus de prise de décisions passe nécessairement par des médiations, des négociations implicites ou ouvertes et des arbitrages provisoires, afin de rendre compatibles les objectifs différents de chacun des groupes d'intérêt composant la firme. Ce fonctionnement de la grande firme, tant privée que publique, implique ce que R. Cyert et J. March désignent comme un "relâchement organisationnel", qui se traduit par une perte d'efficience plus ou moins forte, donc par un coût, que les auteurs qualifient de "managerial slack".

Selon R. Cyert et J. March, mais aussi A. Alchian et R. Kessel (1962) et R. Radner (1964) l'objectif de la firme est donc moins la maximisation du profit, que l'obtention de résultats considérés comme "satisfaisants" par les individus et les groupes qui la constituent. A ce titre, les dirigeants de la firme sont amenés à un jeu permanent de négociations et de révisions des objectifs de leur organisation, pour lesquels ils constituent un "budget discrétionnaire". Ce dernier leur permet de conduire les négociations internes à l'entreprise et d'obtenir l'accord des membres des différentes coalitions et leur engagement sur les objectifs poursuivis.

Ce budget permet à l'organisation de parvenir à maintenir la cohésion nécessaire à son activité et à sa survie. C'est dans ce sens qu'H. Simon (1951) parle de "zone d'acceptation" de l'organisation, zone dans laquelle l'agent reconnaît la prédominance des intérêts de l'organisation sur les siens propres.

Ce "managerial slack", parfois qualifié "d'excédent organisationnel", a donné lieu à une abondante littérature. Une controverse subsiste quant au rôle du slack. Certains auteurs le considèrent positivement, comme un véritable "bien d'agence", qui remplit le rôle de nécessaire facteur de la cohésion au sein de la firme. Ainsi, le slack renforcerait le sentiment d'appartenance et le sens des responsabilités de ses bénéficiaires, et contribuerait également à l'augmentation de l'efficacité du personnel. Pour d'autres auteurs, le slack, est un gaspillage, un surcoût, un dysfonctionnement, ou encore, une contre-performance. Ainsi, H. Savall (1989, 1995) voit dans le slack à la fois un sur-salaire, un sur-temps, une sur-consommation et une non-production. Ces controverses soulignent combien il apparaît difficile de déterminer le niveau optimal du slack. En outre, il est tout aussi difficile de le mesurer précisément. O. Williamson suggérait de l'estimer par la comparaison entre le bénéfice d'exploitation potentiel (si les objectifs de la firme étaient acceptés automatiquement et immédiatement) et le bénéfice effectivement dégagé, après négociation interne.

Pouvons-nous déceler dans le fonctionnement propre de la SNCF, en tant qu'organisation complexe, des indices qui témoigneraient de l'existence d'un "managerial slack" significatif et, en définitive, porteur de perte de bien-être pour la Collectivité ? Trois indices nous semblent apporter une réponse affirmative à cette question : l'importance du rôle et la place prise par les organisations syndicales ou les instances représentatives du personnel dans l'organigramme de la SNCF ; les dispositions, comparativement avantageuses du statut des cheminots, et, enfin, la répartition du surplus créé par cette entreprise publique, très largement orientée vers la satisfaction des intérêts de ses propres salariés.