1.1.1. La lente émergence de la réglementation ferroviaire européenne

Paradoxalement, alors que le secteur des transports figure dès le début de la construction européenne comme une de rares politiques communes, la réglementation communautaire est restée en attente d'orientations jusqu'au début des années quatre-vingts dix, date de mise en place du marché unique.

Dès le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la CEE, le secteur des transports a pourtant été considéré comme essentiel pour la Communauté européenne, car étroitement lié à la libre circulation des marchandises et des personnes. Cela explique qu'il ait fait l'objet d'âpres débats et qu'il soit encadré par une des trois premières politiques communes prévues par le Traité. Les articles 61 et suivants et le titre IV de la deuxième partie (art. 74 à 84) lui ont réservé un régime spécial, dérogeant aux règles normalement applicables dans le domaine de la libre circulation des services. Ainsi l'article 77 institue une dérogation à l'interdiction des aides publiques219. Mais contrairement à ce que l'on a pu constater au niveau de la politique agricole, le Traité demeure extrêmement imprécis quant à ses principes, ses objectifs et ses moyens.

Jusqu'au début des années 1990, la politique de transport de la Commission européenne ne reposait que sur un texte, le règlement 1191/69/CEE "relatif à l'action des États membres en matière d'obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable". Si cette réglementation faisait explicitement référence au service public dans le secteur des transports, sans pour autant la définir220, elle adoptait une posture "négative", et visait principalement à réduire les possibilités pour les Etats d'imposer des obligations de service public aux entreprises de transport.

En 1991, ce texte a été substantiellement précisé, par le règlement 1893/91/CEE qui porte modification de celui de 1969 sur deux points essentiels, les conditions du recours à la notion de service public et les modalités de son exercice. Il est ainsi spécifié que la puissance publique peut vouloir offrir des services de transport prenant en considération "des facteurs sociaux, environnementaux et d'aménagement du territoire, ou des conditions tarifaires déterminées". Dans ce cadre, cette nouvelle réglementation précise les conditions d'exercice de ces missions de service public de transport, qui devront amener les autorités compétentes d'un Etat membre à contractualiser les conditions d'exploitation et de financement d'une obligation de service public de transport avec l'entreprise de transport choisie. Le règlement stipule que le "contrat de service public" peut comporter "des normes de continuité, de régularité, de capacité et de qualité ; […] des prix et des conditions déterminées, notamment pour certaines catégories de voyageurs ou pour certaines relations" (Article 14.1). Une voie était ainsi ouverte à une reconnaissance du caractère économique positif des activités de service public, qui ne sont plus assimilées seulement à des contraintes imposées aux entreprises.

Mais le véritable tournant dans l'approche du transport ferroviaire par la Commission européenne a été apporté par la directive 91/440/CEE, du 29 juillet 1991, relative au développement des chemins de fer communautaires. Cette Directive, qui demeure encore aujourd'hui la matrice de la politique ferroviaire européenne, a été ensuite complétée par trois ensembles de textes, les "paquets ferroviaires"221 et, dernièrement, par le Règlement dit OSP ("obligations de service public").

Notes
219.

Cet article 77 du Traité de Rome précise que "sont admises : - les aides destinés à rembourser certaines servitudes inhérentes à la gestion des services publics ou certaines "charges indues" imposées par la puissance publique (sont particulièrement visées les aides aux compagnies nationales de chemin de fer pour compenser leurs obligations de "continuité" dans le temps et dans l'espace) ; - et les aides tendant à favoriser la coordination des transports."

220.

Il faut bien reconnaître que, déjà, la diversité des approches de cette notion qui prévalait alors entre les différents pays membres de la Communauté, ne permettait guère de dégager un consensus sur ce sujet.

221.

La notion de "paquets ferroviaire" mérite une explication. Elle exprime la préparation et la publication simultanée de différents textes, directives ou règlements, dont chacun aborde un ou plusieurs aspects d'un même sujet. Certains (Haenel, 2009) y voient la traduction d'une tactique et d'une stratégie de la Commission. Tactique, car ce schéma permet de diluer une question centrale (visant, par exemple, à plus de concurrence), dans un ensemble plus consensuel. Stratégie aussi, car fondamentalement, la Commission tend à lier deux finalités, le développement de la libéralisation et le renforcement des droits des consommateurs, sans négliger pour autant les questions de sécurité, essentielles en matière ferroviaire.