2.2.3. Deux cas d'espèce : les surcoûts des opérations de maintenance et de gestion des circulations

Dans son récent Rapport thématique sur le Réseau ferroviaire (2008), la Cour des comptes apporte plusieurs illustrations intéressantes sur les surcoûts résultant d'un système d'organisation du travail, obsolète, sauf à considérer que l'objectif principal de cette firme publique est d'abord de fournir de l'emploi plus que de produire le maximum de service de transport au moindre coût pour la Collectivité.

Alors que la maintenance de l'infrastructure occupe à la SNCF 32 000 personnes (soit 1 agent par Km de voie), l'audit réalisé par des experts internationaux en 200599 relevait que l'état du réseau ferré français se dégrade rapidement et que son vieillissement explique déjà une part significative de problèmes de ponctualité et de la moindre vitesse commerciale, sans compter des risques potentiels d'accidents. La Cour relève que l'organisation de la maintenance assurée par les établissements de la SNCF est très spécifique, et au final, particulièrement coûteuse au regard des pratiques et des standards internationaux : les plages horaires quotidiennes de 1h50 pour les travaux sont notoirement insuffisantes pour entreprendre des travaux autres que ceux d'entretien ; la mise en protection des chantiers, essentiels à la sécurité des agents, est beaucoup trop intensive en main d'œuvre, etc. La Cour relève que "des gisements considérables et non exploités de productivité" sont disponibles à la SNCF à partir du moment où elle accepterait de "revoir profondément la répartition de ses moyens en personnels et matériels sur le territoire."

La Cour identifie un autre exemple de surcoût, la gestion des circulations des trains qui, à la SNCF, occupe 13 000 personnes, principalement dans les postes d'aiguillage en raison de l'utilisation de technologies obsolètes et trop peu homogènes, nécessitant des agents dédiés peu polyvalents. Le Rapport notifie que "la modernisation et la standardisation des commandes d'aiguillages permettrait de diviser par deux les effectifs qui y sont affectés en améliorant la qualité du service rendu".

La Cour des comptes se montre même plus incisive en déclarant que les faibles gains de productivité du travail réalisés à la SNCF participent à une stratégie de gestion du rapport salarial et du dialogue social interne, comme l'illustre l'extrait suivant :

‘"Plus généralement, la SNCF s'est certes réorganisée au cours de ces dernières années et a progressivement amélioré sa productivité, mais à un rythme lent (moins de 2% par an), compatible avec les départs naturels des agents et dictés par des considérations sociales.", Cour des comptes, (2008), Synthèse, pp. 18-19. Soulignés par nous.’

On ne peut être plus clair.

Ces observations de la Cour des comptes rejoignent directement l'analyse des causes de la faible compétitivité de la SNCF effectuée par C. Henry (1997a), qui incriminait les règles d'organisation du travail et de la production.

‘"[...] ce qui nuit indéniablement et gravement au bon fonctionnement de l'entreprise, sans bien souvent représenter des avantages vraiment significatifs pour les agents, c'est l'ensemble de règles, anciennes ou récentes, écrites ou tacites, qui entravent l'organisation du travail et de la production.", C. Henry, (1997a), p. 94, Tome 2.’

Pour illustrer notre propos, nous retiendrons deux exemples proposés par C. Henry. Le règlement du travail qui stipule par exemple que, pour un conducteur, un repos périodique (équivalent du repos hebdomadaire des salariés disposant de leur dimanche) ne peut pas se terminer avant six heures du matin du jour de reprise du travail, alors que six heures est déjà trop tard pour effectuer un service du matin aux heures de pointe. Et comme, en milieu de journée, les besoins sont nettement moindres, l'entreprise peut être contrainte de maintenir l'agent à disposition jusqu'au service du soir. C. Henry conclut qu'"en levant cette contrainte et quelques autres du même type, qui ne correspondent pas à des droits réellement essentiels pour les agents, on pourrait gagner environ 15% de temps de travail effectif, donc faire des roulements plus productifs."

C. Henry (1997a, p. 96) souligne également combien les gisements de productivité sont fréquemment importants dans les ateliers d'entretien et de réparation. Selon lui, il n'est pas rare que des dizaines d'agents ces ateliers soient maintenus en pseudo-activité (faute de parler de retraite anticipée à la SNCF), notamment dans le Midi, rendus inutiles par l'évolution des techniques et des trafics, alors que l'entreprise est tenue d'embaucher dans d'autres régions pour les mêmes fonctions.

En prolongement des théories behavioristes, qui voient dans la firme une organisation complexe composée de groupes différents poursuivant un ensemble hiérarchisé d'objectifs, nous avons mis en évidence l'importance de l'excédent organisationnel à la SNCF. Il nous reste à en apporter une explication.

Puisque le monopole ferroviaire historique est en France un "monopole administré", cette faible performance managériale résulte nécessairement d'une faiblesse de la régulation exercée par son actionnaire unique, l'Etat. Nous suggérerons l'hypothèse que cette défaillance de son propriétaire résulte de sa capture par l'opérateur ferroviaire.

Notes
99.

Ministère des Transports, (2005), Audit sur l'état du réseau ferré national français, ss. la dir. et la coordination des professeurs Rivier Robert et Putallaz Yves, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne.