3.2.2. Autonomie d'action de la SNCF versus mission de régulation des pouvoirs publics

Le deuxième indice, de cette bienveillance des pouvoirs publics à l'égard de la SNCF, réside dans la large autonomie d'action que lui a progressivement accordée la puissance publique sur des éléments majeurs, quant à leur impact sur le surplus du consommateur ou sur celui de la Collectivité.

Alors que la théorie économique met en avant l'importance de la régulation des tarifs comme instrument de mise au pas du pouvoir de monopole, les modifications apportées au Cahier des charges de la SNCF se sont traduites par une grande liberté tarifaire pour la Société nationale. Si les tarifs supportés par les usagers des services nationaux de voyageurs sont bien calculés à partir d'un tarif de base homologué par le Ministère des Transports (et encadré par arrêté conjoint du Ministre des Transports et de l'Economie), la réglementation accorde depuis longtemps l'initiative tarifaire à la SNCF, et non à la Tutelle123.

Mais surtout, depuis 1994124, la législation autorise de larges possibilités de tarificationsdérogatoires. Ces dernières sont possibles quand les usagers bénéficient d'avantages particuliers de rapidité et de confort (cas du TGV), ou quand la relation concernée est soumise à une forte concurrence intermodale, ou encore, libellé particulièrement ouvert, quand "l’institution de ce tarif particulier est susceptible, en développant l’usage du train, d’éviter la dégradation ou de concourir à l’amélioration des comptes de résultat de la SNCF."125

Rien n'empêche donc la SNCF, par exemple de jouir d'une grande liberté tarifaire pour les liaisons TGV qui répondent à au moins une des deux conditions précédentes. Par ailleurs, mais cela est plus compréhensible, en raison de la concurrence intra-modale existant sur ces segments, les tarifs internationaux de voyageurs sont laissés à l'appréciation de l'entreprise, tout comme les tarifs de transport de fret. Nous relèverons également, qu'en dehors des tarifs sociaux, l'initiative tarifaire revient toujours à la SNCF, et non à la tutelle.

En outre, si les tarifications particulières donnent lieu à un certain contrôle de la Tutelle, notamment sur les prix (fixation d'un écart relatif maximal entre le tarif de base et le tarif libre) et sur leur fréquence (répartition dans la grille horaire), l'arrêté conjoint des Ministres des Transports et de l'Economie légiférant sur ce sujet est "pris sur proposition de la SNCF après [une simple] consultation de ses usagers."126 L'opinion des voyageurs, clients du rail, n'intervient donc qu'à la marge dans la détermination des tarifs de ce service public les concernant127.

Plus significatif encore de la bienveillance de la Tutelle, nous semble être le calendrier de la procédure retenue pour l'homologation des tarifs, comme le précise l'article 17 du décret portant approbation du Cahier des charges de la SNCF :

‘"La SNCF communique les tarifs qu’elle établit en application de l’article 14 au ministre chargé des transports quinze jours au moins avant la date à laquelle ces tarifs doivent entrer en vigueur. A défaut d’opposition notifiée dans les huit jours suivant leur dépôt, les tarifs établis par la SNCF sont réputés homologués. Ces tarifs sont portés à la connaissance du public six jours au moins avant la date de leur entrée en vigueur."’

Ainsi en pratique, le Ministère dispose au plus de 8 jours pour faire valoir son opposition à une proposition tarifaire de la SNCF, sans quoi cette proposition s'applique de droit. Ce délai, peu conforme à la pratique en matière de réglementation des tarifs128, nous semble bien court pour permettre au pouvoir de tutelle d'exercer sa mission de gardien de l'intérêt général !

Enfin, au-delà des tarifs, la SNCF jouit d'une vaste liberté en matière de définition de la consistance des services offerts à la Collectivité.Si son Cahier des charges lui demande de tenir compte des objectifs de la politique de l'Etat en matière de transports, l'écriture retenue ne nous semble pas vraiment lui en faire obligation, faisant primer le principe d'autonomie de gestion de la firme.

‘"La consistance des services nationaux est définie par la SNCF dans le cadre de son autonomie de gestion en tenant compte des orientations générales de la politique de l’Etat en matière de transports.", Décret 83-817 du 13 septembre 1983, article 6. ’

La polémique entre les Régions et la SNCF à l'occasion de la décision de cette dernière, à l'été 2005, de supprimer nombre de liaisons interrégionales (TIR) déficitaires n'en est-elle pas une récente illustration ?

Notes
123.

Décret 83-817 modifié du 13 septembre 1983, article 14.

124.

Décret 94-606 du 19 juillet 1994, JO du 21 juillet 1994 portant modification de l'article 14 du Cahier des charges de la SNCF.

125.

Décret 83-817 modifié du 13 septembre 1983, article 14. Souligné par nous.

126.

Ibidem.

127.

La réglementation concernant les obligations de la SNCF en matière d'information sur les modifications tarifaires ne fait guère cas des clients, tout au moins sur la question des délais. L'article 17 du Cahier des charges de la SNCF stipule : "Ces tarifs sont portés à la connaissance du public six jours au moins avant la date de leur entrée en vigueur."

128.

Nous observerons que dans le cas de France Telecom, les délais, dont dispose la tutelle pour faire valoir son opposition, sont d'un mois, donc significativement plus longs. Article 17 du Cahier des charges de France Telecom, décret 96-1174 du 27 novembre 1996.