2.1.2. Le statut des cheminots : un rapport salarial avantageux

Au même titre que les fonctionnaires, les agents permanents de la SNCF bénéficient d'une garantie d'emploi, interdisant leur licenciement pour motif économique, et en pratique pour presque quelque motif que ce soit73. Le déroulement de carrière prévu par le statut est très structuré et garantit aux agents une évolution progressive de leur situation, en matière de rémunération et (ou) de responsabilités.

Le statut des cheminots résulte d'une fort longue histoire (Ribeill G., 1993a). Dès 1920, l'Etat, reconnaissant le dévouement des cheminots dans la Grande guerre leur octroie un statut unique et prévoit la présence d'élus syndicaux dans les instances de promotion et de sanction de salariés. A cette époque, et alors que les grandes compagnies de chemins de fer étaient alors totalement privées, ce statut était précurseur. Il allait d'ailleurs largement contribuer à forger la culture des cheminots en France. Indirectement, ce statut va contribuer à figer, sur un critère d'ancienneté, le mode d'avancement des agents du rail. Par la suite, la CGT, majoritaire dans l'entreprise, veillera toujours à ce que le salaire n'intègre pas une prime au mérite. En 1948, l'Etat patron, reconnaissant l'engagement des cheminots dans la Résistance, leur accorde le "dictionnaire des emplois", répertoire interne rigide des attributions des agents, qui en pratique, leur permet de refuser certaines taches et limite fortement les velléités de polyvalence et donc les gains de productivité. De surcroît, les nouveaux métiers n'y figurent pas.

Le statut des cheminots74, plus avantageux que celui de la plupart des autres employés du secteur public75, peut être interprété, lui aussi, comme le prix à payer dans cette organisation complexe pour obtenir la "paix sociale", ou tout au moins, l'adhésion des diverses composantes de l'entreprise aux objectifs généraux de la firme. Nous passerons successivement en revue quatre aspects du statut : les rémunérations, les durées effectives de travail, les pensions de retraite et les avantages en nature.

Notes
73.

Les textes prévoient que le contrat de travail ne "peut être rompu que pour des causes limitativement énumérées telles que mise en retraite, réforme, démission et motif disciplinaire, et encore après mise en œuvre de procédures spécifiques." (CNT, 2005, p. 88). A l'observation de l'absence de sanction pendant les conflits du travail, y compris lors de dégradations ou violences sur les cadres ou non grévistes, on peut considérer que l'emploi à vie est la règle à la SNCF.

74.

Le statut des cheminots est ancien, pour l'ensemble des réseaux, il date de 1920. Il était à l'époque très en avance sur le droit commun (et comprenait des dispositions telles sur le recrutement ; les congés-maladie ; les notes, avancements, récompenses et punitions ; les cessations de fonctions, la représentation du personnel). G. Ribeill (1993, p. 133) indique qu'il fut obtenu "suite à la Grande Guerre, pour les services rendus à la nation par la corporation [...]".

75.

Le propos ne se veut pas un réquisitoire contre les cheminots, ni à l'encontre des fonctionnaires. Le terrain social, est riche en France de "privilégiatures", petites et grandes, comme l'a souligné le journaliste, F. de Closets (1980, 2005). Dans un registre plus académique, P. d'Iribarne (2006) relève combien derrière ses prétentions à l'universalité, la culture française est propice à la défense des particularismes et des statuts.